«L’APPEL AU DIALOGUE PERMET DE CONSTRUIRE DES CONSENSUS FORTS»
El Hadj Momar Sambe, connu pour son slogan « Réew dañ koy péncoo, ken du ko pàccoo », est d’avis que l’appel à la concertation nationale lancé par Macky Sall revêt un caractère fondamental, d’envergure stratégique.

Pour le leader du Rassemblement des travailleurs africains-Sénégal (Rta/S), le dialogue permettra de construire des consensus forts autour des enjeux et défis de notre pays. El Hadj Momar Sambe, connu pour son slogan « Réew dañ koy péncoo, ken du ko pàccoo », est d’avis que l’appel à la concertation nationale lancé par Macky Sall revêt un caractère fondamental, d’envergure stratégique.
L’Assemblée nationale vient d’adopter le projet de loi constitutionnelle portant suppression du poste de Premier ministre. Quelle lecture en faites-vous ?
Je me suis posé trois questions : Pourquoi la réforme ? Est-ce qu’elle donne des pouvoirs nouveaux au président de la République ? Est-ce qu’elle diminue les pouvoirs de l’Assemblée nationale ? J’ai abouti aux réponses suivantes. Avec la réforme, on supprime l’échelon intermédiaire (Premier ministre) entre le président de la République et le gouvernement (ministres), permettant ainsi au président d’être en contact direct avec le niveau d’application (ministres) des politiques qu’il définit lui-même et de répondre aux attentes du peuple avec plus de rapidité. Ainsi, il se met au-devant et assume pleinement ses responsabilités de superviseur de ses politiques mises en œuvre par le gouvernement qui, en tant qu’institution, est maintenu et garde les mêmes attributs et attributions. Le président, en tant qu’institution, conserve son statut et ses pouvoirs. La réforme ne lui confère aucun pouvoir supplémentaire ; au contraire, elle le déleste de son pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale. Cette dernière, en tant qu’institution, continue d’exercer son contrôle sur le gouvernement à travers les commissions d’enquête, les questions écrites, orales ou d’actualité, mais perd le pouvoir de faire tomber le gouvernement, par la question de confiance et la motion de censure. La réforme établit un équilibre parfait entre l’exécutif et le législatif et met fin à une incohérence, une sorte d’hypocrisie institutionnelle : le gouvernement qui ne définit pas la politique de la nation, ne peut pas et ne doit en répondre devant l’Assemblée nationale. Cette réforme est un outil pour servir mieux les intérêts des populations. Je l’approuve et félicite les députés de l’avoir adoptée.
Vous disiez très souvent « Réew dañ koy péncoo, ken du ko pàccoo ». Que reste-t-il de ce slogan au moment où vous êtes passé de l’opposition à la majorité présidentielle ?
Ce slogan est encore actuel et le demeurera toujours. Il fait partie de ces maximes impérissables et d’envergure universelle. C’est une vérité qui ne m’appartient pas ; les gens ont une fâcheuse tendance à personnaliser les questions. Plus grave encore, ils ont une vision manichéenne de la vie. Ma conviction est que ce slogan, approprié par beaucoup de nos concitoyens, doit être un idéal de vie et de combat pour tout homme épris de progrès et de justice. En vérité, qu’on soit de l’opposition ou du pouvoir, tout démocrate conséquent devrait en épouser le sens et en faire une raison d’engagement pour la vie. Cet aphorisme signifie littéralement qu’un pays ne se gère pas pour l’intérêt de particuliers qui se partagent ses ressources au détriment de la majorité ; au contraire il doit être géré pour l’intérêt de toute la communauté. Il traduit une vision, une philosophie politique : gestion démocratique pour l’intérêt du peuple, du collectif à l’opposé d’une gestion personnelle, clanique. Cela rejoint pour l’essentiel « un Sénégal de tous, un Sénégal pour tous ». Pour nous, les ressources du pays doivent profiter à tous les Sénégalais. Et c’est ce que le régime de Macky Sall expérimente depuis qu’il est au pouvoir, à travers les politiques mises en œuvre dans tous les domaines. Ce sont ces politiques d’intervention de l’État, de subvention des prix, de protection sociale des personnes vulnérables, de promotion de l’équité territoriale, en opposition aux politiques du « moins d’Etat » du Fonds monétaire international (Fmi) et de la Banque mondiale, qui donnent son sens véritable au concept du « Péncoo » en tant que réalité économique et sociale.
Par tradition, le Sénégal est un pays de dialogue. Le président Senghor lui-même disait souvent que « le Sénégal est un pays de dialogue ». Est-ce qu’il y a une chose qui cloche ?
Notre pays a une longue tradition de dialogue. Notre histoire politique est jalonnée de faits qui ont permis d’ancrer dans les esprits le sens du dialogue, de la recherche du compromis. C’est une caractéristique de notre culture, un trait de la personnalité sénégalaise. Mais, comme pour beaucoup d’autres questions, dans tous les domaines, notre pays a connu des changements dans les comportements et dans les esprits. Il y a de plus en plus un refus de la réalité objective. Les désirs et ambitions personnelles prennent le dessus sur l’intérêt collectif. Ces petits égoïsmes, au nom de l’intérêt de corps, de camp politique ou idéologique, quel que soit le drapeau sous lequel ils sont promus, sont irresponsables et parfois criminels.
Le 28 mai est la journée nationale du dialogue au Sénégal, pensezvous que l’appel au dialogue du chef de l’Etat pourra enfin être entendu par l’opposition ?
Le dialogue national auquel appelle le chef de l’Etat ne s’adresse pas exclusivement à la classe politique. Il s’adresse plus largement à toutes les forces vives de la nation. Car, il s’agit de construire un consensus fort autour des enjeux et défis de notre pays pour créer les conditions d’une mobilisation large et profonde de tous les acteurs de la nation, capables de relever les défis majeurs du développement inclusif. Sans une telle mobilisation, il n’est pas possible d’atteindre l’objectif ainsi fixé. Comprendre cela, c’est bien saisir les contraintes qui assaillent tous les pays, ceux en voie de développement encore plus. La mondialisation n’offre pas beaucoup de marge de manœuvre, les menaces en tout genre nous assaillent de toutes parts. Comprendre cela, c’est être conscient de la vulnérabilité de notre pays qui, dans beaucoup de domaines, demeure encore dans une grande faiblesse. Et sans une unité nationale solide, il serait difficile de s’en sortir. Une telle conscience exige un sens élevé des responsabilités pour tout citoyen qui se dit patriote. J’ai bon espoir qu’une bonne frange de l’opposition répondra à l’appel.
Les pays pétroliers africains sont souvent plus exposés et par conséquent plus fragiles. Avec la découverte et l’exploitation en vue du pétrole et du gaz au Sénégal, quelle posture doit prendre la classe politique nationale pour tirer profit de ces ressources ?
Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, aucun pays pétrolier n’échappe à la convoitise des puissances d’argent et des multinationales. Elles sont prêtes à mettre à feu et à sang des pays, à les plonger dans le chaos, à assassiner leurs dirigeants pour mettre la main sur cette richesse stratégique qu’est le pétrole. C’est dire que le Sénégal, qui entre dans le cercle restreint des pays pétroliers, est devenu un objet de convoitise de la part des multinationales, des puissances étrangères qui n’hésiteraient pas, si la situation l’exigeait, à créer les conditions d’une déstabilisation, voire d’une partition pour s’accaparer de nos ressources. Rappelez-vous comment les guerres civiles ont été fomentées au Nigéria et au Congo, et comment le Soudan a été divisé en deux. C’est pourquoi, l’appel à la concertation nationale sur le pétrole et le gaz lancé par Macky Sall revêt un caractère fondamental, d’envergure stratégique. La posture démocratique et patriotique de la classe politique est donc de rallier cette exigence de responsabilité historique. A moins qu’on ne veuille travailler pour des intérêts étrangers…
Tout comme l’absence de dialogue, les fakenews constituent une menace pour la démocratie sénégalaise. Est-ce que le Sénégal, à l’image de certains pays comme la France, ne devrait pas commencer à prendre des mesures juridiques contre cette nouvelle tendance ?
On a pu voir, lors de la dernière campagne électorale, comment on a été confronté à la fabrique, à quantité industrielle, de fakenews dans le but de porter préjudice au candidat Macky Sall. Aujourd’hui, des gens malintentionnés se cachent derrière l’anonymat de leur clavier pour proférer injures et insanités à l’encontre de paisibles citoyens. Invectives, diatribes et caractérisations faciles et injurieuses prennent la place d’arguments bien réfléchis. Sans le savoir, on crée des sectes fanatisées qui sont l’objet de toutes les manipulations. Si l’on n’y prend garde, des familles vont imploser et la société avec. Dès lors, prendre des mesures juridiques pour les protéger devient un devoir citoyen pour l’Etat et les citoyens. Nous sommes tous en danger ! A mon avis, les députés devraient s’autosaisir de la question, sans attendre l’exécutif. Les citoyens également pourraient initier une pétition dans ce sens.