MACKY ET L'EXCEPTION SÉNÉGALAISE
Alors que Macky Sall s’apprête à prendre la présidence tournante de l’Union africaine (UA), en février 2022, c’est un pays tout à la fois exemplaire et novice qui se retrouvera confronté à des tourments qu’il n’a, lui-même, jamais expérimentés

Macky Sall assumera, à partir de février 2022, la présidence tournante de l’Union africaine et les défis sécuritaires, politiques, économiques et sanitaires ne manquent pas.
Au sein de la Cedeao, le Sénégal fait figure de double exception. Parmi les quinze pays qui la composent, il est en effet le seul, avec le minuscule et insulaire Cap-Vert, à n’avoir jamais connu de coup d’État depuis son indépendance, en 1960. Un statut de bon élève, dans une classe très agitée, qui lui vaut depuis toujours une aura internationale qui fait parfois grincer les dents de certains « cousins à plaisanterie » influents de la sous-région.
Le Sénégal est aussi l’un des pays ouest-africains qui, malgré sa position géographique périlleuse – aux portes du Sahel – et une population à 90 % musulmane, sera parvenu jusqu’ici à tenir à distance la menace jihadiste quand le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Nigeria ou encore la Côte d’Ivoire n’ont pas eu cette chance.
Alors que le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, vient d’achever une tournée continentale à Dakar et que Macky Sall s’apprête à prendre la présidence tournante de l’Union africaine (UA), en février 2022, succédant ainsi au Congolais Félix Tshisekedi, c’est donc un pays tout à la fois exemplaire et novice qui se retrouvera confronté à des tourments qu’il n’a, lui-même, jamais expérimentés.
Coup d’État au Soudan, crise politique et militaire en Éthiopie, intervention du Rwanda et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) au Mozambique face aux Shebabs, conflits latent en Centrafrique, foyers de rébellion toujours vivaces en RD Congo… Le Sénégal aura fort à faire, tandis qu’à ses propres frontières, deux régimes putschistes, désormais tenus par les militaires – en Guinée et au Mali –, sont actuellement suspendus par les instances de la Cedeao.
Patron régional
« Exempt de coup d’État, le Sénégal, qui a connu deux alternances démocratiques depuis 2000, fait effectivement figure d’exception dans la sous-région, analyse Vincent Foucher, chercheur en science politique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattaché au laboratoire Les Afriques dans le monde, à Sciences Po Bordeaux, et fin connaisseur du Sénégal. Grâce à cette exceptionnalité, le pays est devenu un partenaire privilégié pour un certain nombre d’acteurs internationaux. Il a de la présence et de l’influence dans les arènes internationales qui comptent : à la Cedeao, à l’UA, au Conseil de sécurité des Nations unies… Il peut donc en tirer un profit diplomatique face à ses voisins turbulents, tenter d’être une sorte de “patron” régional. Tantôt il se place en médiateur ou en facilitateur avec un nouveau régime encore fragile, comme Abdoulaye Wade avait essayé de le faire en Mauritanie après le coup d’État de 2008, ou en Guinée après la prise de pouvoir de Moussa Dadis Camara, ou encore comme Macky Sall l’a fait en Guinée-Bissau après le coup d’État de 2012. Tantôt il peut aussi adopter une posture raide, à l’instar de ce qu’a fait Macky Sall face à Yahya Jammeh, en Gambie, à la fin de 2016. »
Îlot de stabilité politique, le Sénégal est en effet entouré de pays dont les soubresauts se répercutent sur son propre équilibre. Lorsque le Mali, son principal partenaire économique – dont les approvisionnements extérieurs transitent essentiellement par le port de Dakar –, se retrouve placé sous embargo par la Cedeao, Dakar en subit le contrecoup.
C’est pourquoi Macky Sall s’était initialement montré réticent à imposer une telle mesure à son voisin au lendemain du putsch du 18 août 2020. Sa position a toutefois évolué : « Le président n’accepte pas que les putschistes cherchent à jouer avec les délais, confie l’un de ses proches. Ceux-ci ne comptent manifestement pas rendre le pouvoir de sitôt et ça le contrarie beaucoup. »
Quant à la relation de son pays avec la Guinée, laquelle a connu des hauts et des bas au cours des dernières années – le président déchu, Alpha Condé, soupçonnant Dakar de se montrer trop accueillante envers ses opposants et, en particulier, envers son vieux rival, Cellou Dalein Diallo –, elle aura tout de même connu une avancée depuis l’arrivée au pouvoir du colonel Mamadi Doumbouya. Le 29 septembre, la frontière entre les deux pays a en effet été rouverte, après un blocus qui aura duré près d’un an.