VIDEOLE SÉNÉGAL A-T-IL RENONCÉ À SON RANG ?
Yoro Dia dresse un constat alarmant de la diplomatie sénégalaise. Le politologue regrette l'abandon progressif de l'héritage diplomatique senghorien et appelle à un retour aux fondamentaux qui ont fait du pays une voix respectée à l'internationale

Dans un entretien accordé à Pape Alioune Sarr lors de l'émission "BL Podcast", Dr Yoro Dia, ancien ministre et docteur en sciences politiques, a livré une analyse lucide de la diplomatie sénégalaise et de son évolution à travers les différentes présidences.
"Le Sénégal est un pays de très grande diplomatie. C'est une réalité devenue possible grâce à notre premier président", affirme d'emblée Yoro Dia. Selon lui, Léopold Sédar Senghor a su comprendre que la géographie unique du Sénégal - pays situé à la "porte de l'Afrique", face aux Amériques et à quelques heures de l'Europe - imposait naturellement une politique d'ouverture. Le principe senghorien "d'enracinement et d'ouverture" a ainsi fondé une diplomatie qui a donné au Sénégal un rayonnement international inversement proportionnel à son poids économique.
Cette tradition diplomatique s'oppose frontalement au "souverainisme" prôné par certains dirigeants actuels. Pour Dr Dia, cette posture est anachronique pour un pays comme le Sénégal qui a accédé à sa souveraineté internationale en avril 1960. Contrairement aux pays enclavés comme le Mali, le Burkina ou le Niger, le Sénégal est naturellement tourné vers l'extérieur : "On discute avec tout le monde. On peut être amis, on peut être alliés, mais on n'est jamais alignés. Le Sénégal n'a jamais été dans des histoires de camp, de bloc."
L'expert rappelle que le Sénégal représente une "exception" précieuse en Afrique et dans le monde. Pays majoritairement musulman ayant eu un président catholique pendant vingt ans, démocratie stable dans une région troublée, le Sénégal a toujours eu pour "destinée manifeste" de battre en brèche les thèses culturalistes affirmant l'incompatibilité entre islam et démocratie, ou entre Afrique et multipartisme.
La diplomatie sénégalaise a connu différentes phases. Si Senghor l'a fondée sur la culture et le dialogue, Abdou Diouf l'a davantage militarisée avec des interventions en Gambie et en Guinée-Bissau. Sous Macky Sall, la diplomatie s'est orientée vers le développement économique et la démocratisation des pays voisins, transformant progressivement "le premier cercle de feu" frontalier en "un cercle de paix en attendant d'en faire un cercle de prospérité".
Yoro Dia regrette cependant que le Sénégal ait aujourd'hui "disparu des radars" diplomatiques africains et mondiaux. "Quand on renonce à ses principes, quand on renonce à ses valeurs, quand on renonce à sa destinée historique, on devient un pays banal", déplore-t-il. Le Sénégal devrait, selon lui, retrouver son rôle historique de médiateur et de défenseur des valeurs démocratiques en Afrique, plutôt que de s'aligner sur les régimes autoritaires voisins.
"La force du Sénégal dans le monde, c'est de dire que nous sommes africains et démocrates, nous sommes musulmans et ouverts", insiste le politologue, appelant à une diplomatie fondée sur la "clarté morale" et la défense des valeurs sénégalaises, au-delà des fluctuations de l'opinion publique.
Dans un monde marqué par la montée des "entrepreneurs identitaires", le journaliste de formation voit le Sénégal comme "une chance pour le monde", un modèle démontrant qu'un pays peut être à la fois musulman, démocratique et stable. Une vision que les dirigeants actuels devraient, selon lui, réaffirmer avec force sur la scène internationale.