AVEC LA DISPARITION DE DESMOND TUTU, UN CYCLE HISTORIQUE TOUCHE À SA FIN
Décès de Desmond Tutu, début de la CAN, relations entre l’Afrique et les grandes puissances mondiales, perspectives pour 2022… L’intellectuel camerounais Achille Mbembe s’est prêté au jeu

Après avoir été l’une des figures africaines majeures du sommet Afrique-France de Montpellier en octobre, Achille Mbembe est rentré au Cap, en Afrique du Sud, où il vit. C’est là que l’historien camerounais a appris la mort, le 26 décembre dernier, de l’archevêque Desmond Tutu, compagnon de combat de Nelson Mandela. La « vigie » de la nation Arc-en-ciel, qui doit être inhumée ce samedi 1er janvier dans la cathédrale Saint-Georges du Cap, avait demandé pour ses funérailles le cercueil « le moins cher possible ».
Qu’a-t-il légué à l’Afrique du Sud, et au continent africain en général ? À l’aube de 2022, Achille Mbembe s’exprime sur certains des sujets qui ont fait l’année écoulée et devraient, à nouveau, marquer celle qui s’ouvre. Les relations des pays africains avec les grandes puissances, le sentiment-anti-français, les liens avec la Russie… mais aussi la Coupe d’Afrique des nations, qui débute dans quelques jours pour un mois.
Jeune Afrique : Cette nouvelle année débute par l’enterrement de Desmond Tutu. Comment l’Afrique du Sud vit-elle la disparition de cette figure de la lutte pour l’égalité ?
Achille Mbembe : C’est un pays qui s’interroge et qui a compris qu’il se trouvait désormais à un carrefour, tant l’archevêque Desmond Tutu aura été le symbole d’une certaine idée de cette nation.
Il portait l’idée d’une communauté en devenir par-delà les identités raciales, les inégalités économiques, les souffrances et les violences qui datent d’il n’y a pas si longtemps que cela. Surtout, il incarnait la conviction que le monde est à bâtir en commun. C’est pour cela que son décès ne touche pas seulement l’Afrique du Sud mais le monde entier.
Était-il selon vous la dernière grande figure africaine des luttes pour l’émancipation ?
Oui, et c’est pour cela qu’on a le sentiment qu’un cycle historique touche à sa fin. Nelson Mandela, comme Desmond Tutu, sont nés durant le premier quart de ce XXe siècle, qui aura été celui de la lutte anti-coloniale et des indépendances. Ces deux hommes ont symbolisé ces grandes causes. Tutu, qui en aura été la dernière voix survivante, vient de s’éteindre.
Un cycle historique se termine, dites-vous. Comment qualifieriez-vous celui qui s’ouvre ?
Ce qui est en jeu désormais, c’est de savoir si l’humanité sera capable de maintenir les conditions de son existence sur cette planète. Vu le péril écologique, c’est une question cruciale et urgente. L’Afrique est concernée au premier chef, car c’est le lieu privilégié où se manifestent ces nouvelles urgences, de la façon la plus injuste et la plus dramatique.
Le problème, c’est que l’on manque aujourd’hui de figures charismatiques qui mettent le doigt sur ces grandes questions et appellent à des ruptures historiques.