CHEIKH NDOYE, L'HOMME QUI NE LÂCHE JAMAIS
Peu pouvaient le prédire - Il y a 10 ans, Cheikh Ndoye était encore menuisier à Rufisque. Sa blessure aux ligaments croisés qui va le priver de la Can est une bourrasque qui ne devrait pas emporter la carrière du robuste milieu de terrain

Peu pouvaient le prédire. Il y a 10 ans, Cheikh Ndoye était encore menuisier à Rufisque. Sa blessure aux ligaments croisés qui va le priver de la Can est une bourrasque qui ne devrait pas emporter la carrière du robuste milieu de terrain (1,90 pour 90 kg). Il a souvent fait face aux vents contraires pour être plus fort. Portrait de l’homme qui ne s’avoue jamais vaincu.
C’est ce vendredi que Aliou Cissé, le sélectionneur national a prévu d’officialiser le nom des 23 joueurs qu’il a choisis pour représenter le Sénégal à la Coupe d’Afrique des Nations (Can) qui se jouera en Egypte du 21 juin au 19 juillet 2019. Pour Coach Cissé, Cheikh Ndoye est un bon soldat au service de l’équipe nationale. « J’ai perdu un élément qu’il faut remplacer et il faut mener une réflexion assez intelligente pour disposer d’un joueur de la trempe de Cheikh Ndoye », envisageait-il, avec regret, après l’annonce de la blessure de « Ndoye, le colosse ».
Totem des Lions
En effet, le milieu de terrain sénégalais est une valeur sûre de la sélection de Aliou Cissé depuis le 4 septembre 2015 lors de Namibie – Sénégal (0 – 2), son premier match officiel avec les Lions, à Windhoek. Comme elle fut porte-bonheur pour ses aînés, Diouf, Fadiga et autres y avaient décroché leur qualification au mondial 2002, la capitale namibienne fut le premier pas d’une marche qui allait conduire Cheikh Ndoye jusqu’au Mondial russe en 2018. On se souvient de son but d’anthologie à Praia pour sceller la victoire du Sénégal sur le Cap Vert (0 – 2).
Qualifié de totem des Lions, Cheikh Ndoye était de toutes les missions du commandant Cissé (Can et Coupe du monde) avant d’être fauché en pleine ascension par cette rupture des ligaments, alors qu’il retrouvait la forme en club avec le SCO d’Angers après un passage mitigé (saison 2017 – 2018) à Birmingham City en League 1 (la deuxième division anglaise). Durant ces trois ans et demi en équipe nationale, Cheikh Ndoye a souvent été remis en question car son profil n’est pas des plus séduisants. « J’ai les pieds carrés, plaisantait-il, lors d’une interview accordée au « Soleil » alors qu’il évoluait à l’Us Créteil (Ligue 2 française) en 2013. Mais je comble mon déficit technique par mon abatage. Je ne lâche jamais ». Un tempérament qui lui a permis de se relever de plusieurs coups durs de la vie. Son parcours n’est pas linéaire.
Essais non concluants
Comme beaucoup de Sénégalais, c’est un féru de football dès sa tendre enfance à Rufisque. Pour lui, la voie qui mène à l’école ayant très tôt débouché sur une impasse. La formation professionnelle l’avait guidé vers la menuiserie. Côté football, son gabarit et son exceptionnelle capacité à renouveler les efforts en font un élément remarquable. C’est ainsi qu’il intègre la CSS à l’âge de 17 ans avant de revenir à Yakaar de Rufisque, l’équipe de sa ville natale de 2006 à 2009. Durant cette époque, il continue à tâter du bois et à raboter des contreplaqués. « La menuiserie était un métier comme les autres et je le faisais avec plaisir », témoignait-il, au « Soleil », en 2015.
Salif Diao, ancien international sénégalais, quart de finaliste à la coupe du monde 2002, lui donne l’occasion de percer dans le foot en l’envoyant, en 2007, faire des essais à Stock City, en Angleterre. Mais au bout de quinze jours, l’essai n’est pas concluant.
De retour au Sénégal, Cheikh Ndoye reprend son quotidien de footballeur à mi-temps. « Je ne lâche jamais, sur et en dehors du terrain », martèle-t-il. Une autre possibilité s’offre à lui dans un club d’Arabie saoudite fin 2008. Les dirigeants saoudiens sont emballés par les qualités du joueur mais, juste avant de signer, il se blesse gravement et se retrouve plâtré pendant trois mois. L’affaire capote. Retour à la case départ.
Le troisième essai sera le bon. Salif Diao, qui continue à noter son nom dans ses petits papiers le fait venir en France, à Epinal, en septembre 2009. Il fait ses adieux avec la menuiserie. Dans les Vosges, Cheikh Ndoye débarque en compagnie de deux amis : Ibrahima Seck et Christophe Diédhiou, pour former « le trio de Sénégalais » d’Epinal. « L’adaptation fut difficile au niveau des exigences tactiques », concède Ndoye. Mais pas seulement. « Quelques semaines après notre arrivée, nous avons découvert la neige », se souvient-il avec le sourire. Sur le terrain, les trois acolytes sont les grands artisans de la montée d’Epinal du monde amateur à l’antichambre de l’élite française (Ligue 2).
La success story des trois sénégalais
Mais rien n’est simple. Le trio se souvient de quelques interdictions linguistiques à Epinal. En match comme à l’entraînement, il leur arrivait de parler en wolof. « Mo gui nieuw » (il arrive), « Guestoul » (retourne-toi), « Gawaal » (fait vite)… « C’était plus un réflexe », explique Christophe Diedhiou. A contrario, cela « ne dérangeait personne » à l’US Créteil Lusitanos, selon Jean-Michel Le Sage, l’un de leurs coéquipiers dans le club du Val-de-Marne qu’ils ont rejoint en 2012.
Après trois ans dans le club de la banlieue parisienne, la success story des trois Sénégalais prend fin. Alors que Christophe Diedhiou poursuit l’aventure avec Créteil et qu’Ibrahima Seck est transféré à l’AJ Auxerre (Ligue 2), Cheikh Ndoye franchit un cap. Il est recruté par Angers, club promu en 2014 – 2015. Les jours qui ont précédé son premier match en ligue 1, Cheikh Ndoye avoue avoir repensé à son parcours, ses parents et amis. « Je n’ai pas l’habitude de me retourner sur mon chemin mais découvrir le championnat de France en tant que capitaine était très particulier. » Après la parenthèse anglaise d’un an, Ndoye est de retour à Angers. Même s’il n’en est plus le capitaine, il montre la voie à ses coéquipiers comme c’était le cas avant son départ à Birmingham. Il continue de s’inscrire dans la durée et ne compte pas les années comme un handicap. « Ce sont les autres qui évoquent mon âge avec scepticisme, je sais que je peux évoluer au haut niveau plusieurs années encore. », plaide celui qui a l’âge du Christ et qui a découvert le foot anglais et la coupe du monde à plus de 30 ans. La rémission complète de sa blessure est espérée dans six mois. Ce qui ne l’empêche pas de rester fidèle à sa devise de ne « jamais lâcher » et de se voir à la prochaine Can, dans deux ans. Il aura 35 ans.