AFFLUX DE RÉFUGIÉS À LA FRONTIÈRE SÉNÉGALAISE
Des centaines de déplacés ont trouvé refuge à Bakel après avoir fui les exactions de leurs propres forces armées. Leurs témoignages révèlent l'ampleur d'une crise humanitaire silencieuse

(SenePlus) - Dans le département de Bakel, à l'est du Sénégal, un drame humanitaire se joue discrètement. Des centaines de Maliens et de Burkinabè affluent quotidiennement vers cette région frontalière, fuyant les exactions commises dans leurs pays respectifs. Leurs témoignages, recueillis par RFI, révèlent l'ampleur d'une crise qui dépasse les frontières.
À Wouro Thierno, petit village sénégalais où sont hébergés la plupart de ces déplacés, les récits se ressemblent tragiquement. Oumar Boly, originaire d'un village de l'ouest du Burkina Faso, garde encore en mémoire le jour où sa vie a basculé. Parti aux pâturages comme à son habitude, il n'imaginait pas qu'à son retour, il découvrirait l'horreur.
"Nous sommes partis à cause des violences. Un jour, il y a eu des massacres dans notre village. Dans notre famille, ils ont tué six personnes parmi lesquelles mes deux géniteurs", confie-t-il à notre correspondant Moussa Oumar Barry. Son témoignage est d'autant plus troublant qu'il identifie précisément les auteurs : "Les auteurs étaient habillés en tenue militaire. Il s'agit bien des VDP [Volontaires pour la défense de la patrie] parce qu'au Burkina, les VDP et les militaires font des patrouilles nuit et jour."
Cette accusation directe contre les forces censées protéger la population illustre la complexité du conflit qui déchire le Sahel. Les Volontaires pour la défense de la patrie, ces supplétifs de l'armée burkinabè, sont régulièrement accusés d'exactions contre les populations civiles.
Du côté malien, les témoignages confirment la même urgence de fuir. Pathé Coumbel et sa famille, originaires de la région de Kayes, ont abandonné du jour au lendemain leurs champs préparés pour la saison des pluies. La peur était plus forte que l'espoir d'une récolte.
"Nous avions déjà préparé nos champs parce que nous sommes tous des cultivateurs. Nous avons vu qu'ils ont tué deux jeunes Sénégalais innocents que nous connaissions. Étant père de famille, je me suis dit 'Face à cette situation, inutile de rester ici'", témoigne-t-il, selon les informations rapportées par RFI.
Ce témoignage souligne une dimension particulièrement préoccupante : les violences ne visent pas uniquement les ressortissants maliens ou burkinabè, mais touchent également des citoyens d'autres nationalités, y compris sénégalaise.
Face à cet afflux de déplacés, les habitants de Wouro Thierno ont fait preuve d'une solidarité remarquable. Sans attendre l'aide internationale, ils se sont organisés pour construire des abris de fortune. "Pour accueillir ces déplacés du Mali et du Burkina Faso qui ont fui les violences, les villageois de Wuro Thierno se sont organisés pour leur construire des cases en banco, avec des toits en paille", rapporte notre correspondant.
Cette initiative locale témoigne de la capacité de résilience des communautés sahéliennes, mais révèle aussi l'absence criante de structures d'accueil officielles pour faire face à cette crise humanitaire grandissante.
Les habitants de Ndaharatou, autre nom donné à Wouro Thierno, confirment l'accélération récente de cette crise migratoire. "Depuis plusieurs semaines, le nombre de réfugiés qui viennent du Mali et Burkina a augmenté depuis la dégradation de la situation sécuritaire dans ces deux pays", confient-ils aux équipes de RFI.
Cette recrudescence des arrivées coïncide avec l'intensification des violences dans la région, particulièrement depuis les coups d'État militaires au Mali (2020 et 2021) et au Burkina Faso (2022), qui ont fragilisé davantage la situation sécuritaire dans ces pays.
Le département de Bakel, stratégiquement situé à la frontière avec le Mali, devient ainsi un refuge naturel pour ces populations en détresse. Mais cette situation pose de nouveaux défis au Sénégal, pays traditionnellement stable de la région, qui doit désormais gérer un afflux croissant de déplacés dans des conditions précaires.