RECOLONISATION CONSENTIE
Revoilà donc la Russie ! Dans la guerre de positionnement qui se joue sur notre continent, et qui met en confrontation Américains, Chinois, Français et Russes, la Centrafrique est comme du pain béni

Lâché comme un tonneau en haut d’escaliers, la République centrafricaine ne cesse de dévaler les pentes de l’instabilité. Et rien n’incite à l’optimisme à propos de ce pays dont l’intérêt stratégique est mis en exergue par son nom. Chaque jour, la litanie des méfaits des 14 groupes armés « officiellement » recensés dans le pays s’égrène, sombre et confuse comme les sous-bois de la forêt équatoriale qui occupe une bonne partie de l’ancien Oubangui-Chari. Mardi dernier, 26 civils ont été assassinés au cours de tueries devenues banales dans ce pays, qui n’a jamais été, en réalité, lui-même, sorti de l’ornière coloniales pour tomber sous les bottes de régimes les plus décevants les uns que les autres, le pinacle ayant été sous « l’empire » ordonné par un ancien sergent-chef de l’armée française, Jean Bédel Bokassa (1921-1996). Ce fut Ubu-Roi sous les tropiques…
Malgré la signature, le 6 février dernier, d’un accord de paix entre le gouvernement et une dizaine de groupes armés, ce fatras de communautés s’enlise dans une crise qui semble sans fin, avec des pointes d’horreur, comme avec le triste sort d’une religieuse espagnole « qui enseignait la couture aux jeunes filles » égorgée. Préparé depuis 2017 par l’Union africaine, l’accord signé à Khartoum est le huitième depuis le début de la crise en 2013, marquée par le renversement du président François Bozizé.
Aucun des précédents accords n’a abouti à un retour de la stabilité, dans un pays où les groupes armés contrôlent 80 % du territoire et se battent pour la mainmise sur les ressources naturelles. Près d’un quart des 4,5 millions d’habitants de la Rca ont été contraints de fuir leur domicile. Paradoxalement, la Centrafrique bénéficie d’une mission onusienne, de ce qui fut le parapluie militaire français, et depuis quelques cinq ans, de l’appui de la puissante Russie de Vladimir Poutine. Et pourtant, jamais ce pays ne s’est aussi mal porté… La Russie va également pour la première fois intégrer la Mission des Nations unies en Centrafrique. Elle a obtenu le feu vert de l’Onu pour le déploiement de 30 officiers russes au sein de cette mission.
La présidence centrafricaine a reconnu qu’au-delà de son appui militaire, « la Russie s’est également engagée à participer au relèvement économique de la Centrafrique », sans plus de précisions. Même si cette nouvelle offensive slave dans son ancien « pré carré » n’agrée pas la France, rien ne semble pouvoir l’arrêter. La nature a horreur du vide. L’appel d’air venu de Bangui était trop ouvert pour ne pas être entendu par la Russie dont le renouveau diplomatique est inversement proportionnel à l’implication de la France dans ce type de conflits larvés, échaudée qu’elle est par son « vécu » au Rwanda en 1994.
Revoilà donc la Russie ! Dans la guerre de positionnement qui se joue sur notre continent, et qui met en confrontation Américains, Chinois, Français et Russes, la République centrafricaine est comme du pain béni car réunissant toutes les conditions idéales pour une « recolonisation consentie » : déliquescence de l’Etat central, multiplication des pôles de pouvoir en général des bandes armées, indifférence des voisins (qui ont souvent fort à faire dans leurs propres hinterland) et, surtout, richesses naturelles. La Centrafrique recèle de l’or, des diamants (qui ont indirectement permis en 1981 la défaite du président Valéry Giscard d’Estaing), du pétrole et de l’énergie hydroélectrique largement sous exploités.
Pionnière dans le soutien aux organisations africaines de lutte pour l’indépendance (Fln, Mpla, Swapo, Paigc), l’ex-Urss avait ensuite animé, dans le sillage du bloc de l’Est, un puissant courant d’Etats africains marxistes-léninistes, les soutenant sur les plans militaire, économique, dans leurs politiques d’éducation et de santé. C’était une époque où le manteau idéologique recouvrait les véritables desseins. Désormais, ce n’est plus le cas et les puissances mondiales font l’économie de pudeurs moralisantes. Et l’Union africaine ? Elle est trop satisfaite de voir d’autres faire le job à sa place. Triste Centrafrique !