BRACELET ELECTRONIQUE, DE LA THÉORIE À LA CHEVILLE
Deux ans après avoir défendu le bracelet électronique comme solution à la surpopulation carcérale, Ismaïla Madior Fall en découvre les effets. Lorsque l'ironie du sort se combine à la mémoire infaillible des réseaux sociaux, la cruauté est au rendez-vous

(SenePlus) - Ismaïla Madior Fall, ancien ministre sénégalais de la Justice qui avait vanté les mérites du bracelet électronique à l'Assemblée nationale, en porte désormais un suite à son inculpation pour corruption présumée. Une ironie du sort qui fait le régal des réseaux sociaux.
L'issue de cette affaire dira si le bracelet électronique constitue finalement une chance pour Ismaïla Madior Fall. Quand il portait aux nues cette mesure devant les élus, le ministre précisait que « les cas de détournements de deniers publics » ne seraient pas « concernés » par le port du bracelet, sauf si l'on remboursait « l'intégralité des montants en question ».
Une précision qui, aujourd'hui, résonne avec une ironie particulière. L'ancien ministre de la Justice sous Macky Sall découvre désormais les effets de son innovation technologique sur sa propre cheville, après son inculpation par la Haute Cour de Justice pour « tentative de corruption ».
La scène remonte à l'adoption du budget 2023. Devant l'Assemblée nationale sénégalaise, Ismaïla Madior Fall défendait avec passion la modernisation de son département. Brandissant les composants d'un bracelet électronique, il lançait à la cantonade qu'on ne parlait pas « du futur » et que l'outil allait « régler le problème » de la surpopulation carcérale, grâce au « premier centre de surveillance des bracelets électroniques » d'Afrique de l'Ouest, comme le rappelle aujourd'hui Damien Glez dans sa chronique sur Jeune Afrique.
L'ironie peut parfois être cruelle, surtout quand elle s'accompagne de la mémoire implacable des réseaux sociaux. Deux ans et demi plus tard, le vent de la rupture politique ayant soufflé sur le Sénégal, l'ancien ministre se retrouve dans une situation pour le moins paradoxale. Assigné à résidence et inculpé, il porte désormais ce fameux bracelet qu'il présentait comme une innovation majeure.
Les charges qui pèsent sur Ismaïla Madior Fall concernent précisément ce projet qu'il défendait avec tant d'enthousiasme. Un promoteur immobilier et un ex-responsable du ministère de la Justice affirment qu'une avance de 50 millions de francs CFA – sur un total prévu de 250 millions – lui aurait été versée. Cette somme aurait constitué une garantie présumée que le marché public de la construction du centre de surveillance des bracelets électroniques serait octroyé aux présumés corrupteurs.
L'ancien ministre peut toutefois faire valoir qu'« en dépit de ce curieux bijou de cheville, il continue de bénéficier de la présomption d'innocence », note avec humour Damien Glez. Durant son mandat, il évoquait bien un usage de la surveillance électronique applicable à des « citoyens sénégalais sous instruction » dont la place ne serait pas en prison.
Ismaïla Madior Fall n'est pas seul dans cette tourmente judiciaire. Il devient le deuxième ancien membre de l'administration Sall à être inculpé par la Haute Cour de Justice. L'ancienne ministre des Mines, Aïssatou Sophie Gladima, a été écrouée pour un détournement présumé de 193 millions de francs CFA en rapport avec la gestion du Covid-19. Plusieurs autres anciens ministres sont poursuivis pour surfacturation de gels hydro-alcooliques ou de riz destiné aux ménages défavorisés. Mansour Faye, ex-ministre et beau-frère de Macky Sall, est également mis en accusation.
Cette série d'inculpations marque un tournant dans l'usage de la Haute Cour de Justice sénégalaise. Si cette juridiction spéciale avait déjà été activée en 1962 contre le président du conseil Mamadou Dia et en 2005 contre l'ancien Premier ministre Idrissa Seck – qui s'en était sorti avec un non-lieu –, son utilisation reste exceptionnelle. Les députés qui la composent ont été installés en décembre dernier, conformément à l'usage de chaque nouvelle législature.
Comme le souligne Damien Glez, « lorsque l'ironie du sort se combine à la mémoire infaillible des réseaux sociaux, la cruauté est parfois au rendez-vous ». La vidéo de l'intervention enflammée de l'ancien ministre, brandissant fièrement les composants du bracelet électronique au pied du perchoir, est devenue virale depuis son inculpation.
L'ancien ministre découvre désormais si son innovation technologique constitue une alternative moins cruelle que « la raillerie d'Internet ». Entre surveillance électronique et moqueries des internautes, Ismaïla Madior Fall expérimente malgré lui les deux faces de la modernité judiciaire qu'il prônait.