LÉGIFÉRER POUR LA POSTÉRITÉ
D’ores et déjà, des opposants au dialogue alertent sur le seul objectif de ce panel : légitimer les futures prérogatives du Premier ministre, Ousmane Sonko. Bille en tête, Moustapha Diakhaté y voit une supercherie.

Le président de la République a convoqué un Dialogue national pour le 28 mai prochain. Une date désormais inscrite dans le calendrier républicain. Au moment où ces lignes sont écrites, ses conseillers doivent certainement être en train de s’affairer aux derniers réglages. Les cartons d’invitation ont été préparés et envoyés par le ministère de l’Intérieur. Certains ont accepté l’invitation, d’autres ont -poliment ou avec fracas-décliné. Le facilitateur (Dr Cheikh Guèye, en l’occurrence) a été nommé. Les termes de références sont déjà fixés et le cadrage adéquat scénarisé. Il ne reste que la mise en musique.
Mais, avant même que d’y arriver, le conseiller juridique du Président, le Pr Sidy Alpha Ndiaye, s’est invité à l’émission «Point de vue» sur la Rts pour servir le hors d’œuvre. Avec des éléments de langage bien ciselés, le juriste (bon sang, pourquoi je pense tailleur ?!) du Palais a annoncé un paquet de réformes pour, selon lui, un «rééquilibrage institutionnel». Entendez par là, un partage de pouvoirs entre le président de la République et son Premier ministre. C’est un secret de polichinelle que le président de la République a, depuis le début de son magistère, manifesté son désir ardent de voir son Premier ministre –leader dans le parti- jouer des rôles éminemment plus importants que ceux qui sont les siens en l’état actuel de notre droit constitutionnel positif.
«Je l’encourage (le Premier ministre, Ndlr) non seulement à lorgner le fauteuil, mais aussi à regarder le fauteuil clairement. Parce que pendant 10 ans je me suis battu à ses côtés pour qu’il occupe le fauteuil présidentiel. Je n’ai pas arrêté et je n’arrêterai jamais», avait déclaré le Président nouvellement élu, après 100 jours passés au Palais. Il n’y a pas volonté plus claire de s’effacer que celle-ci.
Sauf que, à entendre le constitutionnaliste du cabinet présidentiel, il ne s’agit nullement de demander aux «dialoguistes» ce qu’ils pensent de ce schéma de partage. Mis devant le fait accompli, ils devront simplement se contenter de constater que l’Assemblée nationale –ou le peuple, à travers un référendum- va valider le désir du Président Diomaye d’octroyer plus de pouvoirs à son Premier ministre. Ainsi, Ousmane Sonko pourra participer à la définition de la politique de la Nation, présider le conseil des ministres, pourvoir à la nomination aux emplois civils et militaires, présider le stratégique conseil de défense et même, pourquoi pas, assurer l’intérim du Président en cas d’empêchement temporaire ou définitif de ce dernier. On avait déjà un Premier ministre fort.
On se retrouve avec un PM super, hyper fort ! Il ne faut quand-même pas oublier que, par la Volonté de Dieu, c’est lui qui a mis le Président là où il est, le choisissant sur une short list de cadres tout aussi valables que lui. Une telle faveur, cela ne s’oublie pas. Ousmane Sonko a une légitimité que lui envient beaucoup de Premiers ministres, en Afrique et dans le monde. Il a, dans la praxis institutionnelle, des pouvoirs qu’aucun PM, en dehors de Mamadou Dia, n’a eus depuis l’indépendance du Sénégal. Donc, il s’agit juste de donner un vernis légal à un fait réel.
D’ores et déjà, des opposants au dialogue alertent sur le seul objectif de ce panel : légitimer les futures prérogatives du Premier ministre, Ousmane Sonko. Bille en tête, Moustapha Diakhaté y voit une supercherie. «A écouter le Pr Ndiaye Sidy Alpha, par railleurs Directeur de cabinet adjoint et conseiller juridique de Diomaye Faye, il est clair que l’objectif, du dialogue national du 28 Mai 2025, n’a rien à voir avec les Termes de référence envoyés aux parties prenantes. Manifestement, Pastef veut torpiller la Constitution pour renforcer les pouvoirs de Sonko, instaurer le bicéphalisme au sein de l’exécutif et faire de lui le deuxième numéro UN de l’Etat. Il s’agit d’une réédition, en pire, de la tentative avortée de la révision constitutionnelle du 23 juin 2011», écrit, sur sa page facebook, l’ancien Président du Groupe Benno à l’Assemblée.
L’avenir proche permettra de dissiper ou de confirmer ses craintes. Il reste simplement que, à notre modeste et humble avis, on ne doit pas légiférer pour résoudre des équations ponctuelles. Aujourd’hui, le Premier ministre du Sénégal porte un nom : celui de Ousmane Sonko. Celui-ci a des super pouvoirs que lui confère sa légitimité politique. Demain, ce PM portera un autre nom. Pierre, Pathé ou Tartempion, il aura à exercer des pouvoirs que lui confèrerait la Constitution. Va-t-on encore la modifier pour calibrer les pouvoirs à la taille et au poids du nouvel occupant ? La question est posée. Tout comme est posée la question de savoir ce que le Président Diomaye prévoit pour plus de pouvoirs à notre Législatif et à notre Judiciaire qui croulent sous le poids d’un Exécutif super puissant qui, selon que le ciel est dégagé ou nuageux, peut décider de couper le robinet du carburant aux députés ou convoyer une charrette de juges «hostiles au Projet» pour un séjour sans frais au purgatoire de Tamba.
En résumé, légiférer, oui. Mais, légiférer pour la postérité et non pour régler des problèmes ponctuels ou d’égos, fussent-ils ceux du leader charismatique.