LA CHUTE DE L'EMPIRE IMMOBILIER NAWALI
Accusée d'abus de confiance portant sur plus de 1,2 million d'euros, Aïta Magassa sera jugée en novembre 2025. Son entreprise promettait d'accompagner la diaspora africaine dans l'investissement immobilier en Afrique de l'Ouest

(SenePlus) - Aïta Magassa avait tout de l'entrepreneuse modèle. Cette quadragénaire franco-mauritanienne, mère de cinq enfants, s'était imposée comme une figure incontournable de l'investissement immobilier pour la diaspora africaine. Fondatrice et présidente du groupe Nawali, elle avait bâti depuis 2018 une constellation de sociétés promettant d'accompagner les Africains de l'Hexagone dans leur rêve de propriété sur la terre de leurs ancêtres.
« Nawali, c'est une société qui permet d'acheter [en Afrique] un terrain contrôlé et sécurisé. Notre priorité, c'est que les gens ne se fassent pas arnaquer », expliquait-elle en mars 2024 lors d'une interview accordée au youtubeur franco-camerounais Philippe Simo sur sa chaîne « Investir au pays », selon Jeune Afrique. Une déclaration qui résonne aujourd'hui avec une ironie particulière, alors que la justice française soupçonne cette même priorité revendiquée de relever d'un vaste abus de confiance.
Le concept semblait pourtant séduisant. Opérant principalement au Sénégal, au Mali, en Mauritanie, en Gambie et en Côte d'Ivoire, Nawali se présentait comme la solution miracle pour éviter aux expatriés africains les tracasseries administratives liées à l'achat d'une parcelle en Afrique de l'Ouest, les difficultés de construction à distance et les complications bancaires. La société déclinait le principe ancestral de la tontine pour permettre l'acquisition de terrains, moyennant une commission pour superviser l'achat et la construction.
Depuis 2020, Aïta Magassa avait savamment construit sa crédibilité médiatique. Ses apparitions régulières sur RFI, TV5 Monde, Africa Radio, BFM TV ou encore dans Forbes Afrique avaient forgé son image d'experte, tout comme ses interventions sur des chaînes YouTube dédiées à la diaspora africaine. « Nous, on se positionne comme intermédiaires de confiance », affirmait-elle sur RFI en 2022, rapporte Jeune Afrique.
Cette même année, face aux caméras de l'émission en ligne « Oui Hustle », elle revendiquait fièrement la santé financière de ses entreprises : « La première société, en activité depuis 2018, est valorisée à plus de 2,5 millions d'euros. C'est une entreprise qui affiche des performances remarquables et qui présente des perspectives très prometteuses d'ici à 2025. Quant à la société basée à Paris, elle a réalisé en l'espace d'un an un chiffre d'affaires dépassant les 100 000 euros. » Sur ses réseaux sociaux, elle n'hésitait pas à présenter Nawali comme « la première agence d'investissements immobiliers d'Afrique de l'Ouest ».
En 2023, sur TV5 Monde, ses chiffres impressionnaient : 20 « tontines terrain » en cours (20 personnes cotisant 250 euros mensuellement pendant 20 mois), vingt projets de construction, « plus de 700 » clients accompagnés et un chiffre d'affaires revendiqué de 2 millions d'euros.
Quand les promesses se transforment en cauchemar
Mais derrière cette façade prospère se cachait une réalité bien différente. Depuis fin 2023, les témoignages de clients mécontents se multipliaient sur les réseaux sociaux et dans certains médias sénégalais. Des victimes présumées racontaient avoir versé des sommes considérables - autour de 5 000 euros pour un terrain, de 50 000 à 120 000 euros pour une construction - sans jamais recevoir le moindre document justificatif ni voir leur projet aboutir.
Face à leurs demandes d'éclaircissements, déplorent-ils selon Jeune Afrique, « Nawali ferait la sourde oreille et invoquerait divers prétextes pour repousser sans cesse l'échéance ». L'amertume perçait dans les commentaires postés sur YouTube, LinkedIn, Instagram ou TikTok, où l'accusation d'escroquerie devenait récurrente.
Le 27 mars 2024, c'est dans le cadre d'une opération de communication de crise qu'Aïta Magassa était revenue dans l'émission qui avait contribué à sa notoriété. Le titre du programme traduisait l'ampleur du malaise : « Accusée d'avoir détourné les fonds, Aïta Magassa, de Nawali, répond. » Pendant plus d'une heure, elle tentait de se disculper, invoquant les tracasseries administratives africaines et l'impact des élections locales sénégalaises de janvier 2022.
L'enquête préliminaire de la police judiciaire française, faisant suite aux plaintes déposées par des Ouest-Africains résidant en France, a révélé l'ampleur du préjudice. Les enquêteurs ont regroupé trente procédures initiées à travers le pays. À l'heure actuelle, « 97 victimes ont été identifiées et le préjudice a été évalué à 1,268 million d'euros », indiquait fin juin Guirec Le Bras, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Pontoise, selon l'AFP citée par Jeune Afrique.
Placée sous contrôle judiciaire, Aïta Magassa sera jugée le 26 novembre 2025 pour « abus de confiance par personne faisant appel au public ». Elle encourt une peine de 7 ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende.
Des témoignages poignants de victimes
Maître Diane Ayeva Ingani, qui représente une vingtaine de victimes présumées, précise que deux procédures sont actuellement pendantes : les poursuites pénales contre Aïta Magassa et une assignation de Nawali devant le tribunal de commerce. Dans un communiqué du 25 juin, l'avocate indiquait que « malgré les multiples diligences engagées en vue d'une résolution amiable, celles-ci sont demeurées sans effet face à l'inertie persistante d'Aïta Magassa, dirigeante des sociétés Nawali Investissement (Cergy, France) et Nawali SUARL (Dakar, Sénégal) », rapporte Jeune Afrique.
Plusieurs victimes présumées ont courageusement témoigné publiquement. Hawa Diakhité, fondatrice de la marque de vêtements Ishaya, a exposé ses griefs dans une vidéo TikTok de février 2024 : « La société Nawali n'a pas respecté ses engagements contractuels et ma mère réclame le remboursement des sommes qu'elle a versées en vue de la construction d'une villa de plain-pied en Gambie, soit 17 120,25 euros. Notre avocate a tenté un arrangement à l'amiable que la dirigeante Aïta Magassa a refusé. »
En mars 2025, quatre autres plaignantes ont livré un long témoignage sur la page YouTube de Maître Ayeva Ingani, préférant dissimuler leur visage et leur identité.
Quant à Aïta Magassa, très active médiatiquement depuis le lancement de Nawali, elle a opté pour la discrétion depuis sa garde à vue en juin. Contactée par Jeune Afrique, elle a seulement déclaré : « Je ne souhaite pas m'exprimer sur les accusations ni sur l'affaire, qui est entre les mains de la justice. Bien entendu, je réfute toutes les accusations à mon encontre et contre ma société. Je rappelle que je suis présumée innocente jusqu'à preuve du contraire et que toute diffamation sera mise en cause. »