L'ARGENT DES ONG PASSÉ AU CRIBLE
Plus de 75% des financements des ONG sénégalaises seraient d'origine étrangère, selon une déclaration qui a fait le buzz en avril. Ouestaf News a mené l'enquête pour vérifier cette affirmation qui interroge l'indépendance de la société civile du pays

(SenePlus) - Dans le paysage complexe de la société civile sénégalaise, une déclaration choc a retenu l'attention d'Ouestaf News. Malick Diop, directeur exécutif de la Plateforme des acteurs non étatiques du Sénégal, a affirmé lors d'une émission sur Radio Futurs Médias le 14 avril 2025 que "plus de 60 à 75 % des financements de la société civile, des ONG, c'est des financements extérieurs". Une allégation qui mérite examen.
Contacté par Ouestaf News, Malick Diop a expliqué que ses chiffres provenaient du "Rapport annuel citoyen sur la contribution de la société civile dans les politiques publiques" (Rascipp) couvrant l'année 2023. Cependant, la vérification de cette source réserve une surprise : "ce rapport ne mentionne pas les chiffres évoqués par Malick Diop dans l'émission de RFM", constate Ouestaf News.
Le journaliste de vérification a donc approfondi l'enquête en consultant le Rascipp I, qui concerne l'année 2022. Ce document, basé sur "un échantillon de 132 ONG", présente des données différentes : "53 % proviennent de l'international, 38 % du national et de l'international ainsi que 9 % du national", indique le rapport.
Ces chiffres, bien qu'ils montrent effectivement une prédominance des financements extérieurs, ne correspondent pas aux "60 à 75 %" avancés par Malick Diop. Comme le note le rapporteur factuel de Ouestaf News, "les chiffres évoqués dans l'émission radio ne se trouvent dans aucun des deux rapports consultés".
La question se complique quand on essaie de définir ce qu'est exactement une ONG au Sénégal. Selon le décret en vigueur depuis septembre 2022, les ONG "sont des associations ou organismes privés, régulièrement déclarés ou autorisés, à but non lucratif, ayant pour objet d'apporter leur contribution à la politique nationale de développement économique, social et culturel".
Mais la confusion persiste entre ONG et organisations de la société civile (OSC). Les auteurs du Rascipp II reconnaissent eux-mêmes que "la société civile est une notion mondialement utilisée qui renvoie à une réalité imprécise et protéiforme". Henriette Niang Kandé, historienne et journaliste, explique que "si les ONG constituent une part importante de la société civile, celle-ci ne peut se composer uniquement d'elles".
Des chiffres contradictoires
Ouestaf News a également mis en évidence des divergences dans le nombre d'organisations recensées. Le site de la Plateforme des acteurs non étatiques avance "3.200 associations, 659 ONG", tandis que le Rascipp II mentionne "quelque 700 ONG internationales et nationales et plus de 32.000 associations". Des données d'archives de l'USAID parlent quant à elles de "plus de 10 000 associations et 589 organisations non gouvernementales".
Cette confusion des chiffres rend difficile toute analyse précise, comme le note le ministère sénégalais de l'Intérieur qui, sollicité par Ouestaf News, n'a pas fourni de données officielles malgré plusieurs relances.
Malgré l'imprécision des pourcentages exacts, plusieurs acteurs de terrain confirment la dépendance aux financements étrangers. Birahim Seck, coordonnateur du Forum civil (branche sénégalaise de Transparency International), reconnaît que "l'essentiel des fonds à la disposition des organisations venait de l'étranger".
Babacar Guèye, président du Collectif des organisations de la société civile pour les élections (Cosce), précise que les financements du Cosce proviennent pour "l'essentiel de l'UE, de la Grande-Bretagne et de l'USAID". Il explique que les rares financements nationaux se limitent à de "petites subventions" insuffisantes pour "mener à bien leurs activités".
Cette situation s'explique par "l'absence d'un dispositif dédié au financement de la société civile au niveau national", comme l'analyse Birahim Seck du Forum civil. Une problématique d'autant plus aiguë que certains financements internationaux, comme ceux de l'USAID, sont aujourd'hui menacés suite aux décisions de l'administration Trump.
Une autonomie en question
Le dernier rapport disponible sur l'indice de durabilité des OSC confirme que "les OSC sénégalaises dépendent principalement des financements étrangers". Les partenaires principaux identifiés sont "l'UE, ses États membres, les États-Unis, le Canada, le Japon et la Corée", avec des contributions moindres des "institutions multilatérales, dont les Nations unies, la Banque africaine de développement et la Banque mondiale".
Cette dépendance soulève des questions cruciales sur l'autonomie réelle de la société civile sénégalaise et sa capacité à représenter les intérêts nationaux sans être influencée par des agendas externes.
Comme le conclut Ouestaf News dans son fact-checking, il est "difficile de se prononcer" sur les chiffres exacts avancés par Malick Diop faute de données officielles, mais "les témoignages recueillis et documents consultés permettent de confirmer qu'une grande partie des fonds destinés aux organisations de la société civile sénégalaise viennent de l'étranger".