LES DIACK, DE L'ENGRENAGE RUSSE AU SUICIDE NON-COLLECTIF
A travers des documents inédits consultés par l'ICIJ, un réseau de journalistes indépendants basé à Washington, et la CENOZO, l’affaire Diack révèle quelques dessous insoupçonnés du couple business-sport à travers les réseaux bancaires internationaux

Après cinq ans d’investigations, de commissions rogatoires, de demandes d’entraide plus ou moins satisfaites, ponctuées de mandats d’arrêt non exécutés, le glaive de la justice française a décapité l’ex dirigeant de la Fédération internationale d’athlétisme Lamine Diack et condamné par défaut son fils Papa Massata Diack. Tous deux sont accusés d’avoir couvert, en contrepartie d’argent, des cas avérés de dopage concernant des athlètes russes. Un dossier dans lequel a fini par se greffer la politique sénégalaise par où on ne l’attendait pas.
A travers des documents inédits consultés par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), un réseau mondial de journalistes indépendants basé à Washington, et la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) dont le siège est à Ouagadougou, l’affaire Diack révèle quelques dessous insoupçonnés du couple business-sport à travers les réseaux bancaires internationaux.
Quand il invitait son fils, Pape Massata Diack, à assister à ses côtés à la coupe du monde d’athlétisme à Barcelone en 1989, Lamine Diack, alors ex-futur président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF muté en World Athletics, 1999-2015) ne s’imaginait pas qu’il venait de donner un tournant à sa vie et à celle de son fils. Il ne s’imaginait surtout pas que, 31 ans plus tard, tous deux seraient jugés et condamnés (le fils en fuite au Sénégal ayant été jugé par contumace) devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour divers délits présumés retenus par le Parquet National Financier (PNF) : corruption active et passive, blanchiment aggravé, recel en bande organisée, association de malfaiteurs…dans le cadre de 23 cas de dopage impliquant des athlètes russes.
Ce mercredi 16 juin 2020, le père, âgé de 87 ans, a écopé d’une peine de quatre ans de prison dont deux avec sursis et 500 mille euros (environ 328 millions FCFA) pour corruption passive à travers des pots-de-vin versés par des athlètes russes et un double financement politique d’opposants sénégalais par la Russie en 2009 et en 2012. Côté corruption active, la justice française a reconnu Lamine Diack coupable d’avoir versé des pots-de-vin à plusieurs fonctionnaires de l’IAAF aux fins de couvrir les fautes de dopage d’athlètes russes.
Quant au fils pour qui être présent au procès de Paris aurait été un « acte suicidaire » au regard des « violations » de ses droits et de la procédure pénale, la complicité de corruption passive lui a valu d’être condamné à cinq ans de prison et à une amende d’un million d’euros (environ 656 millions FCFA).
Des dommages et intérêts, les deux ont été condamnés solidairement à en verser à hauteur de cinq millions euros (quelques 3,250 milliards FCFA) à World Athletics.
La connaissance des infractions reprochées à Lamine Diack et à Papa Massata Diack (ainsi qu’à leurs co-prévenus du procès de Paris) par le juge Renaud Van Ruymbeke (parti à la retraite) a été rendue possible par des milliers de documents bancaires rassemblés par le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), le « FBI » du Département du Trésor des Etats-Unis d’Amérique qui collecte et dissèque des informations liées aux transactions financières mondiales qui empruntent les réseaux bancaires américains. Son objectif est d’identifier les éléments potentiels de blanchiment d’argent, de financement national et international du terrorisme, de trafic de drogues, de crimes financiers divers…
La plupart des transactions liées aux Diack ont donc fait l’objet de signalements documentés par le FinCEN.
En gros, les infractions retenues par la justice française contre Lamine et Papa Massata Diack sont les suivantes :
1) le financement de campagnes électorales au Sénégal à hauteur de 1,5 millions de dollars (984 millions de francs CFA) versés par la Russie ;
2) le fait d’avoir directement ou indirectement sollicité 3 millions 450 mille euros (2 milliards 263 millions 200 mille francs CFA) auprès d’athlètes russes soupçonnés de dopage « en contrepartie de leur retrait de la liste des personnes suspectes afin de leur permettre de participer à des compétitions sportives ». L’avocat français d’origine sénégalaise Habib Cissé, conseiller juridique de Lamine Diack à l’IAAF, est accusé dans ce volet-ci ;
3) d’avoir corrompu par remises d’espèces, directement ou indirectement, des responsables de l’IAAF, en particulier Gabriel Dollé, en charge du service médical et de l’anti-dopage, à hauteur de 190 000 euros (près de 125 millions de francs CFA) afin qu’ils soutiennent « le ralentissement du processus normal de sanctions disciplinaires devant être prises à l’encontre d’athlètes convaincus de dopage, notamment de nationalité russe… Pour rappel, Gabriel Dollé a reconnu les faits de corruption qui lui sont reprochés mais n’a pu obtenir le système du « plaider-coupable » en vigueur aux Etats-Unis, par exemple.
Pour leur part, les avocats de Lamine Diack ont contesté les qualifications visées par le Parquet national financier.
Papa Massata Diack, est accusé « d’avoir, de 2007 à 2015, en France et à l’étranger, tant à titre personnel qu’à travers ses sociétés telles que Pamodzi Sports Consulting, sciemment recelé des fonds, valeurs et biens quelconques qu’il savait provenir d’abus de confiance commis au préjudice de l’IAAF par son père Lamine Diack, portant sur les recettes provenant de sponsors telles que la société russe VTB Bank, la société chinoise Sinopec, la société coréenne Samsung, la société indienne Nirmal Lifestyle, la société Abu Dhabi Corporation et la télévision chinoise CCTV. » Des documents consultés par ICIJ indiquent que les détails des transactions sont parvenus à FinCEN. Dans une interview accordée à la chaîne américaine NBC News depuis son domicile de Dakar, Papa Massata Diack a rejeté avec force les conclusions du tribunal parisien. Il a aussi dénoncé la violation des « droits de la défense ». Interrogé par la presse sénégalaise, il a souligné qu’aller répondre à la justice française dans les conditions d’organisation du procès aurait été un « suicide » de sa part.