LES DEPARTS CLANDESTINS OU TENTATIVES DE DEPART PERSISTENT EN CASAMANCE
A l’instar d’autres régions du pays, le gouvernement a installé des comités régionaux et départementaux en Casamance pour renforcer la lutte contre la migration irrégulière.

A l’instar d’autres régions du pays, le gouvernement a installé des comités régionaux et départementaux en Casamance pour renforcer la lutte contre la migration irrégulière. Malgré ces dispositifs, les départs clandestins ou tentatives de départ persistent, alimentés par le désespoir, le chômage et les difficultés structurelles du secteur de la pêche.
Dans le cadre de sa stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière, l’État a mis en place ces comités pour concrétiser la territorialisation de cette politique. Une démarche structurante qui, si elle est bien menée, pourrait considérablement contribuer à freiner, voire réduire significativement le phénomène. Pour le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, le Général de Corps d’Armée Jean-Baptiste Tine, qui a procédé à l’installation de ces comités à Ziguinchor après Thiès et Saint-Louis, cette structuration permet de prendre en compte les spécificités territoriales et les réalités socioculturelles des différentes communautés. Ces comités, démembrements du Secrétariat permanent du Comité interministériel de lutte contre la migration irrégulière (CILMI), sont chargés d’appliquer les directives nationales à l’échelle locale, de sensibiliser sur les dangers de la migration irrégulière, mais aussi de concevoir et mettre en œuvre des projets concrets pour endiguer ce fléau.
Selon le ministre, cette approche décentralisée permettra une action plus coordonnée et plus efficace. Il souligne que la migration, en tant que phénomène mondial complexe, constitue un véritable défi pour les États, non seulement en raison des dynamiques économiques et démographiques qu’elle engendre, mais aussi à cause de ses conséquences sur la sécurité nationale et humaine. Le Sénégal, à la fois pays de départ, de transit et de destination, est au cœur de ces dynamiques. C’est pourquoi le CILMI, placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, a élaboré une stratégie nationale assortie d’un plan d’action opérationnel. «De janvier à octobre 2024, les données centralisées par le comité font état de 502 embarcations ayant accosté aux îles Canaries, dont 64 en provenance directe du Sénégal, avec à leur bord 34 162 migrants. La région de Ziguinchor, en raison de sa proximité avec l’Atlantique et des frontières gambienne et bissau-guinéenne, constitue une zone de départ stratégique», a-t-il déclaré lors de l’installation des comités régionaux et départementaux, le 7 janvier 2025.
LA SITUATION RESTE PREOCCUPANTE A KAFOUNTINE
À Kafountine, l’un des principaux points de départ, la situation reste préoccupante, même si la politique de territorialisation de la lutte commence à porter quelques fruits, grâce à la coopération entre les forces de sécurité et les populations. Conscients de cette vigilance citoyenne, les passeurs évitent désormais, pour la plupart, Kafountine et ses environs, préférant se replier vers la Gambie. Intervenant à Cap Skirring, lors de la clôture d’un atelier de formation destiné aux membres des comités départementaux et régionaux de lutte contre la migration irrégulière des régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor, Modou Diagne, contrôleur général de police et secrétaire permanent du Comité interministériel de lutte contre la migration irrégulière. M. Diagne a salué des avancées notables par rapport à l’année précédente. «Cette année, le nombre de migrants sénégalais arrivés aux îles Canaries est en nette baisse», a-t-il souligné.
Dans cette dynamique, l’État prévoit d’intensifier les campagnes de sensibilisation à travers le pays et de renforcer la surveillance aux frontières. Modou Diagne a également annoncé des projets ciblés pour les jeunes et les femmes, afin de promouvoir leur autonomie financière et de freiner les départs clandestins. «Nous visons une réduction drastique de la migration irrégulière d’ici à 2035», a-t-il martelé. Un exemple concret de cette vigilance accrue a été observé le mardi 8 juillet à Ziguinchor. Grâce à un renseignement recueilli la veille, une opération discrètement menée par la Section de Recherches (SR) a permis de démanteler un réseau de passeurs en pleine activité. Dix-neuf personnes, dont 17 Guinéens candidats à l’exil, ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Europe via la Gambie. Deux présumés passeurs, dont le principal organisateur, identifié comme D. Diop, figurent parmi les interpellés. Le plan avait été soigneusement orchestré. Les migrants, partis de la gare routière de Ziguinchor, devaient transiter par Mpack, tandis que le passeur principal les suivait discrètement. Il a finalement été appréhendé au pont Émile Badiane, tandis que le reste du groupe était intercepté à Diouloulou. L’enquête a permis d’identifier un complice, M. Niang, surpris en pleine négociation de paiement avec un autre migrant. D’autres groupes de Bissau-Guinéens et de Sénégalais attendaient également leur tour, dans ce qui s’apparente à un réseau structuré.
CE QUE PENSENT LES ACTEURS DE TERRAIN
Le maire de Kafountine, David Diatta, souligne que tous les départs depuis sa commune s’effectuent par voie maritime, et appelle les acteurs de la pêche à assumer leur part de responsabilité. Diégane Diop, président des mareyeurs de Kafountine, reconnaît l’implication de la profession dans cette spirale migratoire. Pour lui, il est temps que les acteurs de la pêche artisanale s’unissent pour freiner ce qu’il qualifie de «suicide collectif». Cependant, il attire aussi l’attention sur les difficultés structurelles du secteur. En raison du trafic illicite du bois, la fabrication et la réparation des pirogues sont devenues presque impossibles. Les moteurs sont rares et hors de prix, les pièces de rechange introuvables. Il note que les moteurs coûtent jusqu’à 3,86 millions FCFA au Sénégal, alors qu’en Gambie voisine, ils sont vendus à 3,4 millions. Ces obstacles entraînent une paralysie de l’activité de pêche.
À Kafountine, des dizaines de filets restent inutilisés, faute de pirogues. Le quai est vétuste, l’accès difficile, les poissons sont déchargés à même le sol et en plein soleil. Les conditions de travail sont précaires, faute d’aménagements modernes. Diop pointe également la concurrence déloyale des bateaux industriels, souvent autorisés à pêcher à seulement 15 km des côtes. Il demande que ces navires soient repoussés à 70 ou 80 km, afin de préserver la pêche artisanale. Il exhorte l’État à revoir la politique d’octroi de licences de pêche et à soutenir activement les petits pêcheurs, véritables pourvoyeurs de poisson pour le marché national.
DES ALTERNATIVES ATTRACTIVES ET VIABLES
Pour Ananias Georges Mansaly, président du Conseil départemental de Ziguinchor, il est essentiel d’aborder la problématique de manière réaliste et globale, en mettant l’accent sur les opportunités locales pour offrir de vraies alternatives aux jeunes. Il insiste : il ne s’agit pas simplement de dissuader les candidats à l’exil, mais de leur proposer des solutions concrètes et viables S’exprimant lors de l’installation des comités, M. Mansaly recommande de valoriser les secteurs économiques en croissance, les entreprises innovantes, les projets d’infrastructures, les programmes de formation professionnelle adaptés, ainsi que l’entrepreneuriat local. Les comités nouvellement installés, selon lui, pourraient jouer un rôle crucial en mettant en avant des exemples de réussite locale, des dispositifs d’aide à la création d’entreprise et des initiatives innovantes. Il préconise également une valorisation du patrimoine culturel, des liens familiaux et du sentiment d’appartenance communautaire. La migration, rappelle-t-il, peut engendrer de profondes blessures émotionnelles, notamment la rupture des liens familiaux. Les difficultés d’intégration dans les pays d’accueil, les barrières linguistiques, les préjugés et les discriminations constituent aussi des obstacles majeurs. Ananias Mansaly en appelle donc à l’État pour offrir des perspectives positives à la jeunesse, en misant sur une vision optimiste du Sénégal, axée sur les talents et les succès nationaux. Il plaide pour la mise en place de programmes de formation en adéquation avec le marché local, le développement des compétences numériques, la promotion de l’innovation, et un accès élargi au crédit pour les jeunes entrepreneurs.