NOUS CONSTATONS DANS LE DISCOURS DES HOMMES POLITIQUES UNE MONTÉE DE LA HAINE ET DE LA VIOLENCE
Demba Thilel Diallo, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’Ucad, spécialiste en sciences du langage revient sur le contenu du discours des hommes politiques sénégalais avant de livrer sa recette quant à leurs contenus

Le discours politique renvoie à l’ensemble des paroles tenues publiquement par les professionnels de la politique. Il désigne donc les programmes partisans, les motions de congrès et plus généralement les discours électoraux. Mais de nos jours, le débat sur le contenu de ces discours s’impose. C’est la conviction de Demba Thilel Diallo, enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Pour lui, le discours politique doit contenir une morale citoyenne, une vérité épurée de toute haine malgré la tonalité employée. Dans cet entretien accordé à «L’As», le spécialiste en sciences du langage revient sur le contenu du discours des hommes politiques sénégalais avant de livrer sa recette quant à leurs contenus, surtout dans un contexte électoral.
En tant qu’enseignant-chercheur en Sciences du Langage, comment appréciez-vous le discours des hommes politiques d’aujourd’hui de manière générale ?
Pour mieux vous répondre, je vous propose une approche comparative entre la première génération et celle d’aujourd’hui. Il ne manquait certes pas de violences comme le témoignent les évènements de 1962 (arrestation de Mamadou Dia) ou de 1993 (Assassinat de Me Babacar Sèye) ; mais la première génération se caractérise, dans le discours, par la pondération, la retenue et la courtoisie malgré la situation à laquelle ces politiciens font face. Par contre, aujourd’hui, ce que nous constatons dans le discours des hommes politiques, et même de certains politologues (politiciens dissimulés), c’est la montée de la haine et de la violence verbale. Quand on voit des hommes politiques s’insulter publiquement, diffamer ou révéler des secrets d’Etat qui remettent en cause l’intégrité nationale, on comprend vite qu’ils se sont laissé aveugler par la colère, la frustration ou la haine. Écoutez Senghor ou Diouf, quelle que soit la situation à laquelle ils étaient confrontés, le discours n’était ni vexatoire ni colérique. Mamadou Dia est l’opposant ayant sans doute subi le plus d’injustices, car combattu et arrêté par Senghor, avec la complicité de certains marabouts. Toutefois, on ne l’a jamais entendu insulter ou prononcer des propos humiliants encore moins citer directement le nom d’un quelconque marabout l’ayant combattu, certainement pour ne pas choquer les disciples ou provoquer des soulèvements. Les 12 ans de prison ne l’ont pas amené, comme il l’a dit, à nourrir un ‘’sentiment de haine personnel’’ envers Senghor. Autre chose que les politiciens font exprès d’oublier s’ils y trouvent profit, c’est le cousinage à plaisanterie et le dialogue interreligieux et inter-confrérique. Ces deux dernières décennies, certains politiciens ont joué sur les fibres ethniques et religieuses (confrériques surtout) aux fins du pouvoir. La première génération en a fait (ces fibres) des leviers de stabilité sociale et non de suffrage électoral.
A votre avis, qu’est-ce qui explique que les discours soient devenus de plus en plus virulents et discourtois ?
En analyse du discours, la politique est quelque part perçue comme la conquête du pouvoir. Il faut donc mesurer le prix que certains sont prêts à payer pour l’obtenir (le pouvoir) et leur degré d’adhésion à la philosophie de Machiavel pour comprendre leurs comportements de ‘’pouvoiristes‘’, de manipulateurs, de larbin ou de tyran. Si, surtout dans le passé, certains n’hésitaient pas à massacrer, éliminer ou comploter pour le pouvoir, aujourd’hui et à coup sûr, c’est l’avancée de la démocratie qui les en empêche. D’autres sont capables de tenir n’importe quel discours (promesses démesurées, manipulations, mensonges, insultes) pour le pouvoir. Il manque aux politiciens d’aujourd’hui plusieurs qualités : la vocation et la détermination, la patience, la pondération, mais surtout l’esprit de tolérance. Autant ceux qui sont ‘’dans les affaires’’ (au pouvoir) sont arrogants, cyniques, comploteurs, autant ceux qui sont ‘’hors des affaires’’ (dans l’opposition) font preuve de violences verbales, de manipulations, de versatilité et de manque de discipline. Il semblerait même qu’il y ait une certaine organisation de part et d’autre pour assurer ces discours : le pouvoir qui refuse de punir des errements discursifs ou langagiers graves pour l’intégrité sociale, tenus par ses disciples, serait peut-être bien à l’origine, par des promotions en contrepartie ; certains opposants financeraient certains activistes pour multiplier les marches et les protestations. Quand on est un politicien qui participe à la gestion de la cité, on évite tout ce qui est susceptible de remettre en cause l’intégrité nationale. Si par contre la politique est assimilée à une fonction, un emploi, malheureusement, tout serait bon pour arriver à réaliser ses besoins selon les schémas de Maslow.
Quel doit être le contenu d’un discours politique, selon vous ?
Voyons ce qu’est un discours -politique- d’abord. Vous savez, tout discours obéit à des règles de formation ou de construction, des lois et modes d’organisation, qui fondent sa légitimité en tant que genre discursif. Il y a des contraintes psycho-sociolangagières (pour reprendre Charaudeau) qui gouvernent la production discursive. Par exemple, vous écrivez un roman pour enfant, vous êtes obligé de choisir un vocabulaire et des expressions qui soient adaptés. Vous comprenez pourquoi les énonciativistes vous disent que le lecteur est un co-énonciateur. Dans la pratique discursive, le journaliste organise une information, l’enseignant un savoir, le poète une œuvre d’art, mais l’homme politique a pour principal souci, et c’est de bonne guerre, d’organiser un discours persuasif par tous les moyens. Si le discours politique, à la suite de Claude Le Fort, est un ensemble de quatre phénomènes (moraux, sociaux, politiques et juridiques), il est réalisé dans un espace de trois contraintes. Il y a d’abord les contraintes de crédibilité (la construction d’un éthos de vérité, de sincérité, de bonne foi…) à laquelle il ne peut faillir ; ensuite, les contraintes de simplicité, par le choix d’un vocabulaire accessible et d’un langage compris par tous ; enfin, les contraintes de dramatisation, consistant à mettre en scène, à théâtraliser le discours politique (conquête, lutte) déplacé dans les médias ou ‘’arènes publiques’’, dirait Daniel Céfaï. Au regard de cela, on ne peut pas refuser que le discours politique vise une action, au sens concret, matériel, politique du terme car son idéal est de susciter des réflexes plutôt que des réflexions, des comportements politiques du type vote ou abstention, par exemple. En ce sens, le discours politique vise un impact d’ordre plutôt psychologique. La charge sémantique et performative du discours politique souhaite emporter la conviction, c’est-à-dire l’adhésion en cherchant avant tout à plaire, flatter, séduire ou émouvoir. Mais malgré tout, dans un intérêt beaucoup plus général, le discours politique doit contenir des réalités sociales liées à la gestion du pouvoir. Il doit accueillir le talent de concourir, par la parole, au bon gouvernement de l’Etat en persuadant, entre autres, les assemblées politiques des mesures qui sont utiles au bien ou à l’intérêt général. Malgré la tonalité employée, la volonté de conquérir ou de se maintenir à un quelconque pouvoir, il doit contenir une morale citoyenne, un projet de société, une lueur d’espoir, une vérité épurée de toute haine, une voie salutaire, dans un charisme et une pondération neutralisant toute initiative au soulèvement et à la violence.
Qu’est-ce que le Rimaddac et pourquoi avoir mis en place un réseau sur l’analyse du discours ?
Rimaddac, c’est le Réseau Interdisciplinaire des Masters et Doctorats pour leDiscours etl’Action Citoyenne. Association de fait pour le moment, Rimaddac est un groupe interdisciplinaire (journalistes, linguistes, politologues, juristes…) qui s’intéresse à la trilogie discours-politiquecitoyenneté. On a souvent réduit le discours politique à un moyen ou arme dont se sert l’homme politique pour se maintenir ou conquérir le pouvoir. Et les études, en général, cherchent à reconstituer les pratiques discursives en mettant l’accent sur les rapports ou liens sociaux, les régularités ou les contraintes discursives. C’est alors considérer naturellement l’homme politique comme acteur social, qui joue un rôle important dans les projets de société à tout point de vue : développement, culture, économie, paix et cohésion sociale. Ce qui nous amène sans transition à considérer la parole politique comme moteur essentiel dans ces projets de société interpellant directement le comportement (discours) des hommes politiques, surtout pendant les périodes électorales où les tensions refusent de se raréfier. Le discours politique devient alors un enjeu de taille où ce sont les peuples qui gagnent ou perdent dans l’édifice d’une quelconque cohésion sociale. Certains sujets, certaines promesses, certaines allusions-ethniques, religieuses ou diplomatiques sont souvent des questions très sensibles qui doivent interpeller la responsabilité des leaders. Malheureusement, nous les voyons considérer ces questions comme appâts pour briguer des voix aux fins du pouvoir. Une fois élus, la parole de promesse se substitue aux paroles de justification, de décision ou de dissimulation, mettant l’État et les peuples dos à dos, au détriment de la cohésion sociale. Nous pensons que les intellectuels sont aussi interpellés pour déconstruire les discours, conscientiser, alerter, former... voire mener des actions citoyennes en vue de participer à l’établissement d’une cohésion sociale. En ce sens, ils demeurent un pont vivant entre les hommes politiques et la société. C’est d’ailleurs tout le sens de notre réseau de recherche qui se fixe un certain nombre d’objectifs dont la réalisation, à coup sûr, contribuera farouchement à l’effort de paix et de stabilité, fondements de tout Etat de droit ou de toute démocratie. Avec des collègues, nous avons jugé nécessaire de mettre sur pied ce Réseau afin de jouer un rôle citoyen à côté des hommes politiques dont il faut aussi saluer l’engagement, car comme le dit Anouilh dans Antigone, il faut toujours qu’il y ait des hommes qui acceptent de ‘’mener la barque’’, au risque de la voir couler emportant tout au fond des gouffres.
Comment le Rimaddac peut-il contribuer à améliorer le discours politique sénégalais surtout en cette période électorale ?
Je pense que nous devrions nous aussi, pour un travail de conscientisation et de formation, occuper les espaces favoris des hommes politiques, notamment l’espace médiatique (celui des journalistes) et l’espace social (celui des électeurs). Nous partons du postulat selon lequel il y aurait une ligne discursive dans laquelle les hommes politiques pourraient inscrire les questions en évitant habilement de remettre en cause la cohésion sociale. Les comment construire le discours politique, dans leurs conquêtes du pouvoir (durant les élections surtout), sur les questions sensibles, orienteront nos recherches dans une certaine mesure. Il y aurait des sortes de mécanismes discursifs, d’universaux langagiers qui doivent s’imposer (moralement) aux hommes politiques, en tant que premiers acteurs dans la construction d’un Sénégal stable et pacifique, fondement du développement et du bien-être moral et matériel que nous souhaitons tous. Pour ce faire, nous voudrions mener des recherches pour mieux comprendre les performativités et manipulations dans le discours politique, particulièrement en Afrique. Par des formations ou séminaires, aider les journalistes et analystes politiques à intégrer les concepts opératoires de l’analyse du discours pour comprendre la parole politique, surtout dans sa dimension pragmatique. Grâce aux journalistes aussi, mettre en place une sentinelle d’alerte, suivant de près les événements politiques et les discours des leaders, pour prévenir les écarts, manipulations et risques de tension.