LA PRÉSIDENCE DE LA BAD N'ÉTAIT PAS UNE AFFAIRE DE DIPLOMATIE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans la sous-région Afrique de l'Ouest francophone, les autres pays discriminés pendant la coloniale se sont mis à niveau. Le temps est arrivé où les Sénégalais sont tenus de faire place à d'autres talents africains

Depuis l'élection du candidat mauritanien Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), que n'a-t-on pas entendu ou lu ? Jamais une candidature sénégalaise à un poste régional ou international n'avait été l'objet d'une telle médiatisation.
Des journalistes ont parlé et continuent à parler de « défaite du Sénégal ». C'est comme si l'équipe nationale de football du Sénégal avait été éliminée à la Coupe d'Afrique des Nations par la Mauritanie. Alors que la compétition ici était entre cinq candidats. Certains qui n'arrivent pas à se départir de ce nombrilisme « Nous sommes les plus beaux, les plus gentils » ont du mal à digérer ce qu'ils considèrent comme une humiliation nationale. C'est aussi une aubaine pour la politique politicienne qui, ne s'embarrassant pas de réflexion, s'empresse de dénoncer une carence diplomatique du régime actuel.
La faute à une diplomatie chaotique ?
Adji Diarra Mergane Kanouté, ancienne vice-présidente de l'Union Interparlementaire (UIP), dans une brillante contribution, sans s'en prendre au régime actuel a une seule explication : la diplomatie. Une série de déconvenues diplomatiques serait à l'origine d'une série de revers pour les candidats sénégalais. Elle cite son propre cas, lorsqu'en 2023 elle a échoué à devenir la présidente de l'UIP dont elle était la vice-présidente. Elle évoque aussi d'autres cas.
Le Dr Ibrahima Socé Fall qui a échoué à devenir le Directeur de la région Afrique de l'Organisation mondiale de la santé. Mon collègue et ami Abdoulaye Bathily qui en 2017 n'a pas pu accéder au poste de président de la Commission de l'Union africaine. Si je l'avais rencontré à l'époque je lui aurais déconseillé de briguer la direction de cette institution qui n'est d'aucune utilité.
Le problème est à répétition paresseusement posé au niveau de la diplomatie.
Scepticisme à l'égard de candidatures sénégalaises
Lorsque Wade avait voulu forcer la candidature de Dr Eva Marie Coll pour la direction de l'Organisation mondiale de la santé (dont elle vient de recevoir un Prix distinctif), j'avais dit : elle n'a aucune chance.
Lorsqu'Oumar Seck, ancien footballeur de la Jeanne d'Arc de Dakar, puis président du club, ancien président de la Fédération sénégalaise de football, licencié ès Sciences économiques, ancien PDG de la Banque Sénégalo-Koweïtienne avait manifesté son intérêt pour le poste de Président de la Confédération africaine de football (CAF), j'avais dit : il n'a aucune chance.
C'est dès le départ que j'ai fait preuve de scepticisme à l'égard du succès de la candidature pour la BAD de notre compatriote Amadou Hott, en dépit de toutes ses références. Pour moi, il n'avait aucune chance. Le résultat ne m'a pas surpris.
Pourquoi ? Qu'est-ce qui fait que ces chevronnés compatriotes ne puissent pas accéder à ces postes ? C'est tout simplement parce qu'ils ont tous « la mauvaise nationalité ». C'est parce qu'ils sont Sénégalais.
Trop-plein sénégalais, « mauvaise nationalité »
Le problème de fond est que le Sénégal ne peut pas accaparer tous les postes à l'international. Il existe un trop-plein sénégalais.
Quelques rappels sont nécessaires :
- Cheikh Boubacar Fall a été le premier président directeur général de la Compagnie aérienne panafricaine « Air Afrique » de 1961 à 1973.
- Amadou Makhtar Mbow a été Directeur général de l'Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) de 1974 à 1987.
- Babacar Ndiaye a dirigé la Banque africaine de développement (BAD) de 1985 à 1995.
- Jacques Diouf a été Directeur général de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) de 1994 à 2011.
- Abdoulaye Seye Moreau a dirigé l'Association des Fédérations africaines de basketball (AFABA) de 1993 à 1998.
- Lamine Diack a été le président de l'Association internationale des Fédérations d'athlétisme (AIFA) de 1999 à 2015.
D'autres Sénégalais ont occupé des fonctions importantes à l'international.
Suprématie sénégalaise par la colonisation
Ces Sénégalais étaient tous des cadres éminents, chacun dans son domaine. Ne perdons pas de vue que pendant la période coloniale, le Sénégal, capitale de l'AOF abritait les établissements d'enseignement secondaire les plus importants en nombre et en qualité, de véritables fabriques de capital humain, intellectuel et sportif.
Au plan intellectuel, les premières figures qui viennent à l'esprit sont Cheikh Anta Diop, Léopold Senghor et Lamine Guèye premier Africain francophone Docteur en Droit, qui a enseigné dans une université française.
Les premiers Africains qui se sont illustrés en France dans l'athlétisme sont des Sénégalais : Lamine Diack (saut en longueur), Habib Thiam, futur homme politique (sprint), Papa Gallo Thiam (saut en hauteur), Pierre William (triple saut), tous champions universitaires de France et anciens élèves du Lycée Van Vollenhoven (actuel Lycée Lamine Guèye), temple de l'athlétisme dans la sous-région. Senghor et Cheikh Anta Diop ont aussi été des pensionnaires de cet établissement.
On ne peut pas parler de sprint sans évoquer Abdou Sèye, ancien champion de France et d'Europe, le premier Africain et Sénégalais médaillé olympique. Aux J.O. de Rome en 1960, il était arrivé troisième au 100 m, alors que tous les spécialistes le donnaient vainqueur. Il avait couru sous la bannière française parce que le Sénégal nouvellement indépendant n'avait pas encore de Comité olympique.
La Coupe d'AOF de football était le monopole de clubs sénégalais. Le basketball masculin comme féminin était dominé par les équipes nationales sénégalaises, véritables « dream teams » dans les années 1970 et 1980.
Le sénégal encore à l'ère néocoloniale
On peut ajouter sur la liste des Sénégalais ayant exercé des responsabilités internationales Abdou Diouf qui a été Secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF, de 2002 à 2014), dont l'ancien président français Jacques Chirac est le père fondateur.
Une élection qui n'a rien à voir avec une quelconque diplomatie sénégalaise sous Wade. Selon Frédéric Turpin, Professeur d'Histoire contemporaine à l'Université Savoie Mont Blanc, dans un article de « The Conversation », octobre 2024, C'est Jacques Chirac lui-même qui réussit à faire désigner au forceps Diouf alors que son concurrent congolais Henri Lopes paraissait mieux placé... Abdou Diouf est incontestablement pour Paris l'homme de la situation.
Ces faits méritaient d'être rappelés pour comprendre cette prééminence sénégalaise dans un passé relativement récent, ce « Sénégal d'autrefois », n'ayant rien à voir avec la diplomatie.
Mise à niveau d'autres africains et rééquilibrage
Pour ce qui est de la BAD, le candidat mauritanien, au niveau des références, n'avait rien à envier à aucun de ses quatre concurrents. Et il avait sur eux deux avantages. Sur eux tous, aucun Mauritanien n'avait jamais dirigé une grande organisation internationale. Sur le concurrent sénégalais, aucun pays n'a jamais eu par un de ses ressortissants à exercer à deux reprises la présidence de la BAD qui a déjà été dirigée par un Sénégalais.
C'est ce qui dans une certaine mesure explique l'élimination sans surprise et rapide du candidat tchadien à la présidence de la BAD, son compatriote Moussa Faki ayant été à la tête de l'Union africaine de 2017 à 2025. Un Ivoirien ne pouvait pas être candidat, son pays étant le siège de l'institution.
Les organisations régionales et internationales sont régies par des lois non écrites.
Il était courant d'entendre certains de nos compatriotes dire que tel ou tel ancien président du Sénégal était sur le chemin pour le poste de Secrétaire général de L'ONU. Comme si les postes étaient taillés pour le Sénégal.
Dans la sous-région Afrique de l'Ouest francophone, les autres pays discriminés pendant la coloniale se sont mis à niveau, et comment ! Le temps est arrivé où les Sénégalais sont tenus de faire place à d'autres talents africains.
Il faut que les cadres sénégalais des plus éminents tempèrent leurs ambitions de carrière à l'international pendant quelque temps. Aucune diplomatie ne peut enfoncer cette porte blindée qui leur est entrebâillée pour l'instant.
Le trop-plein sénégalais est en train de se déverser lentement et sûrement, tout en aménageant au compte-gouttes des postes à des cadres sénégalais hors du continent. Comme l'atteste la nomination récente du Professeur Alioune Sall à la vice-présidence de la Commission de Droit international de l'ONU. Je m'en réjouis et le félicite. C'est par un long cheminement professionnel qu'il y est arrivé.
Là aussi, rien à voir avec la diplomatie.