MÉDIATION ÉLECTORALE : DES MÉCANISMES DE GESTION POUR LA PACIFICATION DE L’ESPACE PUBLIC
L’histoire politique et des consultations électorales au Sénégal abonde en mécanismes locaux et internationaux de médiation pour une gestion participative et impartiale du processus électoral par les parties prenantes

Les missions de bons offices des médiateurs citoyens, régulateurs religieux et autres observateurs suscitent la confiance de l’électorat et garantissent l’intégrité du système électoral. Toutefois, s’ils ont fini de faire leur preuve dans la sphère publique, ils souffrent souvent d’une reconnaissance d’une partie des acteurs politiques en compétition qui doutent de leur impartialité.
L’histoire politique et des consultations électorales au Sénégal abonde en mécanismes locaux et internationaux de médiation pour une gestion participative et impartiale du processus électoral par les parties prenantes aux fins de pacifier le landerneau politique et par extension l’espace public. Pendant les deux décennies de règne du Président Léopold Sédar Senghor, des mouvements d’émancipation verront le jour. Leurs manifestations, clandestines, sont marquées par des affrontements violents et souvent lourdement réprimés. Ils vont se décupler sous le magistère de son successeur désigné Abdou Diouf, qui présidera le Sénégal pendant 20 autres années.
Le débat sur les fraudes électorales a connu son paroxysme après le scrutin présidentiel du 24 février 1988 qui a consacré la victoire du socialiste Abdou Diouf sur le « libéral » Abdoulaye Wade. Une élection qui a abouti à des émeutes sanglantes. Le climat social très tendu au Sénégal depuis les violentes manifestations soldées de morts confirmés du mois de mars dernier et la perspective des élections territoriales du 23 janvier 2022 a remis en selle les médiateurs sociaux. Avec les émeutes de mars, les cours ont été suspendus dans les écoles et universités, des signaux des chaînes de télévision privées coupées, des stations-services, des banques et des commerces pillés. Une situation qui avait fait réagir les religieux à l’image du Khalife général des Mourides qui a interdit toute manifestation dans la ville sainte de Touba. Face à l’escalade, les régulateurs sociaux comme le défunt médiateur de la République, feu Alioune Badara Cissé qui estimait que « cela va dans tous les sens et nous sommes au bord de l’apocalypse » et des défenseurs des droits humains, ont interpellé le Président de la République. Le Chef de l’État « doit reprendre vite la main, parler au peuple vite et prendre des décisions pour répondre à cette crise inédite », avait déclaré en son temps Alioune Tine de Africajom Center. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait aussi « exprimé ses vives préoccupations » et appelé « au calme et à la retenue toutes les parties prenantes pour une issue rapide et pacifique ».
Gérer les plaintes en amont
L’action de ces médiateurs et régulateurs consiste à anticiper et à gérer les plaintes, régler les erreurs de forme et résoudre promptement les questions qui peuvent être source de division pour préserver au mieux l’intérêt national. Selon Ababacar Fall du Groupe de recherche et d’action-conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), « ce qui importe, c’est moins la sanction que l’opportunité de la réaction. Il faut réagir promptement pour éviter que des troubles ne portent atteinte à la liberté fondamentale de l’électeur de faire un choix ». Pour lui, « seul un système électoral digne de confiance peut garantir l’existence d’une forme démocratique de gouvernement ». En outre, « ces régulateurs détermineront si l’engagement envers des élections libres, régulières et transparentes est réel et proposeront, le cas échéant, des solutions destinées à améliorer le processus électoral ». Tout en rappelant que « les tâches et opérations pré et post électorales régulières ne sont pas les seules composantes d’un système électoral libre, honnête et régulier », il estime qu’ « il faut aussi traiter promptement les différents types de contestations qui, inévitablement, seront élevées ». Elles peuvent porter sur « un déni du droit d’être candidat ou de voter, des tentatives faites pour limiter ou empêcher la participation électorale des citoyens, des cas de violation des règles ou d’intimidation, une mauvaise interprétation des lois ou procédures électorales, le comptage des voix, ou sur le fait que l’effet cumulé des irrégularités est tel qu’il vicie les résultats de l’élection ».
Selon le président-fondateur du think tank « Afrikajom Center », Alioune Tine, ce climat sociopolitique délétère au Sénégal relève de l’exaspération du fait partisan qu’on remarque dans l’État avec les effets pervers de l’immixtion des gestionnaires de fonds publics dans la sphère politique, le fonctionnement de la justice. Il a, en outre, relevé la privation d’exercer librement les libertés publiques consacrées par la Constitution, notamment le droit de marche suspendu au bon vouloir de l’autorité administrative. Il soutient qu’« il faut également au niveau de la démocratie et de l’espace civique, respecter quand même les libertés constitutionnelles ». Avec la fin des idéologies, « il n’y a plus en politique des hommes politiques qui représentent sociologiquement une base. Il n’y a plus de base sociale. Il n’y a plus d’idéologie », souligne-t-il. Qui plus est, « les coalitions qui ont supplée les partis politiques ». C’est pourquoi, poursuit-il, « une fois que vous gagnez, vous vous partagez les postes. Et même s’il y a alternance, on a des alternances sans alternatives ». Aussi, « le climat, qu’il soit politique, social, économique, est un climat qui est sombre », a-t-il conclu.