HAUTE COUR DE JUSTICE, UN ARSENAL JURIDIQUE DÉPASSÉ
Des textes obsolètes, des lacunes juridiques et des interprétations ambiguës. Tel est le constat d'Alioune Souaré concernant la procédure de mise en accusation d'anciens ministres devant la Haute cour de justice

Une réunion de la Commission des lois en vue de la mise en œuvre de la procédure de mise en accusation devant la Haute cour de justice de cinq anciens ministres du régime de Macky Sall. Alioune Souaré, ancien député et spécialiste du droit parlementaire, nous plonge dans le secret de cette procédure inédite et sans précédent, en livrant, dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, les différentes étapes.
Comment appréciez-vous, sur le plan purement technique, la résolution de mise en accusation devant la haute cour de justice d’anciens ministres?
Permettez-moi, de vous dire d’emblée qu’on va vers des procès difficiles où sûrement la bataille de procédure sera très âpre ! Les textes à l’état actuel traînent beaucoup de lacunes, ils sont obsolètes et très ambigus. Prenons l’exemple, avec les articles 99, 100 et 101 qui consacrent la création de la Haute cour de justice dans notre Constitution, ce sont des copiés-collés des articles 67 et 68 du texte originel de la Constitution française de la cinquième république.
La France a évolué pour réformer ces dispositions constitutionnelles depuis 1993, Malheureusement chez nous, c’est le statu quo et c’est pourquoi, on a toujours ce débat avec diverses interprétations du terme « haute trahison » inclu à l’alinéa 1 de l’article 101 précité.
En France, avec la loi 93-952 du 27 juillet 1993 portant révision de la Constitution, ce terme « haute trahison » est supprimé de la Constitution et remplacé par « le manquement à ses devoirs incompatibles au mandat présidentiel et qui est même un motif de destitution ». Là-bas, il n’y que la Haute cour de justice que le président de l’Assemblée nationale dirige qui peut destituer un président de la République ».
Les membres du gouvernement sont jugés par une autre instance de juridiction appelée la Cour de justice de la République présidée par un magistrat de siège et composée de quinze juges dont des parlementaires (sénateurs et députés). La saisine de la Cour de justice de la République s’effectue par le biais de la commission des requêtes. Toujours sur le Bench markéting, on peut parler des textes béninois qui sont très en avant de par leurs clartés, relativement à la Haute cour de justice et à la définition du terme « haute trahison ». La Constitution béninoise accorde le privilège de juridiction au président de la République et aux membres du gouvernement lorsqu’ils exercent la fonction et sont pénalement jugés devant la Haute cour de justice pour des fautes commises. Mais dès qu’ils cessent leurs activités présidentielles ou gouvernementales et on remarque après qu’ils avaient commis des fautes de gestion, ils répondent dans ce cas pour leurs actes devant les juridictions de droit commun (art.136 Constitution). Et puis, dans la composition des membres de la Haute cour de justice, il y a plus d’acteurs judiciaires que de politiciens (6 membres de la Cour constitutionnelle excepté son président, le président de la Cour suprême et 6 députés) et le président est élu à leur sein.
Quelles sont les différentes étapes de cette procédure au niveau de l’Assemblée nationale ?
Les étapes de la procédure concernant les ministres cités, sont retracées par l’art. 101 alinéa 2 et 3 de la Constitution et qui est complété par la loi organique n° 2002-10 du 22 février 2002 portant sur la Haute cour de justice, elle fixe ainsi les règles du jeu. C’est donc à la commission des lois qu’il incombe de préparer et de soumettre un projet de résolution de mise en accusation pour chaque ministre concerné et qui fait l’objet de discussion entre les députés avant d’être adoptée par la plénière. Conformément, à l’article 17 de la loi organique susvisée qui stipule : « la résolution de l’Assemblée nationale votée dans les conditions prévues à l’article 101 de la Constitution et portant mise en accusation devant la Haute de justice, contient les prénoms, les noms, les fonctions des accusé, l’énoncé sommaire des faits qui leur sont reprochés et, dans le cas prévu à l’alinéa 2 de l’article 101 de la Constitution, le visa des dispositions législatives en vertu desquelles est exercée la poursuite».
Qui composent la Commission d’instruction et quel est son agenda de travail ?
La Commission d’instruction est dirigée par le président de la Cour d’appel de Dakar et elle est composée de quatre autres magistrats de la Cour d’appel. Dès réception de la résolution de mise en accusation, elle se réunit sans délai et démarre les enquêtes selon son agenda de travail et suivant la convocation de chacun des ministres accusés.
Quelle est la procédure de comparution des mis en cause devant cette Commission d’instruction ?
La loi organique 2002-10 du 22 février 20O2 relative à la Haute cour de justice dissocie deux niveaux de comparution des accusés, il y a la comparution devant la Commission d’instruction et la comparution de jugement. L’article 21 de ladite loi dispose : « la Commission d’instruction est convoquée sans délai sur ordre de son président qui invite chaque inculpé à faire assurer sa défense par un avocat régulièrement inscrit ou une personne de son choix. Faute par l’inculpé de déférer à cette invitation, il lui désigne un défenseur d’office parmi les avocats inscrits. Jusqu’à la réunion de la Commission d’instruction, son président peut accomplir tous les actes d’informations utiles à la manifestation de la vérité et peut décerner tout mandat contre les accusés. Dès sa première réunion, la Commission confirme, le cas échéant, les mandats décernés par son président ».
Le constat que l’on peut faire après lecture de cette disposition, c’est la restriction des droits et libertés pour la défense des inculpés (assistance par un seul avocat devant la Commission d’instruction), alors que l’article 22 donne plein pouvoir au quatre magistrats instructeurs de disposer en guise d’assistance d’un ou plusieurs magistrats qui reçoivent commission rogatoire pour instruire une ou plusieurs affaires. L’autre déduction, c’est que le président de la Commission d’instruction peut, dès réception de la résolution de mise en accusation et avant la première réunion de sa Commission, décerner un mandat d’arrêt contre les ministres accusés !
Les arrêts de cette Commission d’instruction sont ils susceptibles de recours
Non ! Les actes de la Commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours. Elle est saisie des faits qualifiés crimes et délits visés par les dispositions de la loi pénale et énoncés dans la résolution de la mise en accusation. Après instruction, elle ordonne, s’il y a lieu, le renvoi des accusés devant la Haute cour de justice, lorsque la procédure lui paraît complète.
Comment se fait la comparution de jugement
Concernant la comparution de jugement, à la requête du procureur général, le président de la Haute cour de justice fixe la date d’ouverture des débats du procès en jugement et les accusés reçoivent huit (8) jours au plus tard avant leur comparution devant la Haute cour signification de l’ordonnance de renvoi.
Les audiences devant la Haute cour sont-ils ouverts au public ?
Les débats devant la Haute cour sont publics, iIs peuvent exceptionnellement se tenir à huis clos. Après la clôture des débats, la Haute Cour statue sur la culpabilité des accusés et sur l’application d’une peine. II est procédé au vote par bulletin secret à la majorité absolue pour chaque chef d’accusation et pour chaque accusé. Toutefois, s’il y a deux peines distinctes prononcées et dans lesquelles aucune entre elle n’a obtenu la majorité des voix, il est écarté au fil et à mesure la peine la plus forte, le vote se poursuit jusqu’à ce qu’une peine obtienne la majorité des votants. Cependant, il faut relever que ce vote des juges de la Haute cour sur l’application des peines prévu à l’article 34 de la loi organique 2002-10, contraste avec les dispositions de l’article 101 alinéa 3 de la Constitution qui stipule : « la Haute cour est liée par la définition des crimes et délits, ainsi que par la détermination des peines, telle qu’elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis».
Les jugements rendus par la Haute cour de justice sontils susceptibles de recours ?
Les arrêts de la Haute cour ne sont susceptibles, ni d’appel ni de pourvoi en cassation. IIs peuvent cependant faire l’objet de révision dans les formes et conditions légales. Cela pose le problème du respect du principe de double degré de juridiction en matière de procès civil. On se rend compte que pour la Commission d’instruction comme pour la Haute cour de justice, les accusés n’ont aucune possibilité de faire un recours, comme c’est dans les juridictions de droit commun.