RÉVOLTE OU RÉVOLUTION ? LE PIÈGE DU CHANGEMENT SANS PROJET AU SÉNÉGAL
Le récent changement de régime au Sénégal a été largement salué comme une victoire du peuple. Il est indéniable que la mobilisation populaire a joué un rôle central dans la chute d’un système perçu comme usé, verrouillé, clientéliste.

Le récent changement de régime au Sénégal a été largement salué comme une victoire du peuple. Il est indéniable que la mobilisation populaire a joué un rôle central dans la chute d’un système perçu comme usé, verrouillé, clientéliste. Mais au-delà de l’émotion collective, une interrogation sociologique s’impose : s’agissait-il d’une révolution ou d’une simple révolte ?
Quand la rue impose le tempo
Ces dernières années, la rue sénégalaise s’est imposée comme une force politique majeure. Les mouvements de jeunes, les collectifs citoyens et les foules spontanées ont exprimé une colère profonde face à l’injustice sociale, au népotisme, à la répression politique et à la précarité généralisée. La rue a haussé le ton, crié son ras-le-bol, et fini par imposer un changement.
Mais ce changement, aussi salutaire soit-il, n’a pas été préparé par un projet de société clair, structuré, porté par une avant-garde intellectuelle ou politique solidement ancrée dans les masses. Ce vide stratégique nous oblige à poser cette question : avons-nous cassé un système sans savoir ce que nous voulons vraiment construire à la place ?
La différence entre révolte et révolution
Il est crucial ici de distinguer la révolte de la révolution :
La révolte est une explosion, un soulèvement ponctuel contre une situation vécue comme insupportable. Elle est souvent spontanée, émotionnelle, destructrice. Elle veut la chute, pas toujours le renouveau.
La révolution, quant à elle, est un projet de refondation. Elle s’appuie sur une idéologie, une vision, une planification, un leadership structuré et une volonté de construire un ordre nouveau.
Dans le cas du Sénégal, ce que nous avons vu relève davantage d’une révolte populaire, certes courageuse, mais encore orpheline de cadres, de doctrines et de perspectives à long terme.
Changer un régime, ce n’est pas changer un système
C’est là le risque de toute transition fondée uniquement sur l’émotion collective. Si elle n’est pas suivie d’un travail d’intellectualisation du changement, de reconstruction institutionnelle et de refondation du contrat social, le danger est grand de revenir à un système semblable, avec de nouveaux visages mais les mêmes logiques.
La colère seule ne fait pas un projet. Le sentiment d’injustice, aussi légitime soit-il, ne suffit pas à produire de nouveaux modèles. Il faut de la pensée, de la patience, de la stratégie et surtout, des leaders capables de transformer l’élan de la rue en agenda de transformation sociale.
Quelles leçons tirer ?
Le défi post-révolte est immense :
Éviter la récupération de la colère par de nouvelles élites sans vision.
Transformer l’énergie populaire en pouvoir d’organisation et de construction.
Inscrire la jeunesse dans une trajectoire de conscientisation politique durable, au-delà des mobilisations ponctuelles.
Appuyer la transition par un effort intellectuel de refondation sociale, en réhabilitant le rôle des chercheurs, des penseurs, des éducateurs et des médiateurs sociaux.
Conclusion
La rue a réveillé le pays. Mais réveiller ne veut pas dire reconstruire. Pour que le Sénégal vive une véritable révolution — au sens noble du terme — il faudra aller au-delà de la colère. Il faudra un projet, une vision, un leadership ancré dans les réalités du peuple et tourné vers l’avenir. Sinon, le risque est de retomber dans le cercle infernal des alternances sans alternative.