REDONNONS DE LA GRAVITÉ À NOS DÉBATS
À propos de l'homosexualité, que cherche-t-on à obtenir en réactivant une indignation qui, juridiquement, ne repose sur aucune vacance législative au moment où d'autres urgences, réelles celles-là, pressent de toute part ?

Vendredi dernier, un rassemblement présenté comme une « urgence nationale » appelait solennellement à la criminalisation de l'homosexualité. Il se trouve pourtant que l'article 319 du Code pénal sénégalais encadre déjà cette question en sanctionnant d'un à cinq ans d'emprisonnement tout « acte contre-nature avec un individu de son sexe ». Dès lors, que cherche-t-on à obtenir en réactivant une indignation qui, juridiquement, ne repose sur aucune vacance législative au moment où d'autres urgences, réelles celles-là, pressent de toute part ?
À l'heure où 75 % de la population a moins de 35 ans, le fait qu'une génération entière oscille entre résignation et exil devrait plutôt interroger. Ne serait-ce que parce que les jeunes sont de plus en plus nombreux à considérer que leur avenir ne se construira pas ici, dans un pays qui à leurs yeux peine à leur offrir des perspectives, de la sécurité et de la dignité. Leurs inquiétudes nous reviennent d'ailleurs dans des drames marins qui loin d'être des accidents isolés sont plutôt des symptômes d'une impasse nationale.
Ainsi, en septembre 2024, une pirogue a chaviré au large de Mbour, emportant au moins 29 vies, dont celles de femmes et d'un enfant. Quelques semaines plus tard, une embarcation dérivait au large de Dakar, transportant 30 corps en décomposition avancée. D'un autre côté, les zones rurales sont en déshérence pour la plupart, privées d'eau potable, d'électricité, de centres de santé, de routes, vivant au rythme des saisons. Sans compter que des familles entières sont broyées par la précarité, que les enfants-talibés continuent d'errer dans les rues, dans l'indifférence, exposés à la violence, à l'exploitation et à la perversité des adultes.
Il s'y ajoute que l'on constate par ailleurs l'inquiétant développement d'une violence inouïe à l'endroit des femmes à l'image de ces quelques exemples terrifiants. Rien qu'en ce mois de mai, un homme a été déféré au parquet, accusé d'avoir tué sa femme dans son sommeil, essayant de faire croire à une mort naturelle en se couchant ensuite à côté du cadavre. Une autre femme, mère de 4 enfants, a été abattue en plein jour par son époux suite à une dispute conjugale.
Alors oui, il y a urgence. Urgence de se pencher sur la violence faite aux femmes. Urgence pour l'emploi, l'éducation, la santé publique, la justice sociale, la sécurité alimentaire, la bonne gouvernance. Urgence pour une institution judiciaire forte et indépendante. Ces urgences ne sont ni abstraites ni lointaines : elles structurent la vie quotidienne de millions de Sénégalais. C'est à ces priorités-là que l'État doit répondre. C'est sur ces chantiers-là que doivent porter les débats nationaux.
La grandeur d'un pays se mesure en effet à sa capacité à affronter ses défis de front, non à se perdre dans des polémiques qui détournent l'attention du cœur du problème. Il ne s'agit pas ici de nier les convictions morales ou religieuses de quiconque, mais de rappeler que l'avenir d'un pays se construit dans la rigueur des politiques publiques, la solidarité nationale, la mise en place d'institutions fortes et dans l'investissement dans les générations futures.
Le Sénégal n'a plus le luxe de l'insouciance. Bien au contraire, il est temps de redonner de la gravité à nos débats et de l'espérance à notre jeunesse.