LA LIBERTE D’EXPRESSION ABSOLUE N’EXISTE PAS
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal a ses spécificités de valeurs éthiques ancestrales que personne ne peut transgresser. Il n’est pas décent de parler de suppression des libertés, de dictature. Ce nouveau régime n’a encore tué personne

Le Sénégal a compté d’illustres personnalités, qui ont acquis la notoriété par leurs actions ayant marqué l’histoire du pays, qui ont mérité d’avoir leurs noms donnés à des écoles, des collèges et lycées, des universités, des hôpitaux et centres de santé, des stades, des salles de théâtre, des salles de conférences, des avenues et boulevards … etc. Mais…
Une quête effrénée de popularité, de notoriété
Mais il se passe maintenant au Sénégal un phénomène étrange. Une obsession de paraître, une quête effrénée de m’as-tu vu, m’as-tu entendu, de la part de quidams qui papillonnent dans les studios de télévision et de radio, qui hantent les salles de rédaction des journaux écrits, envoient des messages sur les réseaux sociaux à partir de leurs téléphones portables avec leurs photos bien soignées. Tout cela pour se faire remarquer, faire parler d’eux, avoir leurs photos à la Une des journaux. Ils sont alors aux anges, alors qu’ils n’ont rien fait pour leur pays. Une certaine presse y a aussi sa part de responsabilité, en mettant en vedette, faisant de VIP des n’ayants rien fait.
Dans ce lot figurent des personnes qui cherchent à se faire un nom en mettant tapageusement en avant une expertise avérée ou douteuse.
Y figurent aussi des personnes qui ne pouvant se prévaloir d’aucun haut fait d’armes intellectuel, technique, sportif, artistique n’ont qu’un seul créneau de visibilité : l’impertinence, l’impolitesse, l’insolence, la diffusion de fausses informations.
On y trouve un politicien qui, bien que de confession musulmane, s’était illustré il y a quelques années contre l’Islam en déclarant que le prophète (psl) ne pouvait en rien être supérieur à ses parents. Ce qui lui avait valu une volée d’attaques de la part de musulmans, au point qu’il avait fini par se rétracter et s’excuser.
A la suite de l’élection de mars et novembre 2024, il nous revient avec des propos violemment discourtois à l’égard de près de deux millions et demi de Sénégalais (« peuple maudit ») qui avaient par leurs votes porté le parti adverse au pouvoir. Ce qui lui avait valu une sanction de courte privation de liberté.
Cette fois, c’est aux plus hautes autorités de l’Etat qu’il s’en prend en les traitant de « gougnafiers », (bons à rien, rustres, goujats, malotrus) ce qui n’est rien d’autre qu’une insulte, c’est-à-dire une parole qui offense, qui blesse la dignité (dictionnaire Larousse). Aucun de ceux qui le défendent n’accepterait d’être traité ainsi.
Pour lui, les jeunes qui ne sont pas de son bord, même ceux tombés sous les balles du régime précédent qu’il soutenait sont des « gens de l’enfer ». Lorsqu’il traite le régime actuel de nazi, on voit que ses connaissances de l’histoire sont plus que superficielles. Et tout cela au nom de la liberté d’expression ?
Pour une liberté d’expression absolue, sans limite
Malgré sa détention en garde à vue, il persiste à dire qu’il va continuer. Il est grand temps de mettre à contribution nos psychologues, psychiatres et psychanalystes sur son cas. Un personnage qui est l’instabilité même, si l’on s’en tient à son itinéraire professionnel et politique présenté par ceux qui le connaissent : chaque fois responsabilisé puis déresponsabilisé. S’il ne savait pas exactement le sens du mot qu’il a utilisé, mais sachant que ce n’est pas un compliment, par circonstances atténuantes, on peut lui souhaiter de s’en tirer avec une courte condamnation avec sursis.
Le plus étrange est de voir des personnes réputées sages le soutenir, l’encourageant à continuer, au nom de la liberté d’expression, demandant la suppression du délit d’offense au président de la République. Ils se placent dans la position extrémiste consistant à dire : Même si je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, vous avez le droit de le dire. Autrement dit, il est interdit d’interdire, comme le proclamaient les étudiants français gauchistes de Mai 68. Une société délétère, de libertinage, où au nom de la liberté de pensée on peut fouler aux pieds toute valeur culturelle éthique, morale.
On donne ainsi carte blanche aux mal élevés de tout acabit. Des enfants formatés dans ce modèle pourront insulter leurs maîtres d’écoles, leurs professeurs, les autorités religieuses toutes confessions confondues, et pourquoi pas, leurs parents. Les adultes sont toujours les modèles, les références des jeunes, dans un sens ou dans l’autre, en positif ou en négatif, pour le meilleur ou pour le pire.
Liberté d’expression et débat d’idées
On a invoqué une liberté d’expression absolue qui n’existe nulle part au monde. La liberté d’expression est toujours et partout relative, limitée, encadrée. C’est la position de tous les grands écrivains, philosophes, sociologues, anthropologues, pourtant fervents défenseurs de la liberté d’expression.
Le texte auquel on se réfère maintenant est la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
Un mot clé ici est ‘’idées ’’. La liberté d’expression doit s’exercer sur fond d’idées. C’est la confrontation d’idées, de pensées contraires qui a fait avancer l’humanité. Vérité d’hier, erreur d’aujourd’hui.
Des Sénégalais membres de la nouvelle opposition ont critiqué le Rapport de la Cour des Comptes, la Loi de Finances 2025… Ils ont exprimé des idées contraires. C’était leur droit. C’est ce qu’on attend d’une opposition politique responsable. Ils n’ont pas été inquiétés, n’ont pas été convoqués en justice. Ceux qui sont au pouvoir leur ont répondu, comme c’est leur droit. C’est une des marques de la démocratie.
Soyons justes ! Il n’est pas décent de parler de suppression des libertés, de dictature. Ce nouveau régime n’a encore tué personne. Nous revenons de loin avec ce qui s’est passé dans ce pays entre 2019 et 2023. Comme si le pays était en guerre. La plupart de ceux qui aujourd’hui s’agitent bruyamment dans l’évocation des droits de l’homme étaient moins bavards lors de la mise en branle de l’appareil de répression féroce (tueries, emprisonnements massifs) du régime précédent sur de jeunes sénégalais qui n’étaient pas de son bord. Du jamais vu dans l’histoire politique du Sénégal.
Un citoyen se réclamant de la société civile s’active en toile de fond dans la politique politicienne partisane et porte atteinte à l’image de la société civile. Par son omniprésence maladroite et désordonnée dans tout ce qui ressemble à un médiat, avec son obsession de paraître, il se démasque sans s’en rendre compte.
Diffusion de fausses informations
Certains Sénégalais sont aussi poursuivis en justice pour diffusion de fausses informations aux conséquences désastreuses. Comme le montre cet exemple.
En 1989, à la suite du meurtre de deux Sénégalais par des militaires mauritaniens à Diawara, département de Bakel, des jeunes à Dakar attaquent une boutique de Maures. La police alertée intervient très vite et les disperse. Le journaliste de RFI à Dakar déclare que les Mauritaniens sont en train d’être massacrés à Dakar : la fausse information. Aucun Mauritanien n’a été tué. Et d’ajouter que l’Etat ne peut pas mettre un agent de police devant chaque boutique de Maure, car à Dakar il y a plus de boutiques de Maures que d’agents de police. La fausse information reçue en Mauritanie déclenche une série d’attaques contre les Sénégalais présents dans le pays. Des Sénégalais informés par le même médiat font autant à Dakar contre les Maures. Finalement, à la suite de médiations, tout fut rentré dans l’ordre, mais on avait frôlé une guerre entre la Mauritanie et le Sénégal.
Les Mauritaniens avaient vraiment manqué de se référer à ce verset du Coran :
- O croyants, si un saay saay vous apporte une information vérifiez-la bien pour éviter par ignorance de porter tort à des gens (Coran 49 : 6)
Ce qui montre les dangers que peut susciter la propagation de fausses informations. Elle peut détruire des personnes, des amitiés, des familles.
Limites à la liberté d’expression
La liberté d’expression est limitée par des frontières. Elle ne doit pas se faire sur fond subjectif de haine, de méchanceté, de jalousie, de frustration, de dépit, de rancœur susceptible d’engendrer des répliques de violences physiques aux conséquences imprévisibles.
Au Sénégal, on ne parle que du Code pénal (que je n’ai jamais consulté) qui fait de délit l’offense au chef de l’Etat. On a tendance à oublier la loi suprême, la Constitution, qui a installé un garde-fou contre les dérives de la liberté d’expression. L’article 10 de la Constitution de 2001(laissé tel quel par la révision constitutionnelle de 2016) dit :
Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public.
La liberté d’expression ne peut être que relative, particulièrement chez nous. Il convient de ne pas coller à ce juridisme excessif, débordant, qui consiste à penser le Droit comme une entité autonome détachée de la société, sans rapport avec la société. Le Droit émane d’un socle culturel de valeurs éthiques et s’y applique. La coutume qui relève du culturel n’est-elle pas aussi une des sources du Droit ?
Le Sénégal a ses spécificités de valeurs éthiques ancestrales que personne ne peut transgresser. Pendant qu’on y est, pourquoi au nom de la liberté d’expression ne pas laisser les LGBT défiler, faire leur ‘’gay parade’’ comme à New York ? Quel est le président sénégalais qui ose nommer Premier ministre un homme qui déclare publiquement son homosexualité, comme en France ? Il me souvient d’un petit livre publié en France il y a une quarantaine d’années avec ce titre Comment tricher aux examens. Sans oublier les livres d’apprentissage de technique du suicide. Qui ose écrire de tels ouvrages au Sénégal ? Ces exemples sont donnés pour insister sur la spécificité culturelle du Sénégal, de l’Afrique.
Pourtant dans la France bien plus permissive, en novembre 1970, l’hebdomadaire satirique ‘’Harakiri’’ avait été interdit de parution pour manque de respect à l’égard d’un ancien président. La liberté d’expression absolue n’existe pas. Elle peut seulement être sélective. Si en 1989 l’auteur des Versets sataniques contre le prophète (psl) avait émis des propos discourtois à l’endroit de la Reine d’Angleterre, il aurait été exclu vers son Inde natale, dès sa sortie de prison.
Pour tout ce qui est du sociétal, le Sénégal a son ADN et sa carte d’identité, avec ses empreintes digitales que personne ne peut falsifier.
En conclusion de tout cela, le plus simple, le plus logique, le plus normal est que des personnalités sénégalaises hautement responsables et de tous bords se mettent en consensus pour bannir les insolences et les fausses informations dans l’espace public. Un premier rôle y est dévolu aux autorités religieuses.