QUAND LA PLASTIQUE PRIME SUR LA COMPETENCE
C’est «l’affaire Adja Astou» qui est la plus récente, au point que le Cnra a rappelé «les médias audiovisuels à accorder une grande attention et un soin particulier dans l’animation d’antenne et dans l’évocation des questions de société »

Mais les dérapages dans certaines émissions de télévisions ne datent pas d’aujourd’hui. Le manque de professionnalisme en est la principale raison d’autant plus que nos chaines de télévisions sont devenues une affaire ou des médias pour des personnes en «quête d’une visibilité», où la beauté a fini par primer sur la compétence. Selon le cadre de production à la RTS, Michael Soumah et le journaliste-formateur, Jean Meïssa Diop, les animateurs ou chroniqueurs devront renforcer leurs capacités.
Dans une émission retransmise en direct sur la chaine de télévision privée 7TV, jeudi dernier, l’animatrice Adja Astou Cissé avait soutenu que «le viol est plus fréquent chez les Haal Pulaar où les vieux abusaient des petites filles». Des propos qui ont choqué plus d’un, au sein de cette communauté. Ce qui a valu d’ailleurs à l’animatrice une garde à vue de plus de 24h à la Section de recherches de la Gendarmerie de Colobane, avant de recouvrer la liberté. Ce «dérapage» de l’animatrice remet au goût du jour la question du choix des animateurs et des présentateurs dans les chaines de télévisions sénégalaises. D’autant plus qu’aujourd’hui, les plateaux de télévisions sont presque devenus des tribunes d’ex-mannequins, des stars de la musique ou du moins on note une rivalité entre femmes en termes de beauté et de sape.
«AUJOURD’HUI, L’ANIMATION EST DEVENUE UN REFUGE POUR BEAUCOUP»
Bref, des gens qui n’ont bénéficié d’aucune une formation occupent ces médias. «On a tendance à minimiser l’animation au Sénégal, alors que c’est un des métiers de l’audiovisuel que l’on apprend. C'està-dire, de plus en plus, on met des présentateurs ou présentatrices devant le petit écran sans pour autant leur donner une quelconque formation. Ils n’ont pas la culture de ce qu’ils font. Ils ne savent pas les rouages du métier», explique le cadre de production à la RTS, Michael Soumah. Pis, dira le cadre de production à la RTS, «aujourd’hui, l’animation est devenue un refuge pour beaucoup».
«LES DERAPAGES DANS LES MEDIAS PROCEDENT D’UNE CERTAINE MANIE DE VOULOIR AFFICHER UNE AGRESSIVITE CHARMANTE»
Sur ces problèmes dans les émissions, le journaliste-formateur semble Jean Meïssa Diop emboucher la même trompette. «On a comme l’impression que les arguments esthétiques priment devant les arguments éthiques, intellectuels ou professionnels. C’est comme si on avait trop orienté les regards ou bien insister sur les qualités physiques des animatrices. Il y en a qui sont justes belles et puis ça s’arrête là», fait-t-il savoir. Jean Meïssa Diop est d’avis que les «dérapages dans les médias procèdent d’une certaine manie de vouloir afficher une agressivité charmante alors qu’on peut être percutant sans être impertinent ou insolent, sans même choquer», soutient-il.
«CONFUSION DE ROLE: A FORCE DE JOUER AU JOURNALISME PAR DEFAUT, LES ANIMATEURS DEVIENNENT DES JOURNALISTES»
En effet, au-delà de cette beauté qui prime sur la compétence dans les télévisions, il y a également ce qu’on pourrait qualifier de «confusion de rôle». Puisque de nos jours, ce sont les responsables ou directeurs généraux que les journalistes arrivent difficilement à «capter», qui répondent aux invitations de ces animateurs par «effraction». Du coup, ces derniers abordent avec eux des questions parfois «brûlantes» qui mériteraient d’être évoquées par des journalistes. «A force de jouer au journalisme par défaut, les animateurs deviennent des journalistes. Et c’est cette confusion des rôles qui est à l’origine de ce à quoi on a pu assister ces jours-ci. Ce qui est pénible», relève le journaliste-formateur. Pour Jean Meïssa Diop, «l’animateur anime des programmes et le journaliste présente des informations au public». «L’interview est un genre majeur qui n’est pas laissée à n’importe qui», préciset-il.
«IL FAUDRAIT QUE LE JOURNALISTE OU LE CHRONIQUEUR APPRENNE A TOUJOURS AVOIR UNE PENSEE POUR LE PUBLIC»
Aussi, le journaliste-formateur est donc d’avis que les dérapages dans les émissions de télévision sont le résultat d’un «manque de professionnalisme» aussi bien du journaliste que de l’animateur. «Ceux qui réalisent les entretiens ne les préparent pas parce que se mettre dans un coin de la rédaction et se concerter avec les responsables de la rédaction ou de la chaine ne suffit pas. Et on n’a pas le droit de dire n’importe quoi à l’antenne, comme ailleurs», même s’il avoue «qu’on ne peut tout pas prévoir». Jean Meïssa Diop donne des conseils. «Il faudrait que le journaliste ou le chroniqueur apprenne à toujours avoir une pensée pour le public».
«AVOIR LES PREDISPOSITIONS POUR FAIRE CE METIER: UNE BONNE CULTURE GENERALE, UNE BONNE DICTION…»
Toujours pour éviter les dérapages dans les émissions, Michael Soumah préconise la formation. «Il faut avoir les prédispositions pour faire ce métier c'est-à-dire une bonne culture générale, une bonne diction pour pouvoir parler. C’est vrai que beaucoup ont un don, mais, au delà de ce don-là, il est bon de renforcer ses capacités dans ce domaine», soutient le cadre de production à la RTS. Le cas échéant, Michael Soumah recommande une «formation interne puisque dans les groupes de presse, il y a des professionnels», dit-il. Qui plus est, «aujourd’hui, il ne suffit pas d’avoir juste un beau visage pour dire que je peux présenter une émission de télévision». Quoi qu’on puisse dire, aujourd’hui, les animateurs sont cajolés dans le landerneau médiatique, avec des salaires de cadre. Ce, au moment où des journalistes bien formés sombrent dans la dèche. En effet, dans un entretien accordé à Sud Quotidien la semaine dernière, l’expert audiovisuel et conseiller du président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), Mamadou Baal évoquait «l’absence de cahier de charges» qui oblige en amont les éditeurs, «quand ils demandent une Convention de diffusion à l’accompagner d’un programme». A l’en croire, c’est ce qui explique le foisonnement des chaines de télévisions multiples dans le pays «qui font exactement la même chose». «Une chaine de télévision n’est pas une société de production, mais plutôt une société d’édition. Elle doit s’adresser aux producteurs privés dont le métier est de faire des émissions radio ou de faire des émissions de télévision» avait dit Mamadou Baal.
DERIVES DANS LES MEDIAS Les recommandations du CNRA
Suite à «l’affaire Adja Astou», le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) appelle les médias audiovisuels à «accorder une grande attention et un soin particulier dans l’animation d’antenne et dans l’évocation des questions de société à l’antenne». «Le traitement des questions de société, notamment celles portant sur des sujets sensibles, nécessite une certaine culture, une préparation particulière et une bonne maîtrise du sujet», lit-on dans un communiqué rendu public hier, lundi 27 mai, par l’organe de régulation des médias. La même source d’ajouter: «la non prise en compte de ces préalables entraîne la survenue d’incidents, de dérives ou de manquements à la réglementation de nature à entraîner des sanctions contre les éditeurs». C’est pourquoi, «le CNRA, dans un souci de prévention, rappelle aux éditeurs leur obligation de respecter la réglementation applicable à la communication audiovisuelle, notamment celle consistant à conserver ou à rétablir, en toutes circonstances, la maîtrise d’antenne». Pour le CNRA, «les titulaires d’autorisation sont responsables du contenu des émissions qu’ils éditent et programment». Suffisant pour qu’il les exhorte ainsi à «prendre les dispositions et les mesures nécessaires pour garantir le respect des principes et des règles édictés par la réglementation».