WASHINGTON INTENSIFIE LA PRESSION SUR L'AFRIQUE POUR SES DÉPORTATIONS
Tarifs douaniers, restrictions de visas, sanctions financières : l'administration Trump déploie un arsenal de pressions pour contraindre les pays africains, dont le Sénégal, à accueillir des détenus étrangers que leurs propres nations refusent

(SenePlus) - Les pressions de Washington s'intensifient sur le continent africain. Derrière l'arrivée cette semaine de cinq détenus américains en Eswatini se cache une stratégie coordonnée de l'administration Trump pour contraindre les pays africains à servir de destination de déportation pour des criminels que leurs propres nations refusent de récupérer.
Selon le Washington Post, le Sénégal figure parmi les pays africains sollicités par l'administration Trump pour accueillir ces déportés étrangers. Jusqu'à présent, les autorités sénégalaises gardent le silence sur ces pressions américaines, refusant de commenter publiquement cette question qui divise le continent.
L'approche de Washington repose sur un chantage économique systématique. Le Nigeria, qui a choisi de dénoncer publiquement ces pressions, en témoigne. Son ministre des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, a révélé que "les États-Unis montent une pression considérable sur les pays africains pour accepter des Vénézuéliens à déporter depuis les États-Unis, certains directement sortis de prison", rapporte CNN.
Ces pressions s'accompagnent de mesures coercitives concrètes : "l'annonce d'augmentation de tarifs douaniers et de réductions récentes de la validité des visas", selon le responsable nigérian. La Mission américaine au Nigeria a tenté de minimiser ces liens, affirmant que les changements de visa n'étaient "pas le résultat de la position d'une nation sur les déportés de pays tiers" mais visaient plutôt à "protéger les systèmes d'immigration américains".
L'Eswatini illustre parfaitement cette stratégie de contrainte. Le petit royaume, dont les privilèges commerciaux avec les États-Unis ont été menacés en avril, fait désormais face à des tarifs douaniers de 10% sur ses exportations. Son principal partenaire commercial, l'Afrique du Sud - qui a refusé d'accueillir des déportés américains - subit des sanctions encore plus lourdes avec des tarifs de 30%.
L'acceptation par l'Eswatini de ces cinq détenus - condamnés pour "viol d'enfants, meurtre et vol" selon le Département de la Sécurité intérieure - résulte de "mois d'engagements robustes de haut niveau" entre Washington et le royaume africain, selon la porte-parole gouvernementale Thabile Mdluli.
Ces "engagements" traduisent en réalité des négociations sous pression où Washington utilise tous les leviers à sa disposition. Tricia McLaughlin, porte-parole du DHS, a d'ailleurs assumé la dimension coercitive de l'opération, décrivant sur X les détenus comme des "individus si uniquement barbares que leurs pays d'origine ont refusé de les reprendre".
Les termes exacts de l'accord demeurent secrets. Interrogée sur les contreparties offertes à l'Eswatini, la porte-parole Mdluli a indiqué que "les termes de l'accord avec les États-Unis restent des informations classifiées", alimentant les soupçons sur la nature des pressions exercées.
Une stratégie continentale coordonnée
Au-delà de l'Eswatini et du Nigeria, les pressions américaines s'étendent à l'ensemble du continent. Ken Opalo, professeur associé à l'École de Service extérieur de l'Université Georgetown, observe auprès de CNN que les nations africaines sont poussées par l'administration Trump "à faire des choses atroces comme accepter des migrants de pays aléatoires ou leur donner leur richesse minérale dans des accords ambigus qui n'ont pas beaucoup de sens".
Cette approche transactionnelle inquiète les experts. "Il est insensé pour les pays africains de penser qu'ils peuvent faire des accords et s'attendre à un engagement crédible de la Maison Blanche, étant donné leur nature transactionnelle, ce qui signifie que tout est sujet à changement", prévient le professeur Opalo.
L'escalade récente confirme ces craintes. Après que la Cour suprême américaine a autorisé début juillet les déportations vers des pays tiers avec un préavis minimal, Washington a immédiatement expédié huit déportés au Soudan du Sud, une nation au bord de la guerre civile.
Dans ce contexte de pressions croissantes, le silence des autorités sénégalaises sur leur inclusion dans la liste des pays sollicités interroge. Contrairement au Nigeria qui a publiquement dénoncé les chantages américains, Dakar n'a émis aucune position officielle.
L'Afrique du Sud, qui a clairement refusé d'accueillir des déportés américains, subit déjà les conséquences de cette résistance avec des tarifs punitifs de 30%. Une source gouvernementale sud-africaine a d'ailleurs confié à CNN craindre que "certains au sein de l'administration Trump pourraient utiliser cela pour déstabiliser l'Afrique du Sud".