À DAKAR, LES FEUX ROUGES QUE PERSONNE NE RESPECTE
Malgré des investissements répétés depuis plus d'une décennie, la capitale sénégalaise peine à entrer dans l'ère de la signalisation moderne, laissant règner une anarchie routière qui exaspère habitants et visiteurs

(SenePlus) - Dans la capitale sénégalaise, la bataille pour instaurer un semblant d'ordre dans la circulation urbaine ressemble à un combat perdu d'avance. Équipements rares, policiers dépassés et projets successifs sans lendemain : les feux tricolores peinent à s'imposer dans le paysage dakarois, comme le rapporte un éditorial de Mehdi Ba pour Jeune Afrique.
À l'intersection où l'avenue Cheikh-Anta-Diop se prolonge par la VDN (voie de dégagement Nord), la scène est quotidienne : « Un policier en tenue s'époumone dans son sifflet, tout en agitant les bras dans une chorégraphie martiale », décrit le journaliste. Ce carrefour stratégique, qui relie les quartiers cossus du Point E et de Fann Résidence, est emblématique du désordre qui règne sur les routes de la capitale.
« En dehors du centre-ville de Dakar, l'autorégulation du trafic est la règle et le chaos routier aux carrefours, la norme », constate Jeune Afrique. Et lorsque des feux tricolores sont installés, un phénomène surprenant se produit : les agents de police eux-mêmes invitent les conducteurs à les ignorer, préférant orchestrer manuellement le ballet des véhicules.
Selon Daouda, chauffeur de taxi depuis deux décennies, cette situation s'explique en partie par des problèmes de calibrage : « Certains feux restent au rouge trop longtemps. C'est pourquoi les policiers affectés à la circulation font passer en priorité les files dans lesquelles les véhicules sont les plus nombreux ».
Pourtant, les initiatives pour moderniser l'infrastructure ne manquent pas. Jeune Afrique rappelle qu'en 2012, « un projet entre la ville et la Banque islamique de développement visait à moderniser les feux tricolores de la capitale à 68 carrefours ». Près d'une décennie plus tard, en novembre 2021, de nouveaux accords étaient signés entre le Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (Cetud), l'Ageroute Sénégal et des partenaires privés américains, à l'occasion de la visite du secrétaire d'État Antony Blinken.
Aujourd'hui, c'est vers l'Empire du Milieu que le Sénégal se tourne. « À la fin de 2025, Inch'Allah, un énième projet – baptisé Intelligent Transportation System (ITS) et porté par les chinois CNTIC et Huawei – est quant à lui censé aboutir à l'équipement en feux tricolores de 74 intersections », indique le magazine panafricain.
Une régulation fragmentée
L'un des problèmes majeurs réside dans le manque de coordination. Comme l'explique Lamine Gaye, directeur des études et de la stratégie au Cetud, cité par Jeune Afrique : « À l'échelle de la capitale, deux centres de commandement distincts régulent actuellement ces feux. L'un est coordonné par la mairie, l'autre par la police et la gendarmerie ».
Cette gestion bicéphale entraîne une désynchronisation qui aggrave la confusion au lieu de la résoudre. « Unifier et centraliser la signalisation tricolore » reste donc la priorité, selon ce responsable.
Même les récentes innovations en matière de transport urbain n'ont pas réussi à imposer le respect des signalisations. Depuis mai 2024, le Bus Rapid Transit (BRT), transport en commun 100% électrique traversant Dakar du sud au nord, a vu l'installation de nouveaux feux tricolores sur son parcours. Censés notamment sécuriser la traversée des piétons, ces équipements sont largement ignorés.
Le constat du taximan Daouda est sans appel : « Ni les automobilistes ni les piétons ne les respectent. Quant aux deux roues, ils ne se sont jamais sentis concernés par les feux rouges ».
À Dakar, la guerre du feu tricolore semble donc encore loin d'être gagnée, et le chaos routier a encore de beaux jours devant lui.