OÙ VA LE SÉNÉGAL ?
Après l’euphorie de l’alternance incarnée par le duo Bassirou Diomaye Faye / Ousmane Sonko, les signaux faibles d’une fragilité politique, sociale et institutionnelle commencent à se multiplier.

Un tournant historique sous haute tension
Le Sénégal, longtemps perçu comme un îlot de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest, entre dans une phase d’incertitude profonde. Après l’euphorie de l’alternance incarnée par le duo Bassirou Diomaye Faye / Ousmane Sonko, les signaux faibles d’une fragilité politique, sociale et institutionnelle commencent à se multiplier.
Au-delà des dynamiques politiciennes, ce sont les fondements mêmes du vivre-ensemble sénégalais qui se retrouvent interrogés.
1. Une société traversée par des fractures anciennes et nouvelles
Historiquement, le Sénégal a su maintenir une cohésion relative, grâce à une tradition de tolérance religieuse, un dialogue social vivant, et des institutions plutôt résilientes. Cependant, plusieurs fractures structurelles se sont aggravées ces dernières années :
Fracture sociale : le fossé entre les élites politiques et économiques et les couches populaires s’est élargi, alimenté par le chômage de masse, la précarité urbaine, et une jeunesse désillusionnée.
Fracture générationnelle : une jeunesse radicalisée, frustrée par les lenteurs du changement, se détourne des formes traditionnelles d’autorité (confréries, notables, anciens partis).
Fracture territoriale : la marginalisation de certaines régions demeure un point de crispation.
Ces tensions sous-jacentes fragilisent la capacité du Sénégal à produire un récit commun sur son avenir.
2. Le pouvoir actuel, entre promesses de rupture et risques de désillusion
L’accession au pouvoir du PASTEF a suscité de fortes attentes : justice sociale, souveraineté économique, nouvelle gouvernance. Mais très vite, le quotidien du pouvoir confronte l’idéologie aux contraintes :
Réalité des relations internationales,
Fragilité des finances publiques,
Poids des institutions héritées.
Le dualisme Diomaye / Sonko – entre légitimité institutionnelle et légitimité militante – fragilise la lisibilité de l’action gouvernementale. Cette confusion nourrit le malaise, à l’intérieur même de leur base.
Le discours de rupture, autrefois force mobilisatrice, risque de se transformer en source de déception et de colère, si les résultats tardent à venir. Cela ouvre la voie à de nouvelles radicalités et à des dynamiques protestataires incontrôlées.
3. Vers l’émergence de nouveaux foyers de contestation ?
Les arrestations récurrentes, la crispation sécuritaire, les tensions internes au parti présidentiel peuvent, paradoxalement, accélérer l’émergence de figures alternatives. Dans un contexte où le peuple sénégalais, et notamment sa jeunesse, reste en quête d’un leadership crédible et cohérent, le terreau est fertile pour :
Une nouvelle génération d’activistes ou d’intellectuels contestataires,
Des mouvements issus de la diaspora,
Ou même d’anciens compagnons déçus du régime actuel.
Le Sénégal pourrait voir émerger un "nouveau Sonko", plus radical, plus organisé, mais aussi peut-être plus incontrôlable, si l’État ne parvient pas à restaurer la confiance.
4. Quel avenir pour le "modèle sénégalais" ?
Le « vivre-ensemble » sénégalais, longtemps vanté, repose aujourd’hui sur des équilibres devenus précaires. S’il n’est pas encore menacé par une guerre civile ou un coup d’État imminent, le pays est confronté à des défis sociologiques majeurs :
Recréer un contrat social crédible.
Redéfinir le rapport à l’État, à l’autorité, et à la justice.
Réconcilier gouvernance et aspirations populaires.
Sans cela, le risque n’est pas tant une rupture brutale, qu’une érosion lente du lien social, menant à une société fragmentée, méfiante, instable.
Un avenir qui se joue maintenant, pas en 2050
L’histoire récente du Sénégal montre que l’exception sénégalaise n’est pas un acquis définitif. Elle est un équilibre fragile à réinventer. L’avenir du pays ne dépendra pas seulement des choix du pouvoir actuel, mais aussi de sa capacité à écouter, comprendre, inclure et à faire preuve d’humilité politique.
Le défi n’est pas de rêver au Sénégal de 2050, mais de sauver celui de 2025, pour éviter qu’il ne devienne un terreau de violences, de frustrations et de nouvelles ruptures sociales.