VIDEOELGAS DÉNONCE "L'ÉLAN CONSERVATEUR" SÉNÉGALAIS
De la Casamance aux mythes historiques, il assume pleinement son rôle de "secoueur de cocotier" et pointe un système qui préfère "l'hystérie collective" à l'analyse critique. Sa devise : "L'acte de production doit rester libre"

"Il y a peut-être un élan conservateur qui n'a jamais réellement disparu dans la société sénégalaise." Cette mise en garde d'Elgas, formulée dimanche dans l'émission "BL" de Pape Alioune Sarr, jette une lumière crue sur les mécanismes de censure qui frappent régulièrement les intellectuels du pays.
L'analyse de l'animateur d'"Afrique, mémoire d'un continent" sur RFI, va bien au-delà du simple constat. Il dénonce l'existence d'une véritable "volonté construite par des élites conservatrices de tenir un discours d'intimidation contre beaucoup de forces créatrices et courageuses".
Cette offensive ne serait pas le fruit du hasard mais d'une stratégie délibérée visant à museler toute voix discordante. "L'aventure intellectuelle n'est pas de tout repos", prévient Elgas. "Poser des questions, c'est croiser le fer avec des forces obscurantistes diverses qui ont d'ailleurs leurs arguments, leurs contre-arguments, leur contre-récit."
Pour étayer son propos, l'intellectuel dresse un historique éloquent des censures au Sénégal. L'affaire Séverine Awenengo Dalberto sur la Casamance n'est que le dernier épisode d'une longue série. "Beaucoup d'autres livres ont subi la censure au Sénégal sur le même sujet", rappelle-t-il, citant "Ce que disent les armes" de Jean-Claude Marut, censuré sous Abdoulaye Wade, ou les difficultés de l'écrivain Mamadou Dia.
Cette récurrence révèle selon lui "un élan conservateur qui n'a jamais réellement disparu", une force souterraine mais persistante qui refait surface dès qu'un intellectuel ose questionner les narratifs établis.
La peur comme arme de contrôle
Le mécanisme principal de cet élan conservateur repose sur l'instrumentalisation de la peur. Elgas démonte cette stratégie : "La peur serait légitime. On peut avoir peur, mais la peur ne peut pas être la tétanie. La peur ne peut pas être l'anesthésie. La peur ne peut pas être l'argument de l'empêchement du débat."
Pour lui, cet argument sécuritaire brandit systématiquement est "totalement irrecevable". Il masque en réalité la volonté de ces élites de préserver un ordre intellectuel qui leur convient, quitte à sacrifier la liberté de recherche et d'expression.
Cet élan conservateur trouve un terreau favorable dans un paysage médiatique peu enclin à la confrontation. Elgas pointe du doigt la complaisance du journalisme local : "Quand on regarde les interviews des présidents de la République ici au Sénégal, on a l'impression que c'est une cour face à un roi. Même les relances sont timides, interdites."
Cette docilité médiatique facilite le travail des forces conservatrices qui préfèrent "l'hystérie collective" à l'analyse posée. L'intellectuel salue d'ailleurs l'émission "39 minutes" qui avait osé recevoir Séverine Awenengo Dalberto : "C'est le contraire de ce que l'on dit. C'est-à-dire ne pas suivre l'hystérie collective, prendre un livre, le lire, le comprendre."
Résistance et contre-offensive intellectuelle
Face à cette offensive conservatrice, Elgas prône la résistance organisée. "Il faut qu'il y ait des leaders d'opinion beaucoup plus charismatiques et puis des directeurs courageux", plaide-t-il, appelant à "une dose de courage, de rébellion" pour briser les codes établis.
L'intellectuel assume pleinement son rôle de "déconstruction" des mythes, notamment à travers sa collection éditoriale où il publie des textes "piquants". "Je ne suis pas obligé d'être d'accord avec mes auteurs (...) mais je les soutiens dans cette entreprise de déconstruction de beaucoup de mythes."
"Cette question de la frontalité du débat, elle est essentielle", martèle l'auteur de "Un Dieu et des moeurs", estimant qu'on ne peut plus "faire l'économie de répondre factuellement, frontalement" dans une période où les enjeux intellectuels sont cruciaux.
Son appel est sans ambiguïté : "L'acte de production ne peut pas subir des intimidations et doit rester libre. C'est ça le maître mot." Une liberté qu'il considère comme menacée par cet élan conservateur qui, selon lui, gangrène progressivement l'espace intellectuel sénégalais.