QUAND LE LION ROUGE INSTALLE UNE HIÉRARCHIE SILENCIEUSE
J’ai assisté à de nombreuses cérémonies officielles dans des villages. À chaque fois, quand l’hymne retentit, une chose me frappe : une partie de l’assistance continue de bavarder, indifférente, parfois même confuse. Ce n’est pas un manque de respect.

Ce post pourra en choquer certains, mais il n’a pas pour but de provoquer gratuitement. Il vise à interroger, à ouvrir un débat nécessaire sur ce que nous chantons, sur ce que nous héritons sans questionner.
« Pincez tous vos koras, frappez les balafons » : un hymne colonial ?
L’hymne national du Sénégal, Le Lion rouge, est-il vraiment un chant de fierté nationale ? Ou bien le prolongement poétique de la domination coloniale? Ce texte, souvent récité mécaniquement, semble distant pour beaucoup de Sénégalais. Et pour cause.
Rédigé en français, langue héritée de l’Empire, il est inaccessible à une large partie de la population. Pire encore, la musique a été composée par un Français, Herbert Pepper. Comme s’il n’y avait pas de talent musical au Sénégal. Comme si, au moment de l’indépendance, nous avions continué à chercher la légitimité dans l’oreille du colon.
J’ai assisté à de nombreuses cérémonies officielles dans des villages. À chaque fois, quand l’hymne retentit, une chose me frappe : une partie de l’assistance continue de bavarder, indifférente, parfois même confuse. Ce n’est pas un manque de respect. Beaucoup de ces personnes n’ont jamais été à l’école. Elles ne comprennent pas les paroles de l’hymne, récité dans une langue qui n’est pas la leur, avec des images qui ne les touchent pas.
Là où l’hymne devrait unir, il crée une fracture. Une césure symbolique entre deux Sénégal :
– ceux qui ont été à l’école et maîtrisent le français, capables de comprendre et d’interpréter les paroles,
– et ceux qui n’ont pas eu accès à cette école, et pour qui l’hymne demeure un son lointain, étranger.
Au lieu de rassembler, Le Lion rouge installe une hiérarchie silencieuse : celle du savoir scolaire contre le savoir populaire, celle des lettrés contre les oubliés.
Le poème, écrit par un francophile convaincu, obéit aux règles de la métrique classique française.
Pour moi, le véritable hymne national, c’est Niani Bañ na ou tout autre chant en langue nationale qui nous célèbre. Un chant qui parle notre langue, notre rythme, nos émotions. Pas un poème en français écrit par un francophile, mis en musique par un Européen, et chanté sans conviction dans les écoles.
Un hymne est censé unir, émouvoir, incarner une histoire partagée. Celui du Sénégal, malgré sa musicalité, demeure pour beaucoup un poème déconnecté et incompréhensible.