CANCER DE LA VESSIE AU SENEGAL UNE PATHOLOGIE MECONNUE, POURTANT UNE VERITABLE TUEUSE SILENCIEUSE
Au Sénégal, il demeure largement sous diagnostiqué, en raison d’un manque d’informations, de l’automédication fréquente face aux troubles urinaires et d’un accès limité à des soins spécialisés.

Méconnu du grand public, le cancer de la vessie fait pourtant partie des cancers urologiques les plus fréquents dans le monde. Au Sénégal, il demeure largement sous diagnostiqué, en raison d’un manque d’informations, de l’automédication fréquente face aux troubles urinaires et d’un accès limité à des soins spécialisés. Chez les patients, les premiers signes comme la présence de sang dans les urines ou des douleurs à la miction sont souvent négligés ou mal interprétés. Pourtant, une prise en charge précoce peut améliorer considérablement le pronostic.
Le cancer de la vessie, un véritable tueur, est souvent silencieux à ses débuts. Les premiers symptômes, tels que la présence de sang dans les urines (hématurie), une envie fréquente d’uriner ou des douleurs à la miction, peuvent passer inaperçus ou être confondus avec des infections urinaires ou des troubles bénins. Ce retard dans la détection de la pathologie constitue un facteur aggravant majeur au Sénégal, où les patients se consultent souvent à un stade avancé de la maladie. En effet, le cancer de la vessie en Afrique subsaharienne a des particularités et n’est pas considéré comme une priorité pour les autorités sanitaires.
Au Sénégal, c’est le 2e cancer en urologie. Il y a essentiellement 2 types de cancer de la vessie : le carcinome épithélial qu’on retrouve en Europe et Amérique et le cancer épidermoïde plus sévère qu’on retrouve en Afrique. Au Sénégal plus de la moitié des cancers de vessie sont des cancers épidermoïdes. Cependant, il y a des particularités parce qu’en Afrique, la maladie touche sans distinction les hommes et les femmes alors qu’en Europe, les hommes sont plus touchés. Les patients africains sont plus jeunes : c’est un cancer du sujet jeune 35 à 45 ans avec des cas chez des adolescents. Les difficultés pour le dépistage et le traitement sont majeures : nombre d’urologues réduits, structures sanitaires insuffisantes, absence de radiothérapie, produits médicaux hors de portée des ressources financières des patients, absence de programme de lutte.
Amy Niang : «Le cancer est arrivé deux fois sur la même place»
Atteinte d'un cancer de la vessie depuis 3 ans, Amy Niang a découvert sa maladie en juin 2022 à Dakar. « J’avais une constipation chronique et je suis partie en consultation et lors d’une échographie, la tumeur a été découverte. On m’a dit que la biopsie va durer 45 jours. Je n’avais aucune douleur mais on m’a dit que l’incontinence fait partie des signes et cela m’est arrivé 24h avant ma consultation chez le gastro-entérologue. On m’a dit que le cancer de la vessie est difficile à soigner au Sénégal», dit-elle. A l’en croire, comme elle ne pouvait pas savoir que c'était ça, il fallait faire la biopsie. «Je n'avais pas 45 jours pour me faire une tumeur. Je n'avais pas le temps. Donc, j'ai voyagé au Portugal. Et ça fait trois ans que je suis au Portugal. Donc, quand je suis venue ici, en 24 heures, on m'a fait tous les soins. J'ai passé tous les examens. J'ai fait la biopsie. Dix jours après la biopsie, on m'a dit que j'avais le cancer de la vessie, phase 2. On m'a opéré deux fois, en juin et après en août. Et après, je suis allée à la chimiothérapie depuis trois ans. Le cancer est arrivé deux fois sur la même place. Mais là, je me bats très bien», confie-t-elle.
Amy Niang : «Quand j'ai su que c'était le cancer de la vessie, et qu'au Sénégal, on n'en parle même pas…»
Amy Niang se désole qu’au Sénégal on ne parle presque pas du cancer de la vessie. «Et quand j'ai vu que c'était le cancer de la vessie et qu'au Sénégal, on n'en parle même pas, et qu'il a tué des gens surtout que c'est pour les grands fumeurs qu'on le fait. Et comme les femmes aussi, on le fait », soutient-elle. A l’en croire, au Sénégal le cancer de la vessie est survenu en 2008. « On a commencé la campagne mais depuis lors, rien n'est fait. Je suis dans l'association mondiale des cancers de la vessie (world bladder cancer patient coalition). Le mois de mai, c'est le mois jaune qui est consacré au cancer de la vessie», regrette Mme Niang.
PR ALAIN KHASSIM NDOYE, CHEF DE SERVICE UROLOGIE DU CENTRE DE SANTE DE NGOR «LA TUMEUR DE LA VESSIE EST UN CANCER QUI EST TRES LETAL PARCE QU'IL EST PRIS EN CHARGE TROP TARDIVEMENT»
Le cancer de la vessie est en train de faire des ravages au sein de la population. Beaucoup de personnes en souffrent sans le savoir. Dans cette interview accordée à «L’As», le chef de service urologie du centre de santé de Ngor, Pr Alain Khassim Ndoye indique que la tumeur de la vessie est un cancer qui est très létal essentiellement parce qu'il est pris en charge trop tardivement.
C’est quoi le cancer de la vessie ?
Le cancer de la vessie, c'est une tumeur maligne, donc un cancer. La vessie, c'est ce réservoir qui a deux fonctions. Il se trouve au niveau de l'hypogas, donc dans le bas-ventre, qui garde les urines entre deux mictions, mais qui aussi expulse les urines quand il est plein.
Comment se manifeste-t-elle ?
La manifestation principale du cancer de la vessie, c'est l'hématurie, c'est-à-dire que vous urinez du sang. Ça veut dire qu'à ce stade, c'est déjà une maladie relativement avancée, mais c'est le premier signe visible. Il peut y avoir encore plein d'autres signes. Vous pouvez avoir des mictions fréquentes, vous pouvez avoir des mictions difficiles, vous pouvez même avoir des brûlures lorsque vous urinez, mais le signe principal qui oriente vers le diagnostic, c'est ce saignement-là.
Quelles sont les causes du cancer de la vessie ?
Il y a plusieurs causes. Il y a une action supposée, bien sûr, de tous ces produits chimiques, fumées de voitures, des produits, les vernis, les peintures, etc., qui donnent des cancers de vessie. Donc la pollution, l'environnement pollué dans lequel nous vivons est un facteur favorisant des tumeurs de vessie. Mais en Afrique, la plus grosse cause reste quand même la bilharziose. C’est une maladie parasitaire, la bilharziose urogénitale, qui est transmise par un parasite, donc un ver, qui entre dans l'organisme par une piqûre et qui chemine dans le système vasculaire avant de se retrouver au niveau de l'appareil urinaire. Cette bilharziose est transmise en eau douce, soit par l'urine des malades, ceux qui urinent dans un marigot ou en tout cas dans une eau douce ; après, d'autres vont se baigner et vont attraper la bilharziose. Le problème ici, c'est que le symptôme de la bilharziose aussi, c'est une hématurie. Sans qu'il y ait de cancer, la bilharziose, c'est d'abord une hématurie, ça veut dire du sang dans les urines. Et souvent, c'est un symptôme qui est négligé, parce que quand la bilharziose est négligée, elle peut guérir, enfin guérir, disparaître, en tout cas évoluer sans signe pendant des années. Et au bout d'un certain nombre d'années, le malade recommence à uriner du sang et on se rend compte qu'il a eu une tumeur de la vessie.
Quelle est la tranche d’âge la plus touchée ?
C’est le cas de tous les pays qui ont fait une politique de grand barrage, comme l'Égypte, etc., où il y a un nombre très important de tumeurs de vessie. La tranche d'âge, malheureusement, la tumeur de vessie touche principalement les jeunes. Et ça, c'est un vrai problème, parce que dans la population active, c'est un problème que les jeunes ne sont pas en bonne santé. Et chaque jeune qui meurt, c'est vrai qu'on dit que chaque personne âgée qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle, mais chaque jeune qui meurt, c'est quand même une catastrophe pour le développement du pays. Donc, ce sont des patients qui traînent et qui arrivent souvent à des stades très avancés. Ce qu'il faut que vous sachiez, c'est qu'en fait, il y a deux cancers. Maintenant, on fait bien la différence sur le plan du diagnostic, sur le plan de l'évolution et sur le plan du traitement. Entre les tumeurs de vessie n'infiltrant pas le muscle, c'est-à-dire qui n'atteignent pas le muscle de la vessie qu'on appelle le détrusor et les tumeurs de vessie qui infiltrent ce muscle. Le pronostic est différent. Malheureusement, chez nous, nous avons surtout des formes qui infiltrent le muscle, donc les plus graves. Alors, pour les statistiques, globalement, ce qu'il faut retenir, c'est que la tumeur de vessie est maintenant le troisième cancer, le deuxième même cancer urologique, après le cancer de la prostate et devant le cancer du rêve. Je pense que si je ne me trompe pas, dans les derniers travaux qui ont été faits, la tumeur de vessie était le deuxième cancer.
Comment se passe la prise en charge ?
La prise en charge est chirurgicale. Le diagnostic se fait de deux façons. Aujourd'hui, on a à disposition le traitement endoscopique en chirurgie courante, ça veut dire que très fréquemment, on ne peut pas ouvrir et réséquer, ça c'est pour les formes superficielles, mais dès qu'on passe aux formes infiltrantes, il faut enlever la vessie. Le problème pour enlever la vessie, c'est qu'il faut remplacer la vessie et souvent c'est par une poche intestinale. Donc on utilise l'intestin pour reconstruire une poche qu'on abouche à l'abdomen et donc on se retrouve devant ce qu'on appelle une modification du schéma corporel, puisque le patient n'urine plus par son pénis, mais par une poche et un appareillage qu'on fixe sur le côté. C'est quelque chose qui est très mal toléré au Sénégal. On fait beaucoup d'efforts avant l'intervention pour expliquer aux malades que c'est sa seule chance de survivre, mais malgré tout, on se rend bien compte qu'il y en a qui survivent, il y en a qui arrivent à s'adapter à leur poche, mais ça pose un problème.
La deuxième chose, c'est le coût de ces poches, puisqu’elles restent relativement chères et si on n'a pas de poche, vous imaginez que le patient baigne constamment dans ses urines. En Europe, il y a des associations de ce qu'on appelle les stomisés, donc ceux qui ont tous ces abouchements à la peau, soit de leurs intestins, soit de leur appareil urinaire et ces associations corroborent. Mais ici, le malade est un peu seul. Si ce n'est pas les médecins qui se battent de temps en temps pour trouver des poches ou pour espacer les changements de poches, ça pose vraiment problème. Malgré tout, le taux de guérison reste relativement faible. La tumeur de vessie est un cancer qui est très létal, essentiellement parce qu'il est pris en charge trop tardivement. C'est un cancer dont la mortalité reste élevée. A un stade avancé effectivement, les traitements sont sans effets. Le traitement est long et coûteux.
Dossier réalisé par Mame Diarra DIENG