LES FAMILLES DES VICTIMES DES MANIFESTATIONS PRO-SONKO BRISENT LE SILENCE
La situation des familles des victimes des manifestations en marge de l’affaire Ousmane Sonko est tout simplement dramatique. Des familles de Ziguinchor et de Bignona ayant perdu leurs fils ou vivant avec des blessés et qui sont désespérées

La situation des familles des victimes des manifestations en marge de l’affaire Ousmane Sonko est tout simplement dramatique. Des familles de Ziguinchor et de Bignona ayant perdu leurs fils ou vivant avec des blessés et qui sont désespérées. Comme le disait Lamartine dans ses méditations poétiques, « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Ce vide est palpable d’une famille à une autre après la perte d’un des leurs souvent tombé sous des balles. La psychose est toujours là chez ces gens majoritairement très pauvres même si une accalmie est notée à Ziguinchor et Bignona où, du fait que le leader de Pastef est maire de la première ville et originaire de cette région naturelle, les manifestations ont pris plus d’ampleur. Après la perte de proches parents, certaines familles, accrochées par Le Témoin, vivant dans de réelles difficultés se plaignent d’être laissées à elles-mêmes aussi bien par les responsables du parti PASTEF que par le pouvoir en place.
Les manifestations meurtrières contre la condamnation du leader de Pastef, Ousmane Sonko, ont fait plusieurs victimes dans la région naturelle de Ziguinchor. Le Témoin a effectué le déplacement à Ziguinchor et Bignona pour discuter avec des parents éplorés qui souffrent terriblement.
Un vide frappant chez le défunt Mamadou Diatta
Notre première étape c’était au domicile de la famille de Mamadou Diatta, décédé lors des dernières manifestations à Ziguinchor. Dans un habitat modeste vivent parmi d’autres le père du défunt, Mouhamed Diatta, sa mère, Fatoumata Kanté et sa tante, Assa Sakho. Rien qu’à l’évocation du nom de leur unique fils, une intense émotion les saisit. Nos interlocuteurs peinent à faire définitivement le deuil de leur enfant. « Mouhamed nous manque. On fondait beaucoup d’espoirs sur lui. Il était notre seul fils. C’estlui qui faisait toutes mes courses. Il avait même construit sa chambre et on pensait célébrer son mariage dans cette cour. C’était hier la cérémonie du 40ème jour après sa mort et il y avait une grande foule dans cette maison », confie le père du défunt, Mouhamed Diatta, avec les larmes aux yeux, la voix tremblante et un visage crispé. Très coriace, combatif et déterminé à tirer sa famille de la misère, le défunt a perdu la vie dans des conditions atroces. « Mamadou Diatta était le gardien de but de l’ASC Château d’Eau. Il avait 25 ans. Nous avons eu un grand choc lors de son décès. Et nous avons d’ailleurs toujours mal comme au premier jour. Depuis son décès, aucune autorité n’est venue pour compatir ou nous aider socialement à part certains militants de Pastef qui sont passés présenter leurs condoléances. Mon seul message à l’endroit des jeunes d’aujourd’hui est qu’ils s’en remettent à Dieu et sachent faire bon usage de leurs cartes d’électeurs. Le jour du vote, qu’ils donnent leurs bulletins à qui ils veulent. S’ils manifestent avec leurs cartes d’électeurs, rien ne leur arrivera. Par contre, avec les casses, tout peut leur arriver. J’ai vu des jeunes aux jambes amputées à l’hôpital. Ca fait très mal », raconte le vieux qui souffre du départ au ciel de son unique enfant dont le destin a été abrégé tragiquement par une balle de fusil.
Appel à l’entente pour la paix du pays
Conscient des drames liés à des manifestations et protestations pour la cause de leaders politiques à conquête d’un électorat, le vieux Diatta se désole de la méthode et des pratiques de ces hommes. Il estime que les politiciens doivent discuter entre eux afin de trouver une entente pour la paix du pays. « Nous ne pouvons pas contrôler les jeunes car si on les empêche de participer aux manifestations, ils vont dire oui avant de s’y rendre à notre insu. Les politiciens doivent éviter de se quereller et discuter pour trouver des terrains d’entente à leurs différends. Vous n’avez entendu aucun politicien blessé ou mort dans les manifestations. Seuls nos fils y sont restés. Seuls les partisans de Sonko sont venus nous voir pour présenter leurs condoléances. A part eux, les autorités du gouvernement ne sont pas venues nous rendre visite encore moins envoyé des aides », déplore le père de Mohamed Diatta qui insiste pour qu’il y ait une entente entre l’opposition et le pouvoir afin que la paix prévale dan le pays. Après avoir accueilli la reportère du Témoin, la famille de Mohamed Diatta était comme soulagée d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui relaierait son message. Désormais, ces membres de cette famille éplorée pensent qu’ils vont être entendus. Ils gardent espoir de voir leur message transmis au pays tout entier. Encore une fois, durant toute l’interview, la mère de Mouhamed, sa grand-mère et ses tantes n’ont pas cessé de verser de chaudes larmes. Il s’agit évidemment d’une expression certaine de l’amertume. Sur leurs visages se lisaient de la tristesse et un mal être profondément vécus. Dans cette maison recouverte de zinc, des poules picorent autour d’un puits situé à côté d’un cotonnier. L’ambiance calme renseigne sur une tristesse démesurée.
Chez Boubacar Diallo, âgé de 23 ans, amputé d’une jambe
Après la maison de Mouhamed Diatta, cap chez Boubacar Diallo, âgé de23 ans, habitant le quartier Grand Dakar de Ziguinchor. Le jeune homme, amputé d’une jambe, narre le dénouement des manifestations du 17 juin 2022. Manifestations au cours desquelles il a reçu une balle à côté de la pharmacie Néma. Il se rappelle que, devant lui, un autre jeune, atteint par une balle, est mort sur le coup. Malgré l’amputation de sa jambe, il se dit plus que jamais déterminé à défendre la cause du leader de Pastef. « Nous étions au front pour défendre Pros (Ndlr, président Ousmane Sonko). Cette amputation ne change rien à ma détermination. Il y a des jeunes comme moi qui ont été tués alors que, moi, je suis toujours vivant. Donc, je n’ai pas le droit d’arrêter. Depuis, on ne voit que l’opposition. Le parti au pouvoir qui devait nous aider est invisible. Je dis à mes camarades que c’est notre destin. On doit être plus résilients. Le combat continue pour le changement au Sénégal. Un changement qui devra se faire au bénéfice de la jeunesse. Ça me fait mal d’être avec une seule jambe. Mais je ne regrette rien. Des fois, j’ai envie de vaquer à mes occupations et je peine à tout faire seul. Avant, je lavais des voitures et j’apprenais à conduire. Je vendais aussi des tickets de PMU pour ma mère Mais il m’est impossible de faire tout ça aujourd’hui », se désole Boubacar Diallo qui exhorte à la poursuite du combat malgré son état de handicapé. Boubacar Diallo appelle les politiciens au pouvoir comme ceux dans l’opposition à prêter une attention à la jeunesse. Il regrette qu’après les dégâts et les pertes en vie humaines, seule l’opposition lui ait manifesté sa solidarité. Le parti au pouvoir a brillé par son absence. Ce qui semble dire, selon lui, que ces gens-là ne sont pas là pour les Sénégalais. Après Boubacar Diallo, sa mère, assise derrière lui sous un manguier, en train d’éplucher des légumes, prend la parole. Mamita Diallo indique qu’elle vit mal la situation de son fils aîné. « Ce qu’il vit actuellement me fait très mal. Mais je m’en remet à Dieu. C’est Lui qui l’a voulu ainsi. Quand je le regarde, je pleure. Nous n’avons pas les moyens et, dans la famille, nous ne sommes que des femmes. Il est le seul homme et le voilà amputé d’une jambe. Il était notre seul espoir et cet espoir s’est effondré. Je lance un message à la jeunesse pour lui demander de faire très attention. Parce que Boubacar depuis, depuis qu’il est amputé, n’a pas travaillé. Il est seul et aucun responsable politique n’est venu nous voir à part quelques militants de Pastef qui nous ont un peu soutenus. Je ne dis à personne de ne pas aller manifester car ceux qui le font disent vouloir l’avancement de leur pays. Ce sont les difficultés du pays qui les ont menés à ces révoltes. Mais personne ne les a influencés. Ils combattent pour eux-mêmes mais il n’empêche, je conseille aux jeunes de faire très attention », confie Mamita avec des mots pleins d’émotions. Estimant n’avoir rien à dire aux politiciens, et toujours en larmes, la mère de Boubacar Diallo reprend son couteau et continue d’éplucher ses légumes pour préparer le repas familial. Au moment où nous quittions, ses larmes se déversaient dans le bol entre ses mains.
Ambiance de deuil chez le défunt Chérif Abdoulaye Mané, tombé au mois de mars 2021
Après notre départ de chez les Diallo, nous nous sommes rendus dans la maison de la famille de Chérif Abdoulaye Mané, un jeune homme tombé sous les balles lors des manifestations de mars 2021. Deux ans et demi après le drame, les Mané portent toujours le deuil de leur membre. Lassana Mané, père du défunt, est un chauffeur dont la voiture a rendu l’âme. Depuis longtemps, il est au chômage au quartier Sigolope-Tessito de Bignona. Dianké Sissoko, mère du défunt, interpellée, a d’abord formulé des prières pour son défunt fils ainsi que toutes les victimes des manifestations. Dans une grande cour familiale sous un arbre à palabre, Dianké Sissokho a parlé de son fils tué lors des manifestations de mars 2021. « Il était élève, né en 2001 et décédé en 2021. Depuis quand je vois son frère couché seul sans lui, j’ai très mal au cœur. Nous devons prier pour ces jeunes qui ont perdu la vie et afin qu’ils se reposent en paix», dit-elle d’emblée. Elle s’arrête car ne pouvant plus continuer du fait de l’émotion et son mari, Lansana Mané, prend la parole pour rappeler que son fils avait promis de prendre la relève pour l’entretien de la famille. Soit avec le ballon ou alors grâce aux études. Chérif, dit-il, était un grand footballeur. « Un jour, il a quitté la maison à 16h. Avant de partir, je lui ai demandé de venir arroser l’oranger. Il m’a dit oui. Mais à 17h, alors que je faisais mes ablutions, on m’a appelé pour me dire que Chérif a pris une balle. Il n’était pas allé à une manifestation. Il était avec son camarade chez le Major Doucouré, un militaire retraité. La balle l’a trouvé dans la maison. J’ai fait 10 jours avec lui à l’hôpital de la Paix de Ziguinchor. Et il est décédé au 11e jour. Parfois, je ne comprends pas. Mais c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. Nous nous remettons à Sa volonté. Ces jeunes qui continuent le combat, je prie pour qu’ils soient en paix et que leur combat porte ses fruits. Que ceux qui sont en prison soient libérés. Que notre espoir soit réalisé.»
Le père de Chérif a aussi rappelé qu’il est chauffeur de profession. Seulement voilà, sa voiture garée dans la cour de la maison est en panne depuis très longtemps. Présentement, il se débrouille pour survivre avec sa famille. Quant à la maman du défunt, elle informe qu’elle travaille comme agent de nettoiement à la mairie de la ville. Et comme, depuis trois mois, ses collègues et elle n’ont pas perçu leurs salaires, il n’y a actuellement aucune source de revenu dans cette maison.
Alexy Abdoulaye Diatta, âgé de 26 ans, jakartaman tué à Bignona
Après Ziguinchor, nous nous sommes rendus à Bignona où Alexy Abdoulaye Diatta, âgé entre 26 et 27 ans, a été tué. Le jeune Jakartaman, qui avait arrêté ses études en 5eme , est décédé lors des manifestations à Bignona au quartier de Tamory. Rachelle Marie Claire Diedhiou, veuve et mère du défunt, retrouvée au quartier Tamory garde toujours un souvenir vivace d’Alexy Ablaye Diatta, son fils, décédé le 17 juin 2022 et dont le corps n’a pu être récupéré par la famille que le 29 juillet de la même année. L’autopsie a révélé qu’il a été tué par balle. Nous avons trouvé Rachelle seule dans sa chambre plongée dans le noir se trouvant au milieu de la grande maison familiale. Versant de chaudes larmes tout le long de l’interview, elle a raconté les souffrances qu’elle vit depuis le décès de son fils adoré. « Nous vivons difficilement depuis la mort d’Alexy. Aucune autorité gouvernementale n’est venue nous voir. La justice n’a encore rien fait pour retrouver les responsables de la mort de mon fils et les sanctionner. Et cela, ça aggrave notre peine. Nous vous remercions, Madame, d’avoir effectué des centaines de kilomètres pour nous permettre de nous exprimer. Nous espérons vraiment que la justice fera son travail. Si une personne est dans le malheur, même si elle ne reçoit pas une aide matérielle ou une assistance financière, au moins qu’elle ait un soutien moral. Mais nous, nous n’avons rien eu de tout cela. J’ai vécu une situation très difficile. « Ils » ont mis 45 jours pour me donner le corps de mon fils. Nous avons fait des va-et-vient à n’en plus finir. Depuis, je ne suis plus là même. Je suis devenue très maladive », confie la veuve qui a aussi perdu son seul fils qui travaillait. Rachelle Marie Claire Diedhiou soupire et pleure longuement avant de reprendre le fil de son récit. Selon elle, Alexy se battait pour que sa famille ait son propre toit. A part le défunt, elle n’a que des enfants en bas âge. Tout ce qu’elle souhaite, c’est qu’on arrête les assassins de son fils. Même si on ne les exécute pas, car la peine de mort n’existe pas au Sénégal, qu’on les emprisonne au moins. Poussant encore un long soupir, elle déclare : « Je ne suis plus la même. Je demande de l’aide. C’est trop dur, la situation que je vis. Mes enfants et moi, nous vivons une situation extrêmement dure », insiste-t-elle.
Révolte de Rachelle Marie Claire Diedhiou
Après la mort de son fils, elle a décidé de participer aux manifestations qui ont suivi. Chaque fois, elle se mettait au milieu de la route en disant : « tuez-moi avant de tuer un autre jeune. Après mon fils, je ne vous laisserai plus commettre un autre crime. » Dans certaines familles où nous nous sommes rendus, les gens n’ont pas voulu s’exprimer. Sans doute par peur de représailles. Personne ne sait en effet quelles formes de pression sont exercées sur ces parents pauvres, désoeuvrés et désorientés. Pour la presse, il faut manoeuvrer ferme pour décrocher des témoignages de familles ayant perdu un de leurs membres durant les différentes manifestations ayant rythmé les diverses affaires Ousmane Sonko. Sous haute surveillance, semble-t-il, ces familles vivent la hantise d’un anéantissement plus gravissime.