POUR L’ADOPTION D’UNE LOI SPÉCIFIQUE RELATIVE À LA DÉCLARATION DE PATRIMOINE DU PRÉSIDENT
EXCLUSIF SENEPLUS - Faute d'obligation de déclarer son patrimoine en fin de mandat, l'ancien président échappe à tout contrôle sur douze années de pouvoir. Cette lacune constitutionnelle rend impossible la détection d'un éventuel enrichissement illicite

« Le problème qui se pose actuellement avec le plus d’acuité aux États africains est d’abord un problème d’hommes de valeur, réellement dévoués à la cause publique, qui remplissent les caisses de l’État au lieu de s’empresser de s’enrichir à son détriment et aux dépens du petit peuple dès qu’ils occupent un poste de responsabilité [1]».
L'article 37 alinéa 3 de l’actuelle Constitution dispose très clairement que “le président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine …”. Cette disposition constitutionnelle, considérée comme un moyen de lutter contre tout enrichissement illicite du chef de l’État, est de prime abord sans effet si l’obligation de déclaration de patrimoine n’est pas prévue par la Constitution à la fin du mandat du Président de la République.
Le patrimoine du président de la République doit être déclaré au début et à la fin de son mandat
En 2019, le président de la République sortant n’avait pas déclaré son patrimoine après avoir été élu pour un second mandat de cinq ans alors que le troisième alinéa de l’article 37 de la Constitution en fait une obligation pour le Président de la République nouvellement élu.
Cette déclaration aurait permis de savoir s’il s’est enrichi illicitement ou non pendant la durée de son premier mandat, notamment par l’augmentation de ses avoirs bancaires, la hausse de la valeur de ses biens mobiliers et immobiliers et/ou l’apurement de ses dettes. Autrement dit, cette nouvelle déclaration de patrimoine aurait permis de s’assurer que le Président de la République réélu n’a pas profité de ses fonctions pour s’enrichir indûment.
En conformité avec l’esprit de l’article 37 de la Constitution, c’est un devoir moral et civique pour l’ancien président de la République de déclarer son patrimoine à la fin de son second mandat.
Même si l’article 37 de la Constitution ne le prévoit pas expressément, le chef de l’Etat sorti de fonction en 2024 avait l’obligation morale de déclarer son patrimoine afin de prouver qu’il ne s’est pas enrichi au détriment et aux dépens du peuple sénégalais durant ses douze ans de fonction. L’exigence d’avoir sa déclaration de patrimoine de 2024 permet de comparer le patrimoine déclaré par le président de la République en 2012 au début de son premier mandat avec son patrimoine à la fin de son second mandat. Cette comparaison, qui devrait intéresser les journalistes d’investigation, pourrait permettre de suivre l’évolution voire les fluctuations de son patrimoine et d’identifier un éventuel enrichissement personnel.
Cette exigence est légitime quand on sait qu’on est dans un Etat où le président de la République peut faire usage, de manière exorbitante, d’un pouvoir règlementaire en matière budgétaire lui permettant de dépenser l’argent public, sans aucun contrôle comptable et politique, pour des montants deux fois voire cinq fois supérieurs à l’autorisation budgétaire donnée par l’Assemblée nationale. En clair, il peut utiliser l’argent public comme bon lui semble sans qu’aucune loi ne l’y autorise.
Un des exemples de cet excès de pouvoir manifeste, c’est le décret « secret » n° 2017-74 du 12 janvier 2017 créant « le Programme de défense des intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES) (voir page 17 du rapport d’audit de la Cour des comptes sur les finances publiques) pris en violation de la loi organique relative aux lois de finances. En effet, dans cette espèce, il a fait usage, de manière illégale, de son pouvoir règlementaire pour créer un programme alimenté par des ressources non autorisées par la loi de finances et, de surcroit, dont l’emploi n’est pas justifié ce qui est une violation des règles de la comptabilité publique.
Pour rappel, selon le rapport d’audit de la Cour des comptes (page 18), sur la période 2019 à 2023, les montants décaissés au titre du PDIES se sont élevés à 303, 031 milliards FCFA. Il est impératif qu’une commission d’enquête parlementaire soit constituée pour éclairer les citoyens sur la destination de ces fonds publics.
Tenant compte de tout ce qui précède, nous proposons de réviser l’article 37 de la Constitution pour y introduire l’obligation pour le Président de la République de déclarer son patrimoine à la fin de son mandat. Nous proposons également l’adoption d’une loi organique relative à la déclaration de patrimoine du Président de la République. Cette loi aura comme objet l’organisation de la déclaration de patrimoine du chef de l’Etat et le contrôle de cette déclaration. De plus, elle devra prévoir les sanctions en cas de non-respect de l’obligation de déclaration à l’entrée en fonctions et à la fin de celles-ci.
De la nécessité d’adopter une loi organique relative à la déclaration de patrimoine du président de la République
La loi en question devrait être très précise sur les points suivants :
La définition de la notion de patrimoine à déclarer
La notion de patrimoine à déclarer ne concerne pas seulement les biens du Président de la République. Elle s’étend aux biens des membres de sa famille. A ce titre, il conviendrait de préciser qu’il s’agit du « patrimoine familial » (l’épouse/l’époux et les enfants). En ajoutant le qualificatif « familial », il s’agit d’éviter une dissimulation du patrimoine du chef de l’Etat au niveau de sa famille (l’épouse/l’époux ou les enfants). Ainsi, le patrimoine familial inclurait « les biens du conjoint selon le régime matrimonial, des enfants mineurs et des enfants même majeurs, à charge du couple. » [2].
En définitive, le contenu de la déclaration comprendrait les immeubles bâtis et non bâtis, les valeurs mobilières, les comptes bancaires et d’épargne, les contrats d’assurance-vie, les véhicules à moteur terrestre, les bateaux, les avions, les meubles meublants et le passif.
La définition du délai de production de la déclaration initiale de patrimoine et de la déclaration de patrimoine de fin de fonctions
Le dernier alinéa de l’article 37 de la Constitution se limite à dire que le Conseil constitutionnel rend publique la déclaration écrite de patrimoine du Président de la République nouvellement élu, sans pour autant préciser selon quels délais. Il conviendrait de fixer la date limite de dépôt de la déclaration initiale de patrimoine à savoir, par exemple, le jour de la prestation de serment.
A l'expiration du mandat ou en cas de démission, un délai devrait également être fixé pour le dépôt de la déclaration de patrimoine, par exemple, dans les trente jours suivant la fin des fonctions.
Les sanctions en cas de non-respect de l’obligation de déclaration à l’entrée et à la fin des fonctions
Des sanctions devront être prévues par le législateur organique lorsque le Président de la République ne respecte pas l’obligation de déclarer son patrimoine ou le délai imposé pour le dépôt de la déclaration à l’entrée et à la fin de ses fonctions [3].
La mise à jour annuelle de la déclaration de patrimoine
La déclaration de patrimoine doit faire l’objet d’une mise à jour annuelle comme c’est le cas au Niger (article 51 de la Constitution de la 7ème République). Comme pour la déclaration initiale, les mises à jour éventuelles devraient également être publiées au Journal officiel et par voie de presse.
La communication de la déclaration de patrimoine à l’administration fiscale
Bien que le Président de la République soit soumis aux mêmes règles que tout autre citoyen en matière de déclaration d’impôts, il serait indiqué de préciser que sa déclaration de patrimoine est communiquée à l’administration fiscale.
[1] Djibo Bakary, « Silence ! On décolonise. Itinéraire politique & syndical d’un Militant Africain » ? Collection « Mémoires Africaines », L’Harmattan, page 284.
[2] C’est la définition adoptée par l’article 99 alinéa 2 de la République Démocratique du Congo (RDC). La déclaration de patrimoine familial énumère les « biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents ».
[3] En Côte d’Ivoire, l’article 10 de la loi du 15 août 2004 relative à la déclaration de patrimoine du Président de la République prévoit : « Si …à l'expiration de son mandat ou en cas de démission, le Président de la République ne fait pas la déclaration prévue aux articles 4 et 5 de la présente loi dans le délai imparti, la Cour des Comptes lui fait injonction d'avoir à s'y conformer. S'il n'obtempère pas, il est d'office déchu des avantages et privilèges attachés au statut d'ancien Président de la République ».