L'INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE, UNE FICTION DÉMOCRATIQUE
Les régimes successifs refusent « l'affranchissement » du pouvoir judiciaire. Le Pastef avait promis un changement de paradigme. Mais apparemment, les réalités du pouvoir sont en train de concasser certaines convictions

La dernière sortie du Premier ministre Ousmane Sonko a fait couler beaucoup d'encre. Et force est de dire qu'à ce titre, il y a une divergence flagrante entre le Premier ministre Ousmane et le président de la République Bassirou Diomaye sur le fonctionnement de la Justice. Ainsi, mille et une questions se posent sur les promesses d'une indépendance de la Justice.
Utopie ou réalité ? L'indépendance de la Justice serait-elle juste un produit de marketing politique déclamé par les candidats lorsqu'ils sont à la conquête du pouvoir ? Concernant le Sénégal en tout cas, cette question mérite réflexion, surtout avec le débat ambiant ces derniers jours.
En effet, au-delà de l'émoi suscité par sa dernière sortie médiatique, le Premier ministre Ousmane Sonko a mis en exergue son désaccord par rapport au fonctionnement et au manque de célérité de la Justice. Dénonçant même une justice sélective par rapport aux affaires judiciaires en cours. Et la réponse du chef de l'État Bassirou Diomaye Faye montre clairement une différence d'approche entre lui et son Premier ministre concernant le pouvoir judiciaire. Quand le président Bassirou Diomaye Faye réaffirme sa volonté de voir une justice indépendante, ne touche-t-il pas le nœud gordien de sa divergence avec Ousmane Sonko ?
Qui a tort ? Qui a raison ? La question reste en l'état. Toutefois, force est de dire que si cette question divise, c'est parce que l'indépendance totale de la Justice ne fait pas l'unanimité au sommet de l'État et de la mouvance présidentielle. Et si au Sénégal, l'indépendance de la Justice est garantie par la Constitution, notamment à travers l'article 90 qui dispose que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif », son effectivité bute souvent sur les réalités du pouvoir. Ainsi malgré l'arrivée d'une nouvelle équipe dirigeante à la tête du pays, les conditions préalables d'une indépendance effective de la justice ne sont pas toujours remplies. À la pression exercée par le tout puissant Premier ministre du Sénégal Ousmane Sonko viennent se greffer d'autres vices rédhibitoires à une indépendance totale. Le président Bassirou Diomaye Faye, même s'il affiche une volonté de ne pas avoir une mainmise sur le pouvoir judiciaire, préside toujours le Conseil Supérieur de la Magistrature. À cela s'ajoute le fait que le ministère de la Justice a toujours une influence sur la carrière des magistrats. Dans le même ordre d'idées, les procureurs sont souvent sous l'autorité du ministère de la Justice (l'article 7 de la Loi 2027-10 du 17 janvier 2017 dispose que « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du ministre de la Justice »). Ce qui inhibe souvent leur capacité à agir de manière indépendante, surtout dans les affaires politiquement sensibles qui d'habitude font couler beaucoup d'encre. Les vicissitudes de la vie politique ces dernières années foisonnent d'exemples qui ont failli amener le pays au bord du gouffre.
Le Pastef avait promis un changement de paradigme profond, une fois arrivé au pouvoir. Mais apparemment, les réalités du pouvoir sont en train de concasser certaines convictions d'hier. Par ailleurs, il faut dire qu'au Sénégal, tous les régimes qui se sont succédé avaient déclaré haut et fort souscrire à l'indépendance de la Justice pour asseoir la séparation des pouvoirs qui est consubstantielle à une démocratie qui se veut respectable. Mais à la lumière de la marche de l'histoire politique du Sénégal depuis les indépendances, les régimes successifs refusent « l'affranchissement » du pouvoir judiciaire. Et l'indépendance de la Justice reste toujours un vœu pieux. Le nouveau régime incarné par le tandem Diomaye-Sonko n'échappe pas à la règle.