OUSMANE SONKO, DÉFENDEZ LA LIBERTÉ AU BURKINA
EXCLUSIF SENEPLUS - Ils sont nombreux à avoir subi et continue de subir les foudres d’un pouvoir allergique à la contradiction. Il s’agit de s'ériger contre l’autoritarisme dont vous connaissez les effets dévastateurs

Lettre ouverte à Monsieur le Premier ministre du Sénégal, M. Ousmane Sonko.
À l’occasion de votre visite au Burkina Faso pour prendre part entre autres activités diplomatiques à la cérémonie d’inauguration du mausolée de Thomas Sankara, figure de proue de la souveraineté en Afrique, je tiens à vous adresser ce message avec respect, mais aussi avec une profonde inquiétude face à la situation que vit nos amis.
Vous le savez sans doute déjà : votre avocat, Maître Guy Hervé Kam, défenseur infatigable des droits humains, est toujours détenu de manière arbitraire depuis le 10 juillet 2024 par les autorités militaires burkinabè. Cette détention injuste, dénoncée à de nombreuses reprises par des organisations de la société civile et par des défenseurs des droits humains, constitue une violation flagrante des libertés fondamentales et de l’État de droit.
Petit rappel des faits. Le coordonnateur national du mouvement politique "Servir et non se servir" (Sens) avocat et cofondateur du collectif Balai Citoyen, Me Guy Hervé Kam, est emprisonné sous des accusations de "complot et association de malfaiteurs" sans aucun fondement et hors de toute procédure régulière.
Nous vous appelons solennellement à porter sa cause et si le protocole le permet à vous exprimer publiquement en faveur de sa libération, ainsi que celle de tous les militants pro-démocratie, journalistes, activistes et citoyens emprisonnés pour avoir simplement exercé leur liberté d’expression. Ils sont nombreux à avoir subi et continue de subir les foudres d’un pouvoir allergique à la contradiction. La liste est longue. Toutefois, je tiens à citer quelques noms de militants et de journalistes enlevés et envoyés soit au front soit dans des endroits inconnus :
Le 24 mars 2025, trois journalistes, Guézouma Sanogo, Boukari Ouoba et Luc Pagbelguem, ont été enlevés dans les locaux du Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ). Ils ont été conduits vers une destination inconnue par des individus se présentant comme des agents des services de renseignement. Cet enlèvement est survenu trois jours après leurs dénonciations publiques concernant de la situation de la liberté de la presse et l’ingérence croissante du pouvoir dans les médias. Et comble du désarroi, au lendemain de leurs arrestations, le gouvernement a décidé de dissoudre l’Association des journalistes du Burkina (AJB), justifiant cette mesure par une non-conformité avec une loi de 2015 régissant les associations.
Par ailleurs, en 2024, plusieurs journalistes et figures des médias ont déja été enlevés et portés disparus, parmi lesquels Atiana Serges Oulon, Bienvenu Apiou, James Dembélé, Mamadou Ali Compaoré, Kalifara Séré, Adama Bayala. Tous étaient connus pour être critiques envers la junte au pouvoir.
Le Burkina Faso bénéficiait jusque-là d'un paysage médiatique dynamique, professionnel et pluraliste. Le pays comptait plus de 80 journaux (Sidwaya, L'Événement, Le Pays), 185 radios (Omega FM), une trentaine de chaînes de télévision (Radiodiffusion Télévision du Burkina, BF1) et plus d’une centaine de sites d’information (faso.net, Faso 7, Burkina 24, faso check...). Dans le dernier classement de Reporters Sans Frontières, le pays occupe la 105eme place sur 180. Et comme le dit les rédacteurs de ce rapport, « le traitement patriotique de l’information cher au capitaine Ibrahim Traoré, président de transition, a pris le pas sur la possibilité d’exercer un travail journalistique rigoureux. »
La répression ne se limite pas aux journalistes. Des militants politiques, des défenseurs des droits humains et des artistes sont soit enlevés, soit contraints à l’exil. Le 18 mars, le journaliste Idrissa Barry, membre de Sens, a été enlevé en plein jour après que son organisation a dénoncé des massacres de civils, attribués à l’armée. Le 22 mars, quatre autres membres du mouvement ont subi le même sort.
Le 30 mars, le Secrétaire exécutif du mouvement Balai Citoyen, Ousmane Lankoande, a été enlevé par la junte militaire à son retour d'un événement à Cotonou, au Bénin. Quelques jours auparavant, un autre activiste de Balai Citoyen, Amadou Sawadogo, avait également été kidnappé à Ouagadougou. Beaucoup d’autres ont quitté le pays.
Pour votre information, le Balai citoyen est un mouvement issu de la société civile, qui a pris part de manière active à l'opposition au soulèvement populaire en 2014 qui a fait échec à la tentative de Blaise Compaoré de faire un 5ème mandat. Aujourd’hui ces militants sont muselés et traqués.
La liste est loin d’être exhaustive. Mais au risque de tirer en longueur je vais m’en arrêter-là. Votre engagement en faveur de la démocratie et de la souveraineté populaire vous place dans une position privilégiée pour rappeler à nos États que la liberté d’opinion n’est pas un crime, et que la justice ne saurait être sélective entre les pro et les « traïitres à la nation ».
Pour finir, nous vous adressons cette lettre que nous espérons que vous lirez, parce que nous croyons, que vous êtes l’un des leaders politiques, [LN1] les plus légitimes en Afrique pour porter ce combat qui dépasse les frontières, car il s’agit de respect et de défense des libertés fondamentales et contre l’autoritarisme dont vous connaissez les effets dévastateurs bien plus que nul autre.
En vous remerciant pour votre attention et votre engagement pour les valeurs de justice et de l’État de droit, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération.
Abdou Aziz Cissé est chargé de plaidoyer, AfricTivistes.
* AfricTivistes est un réseau panafricain qui rassemble des défenseurs de la démocratie et des libertés fondamentales.