DES DISSENSIONS INTERNES À LA COUR DES COMPTES ?
Des documents exclusifs évoqués par Jeune Afrique, révèlent que le célèbre rapport sur les finances publiques, qui met en cause l'ancien régime, a fait l'objet de vives critiques au sein même de l'institution avant sa publication

(SenePlus) - Selon des documents confidentiels consultés par Jeune Afrique, le rapport sur la situation des finances publiques du pays, qui a fait grand bruit lors de sa publication le 12 février dernier, a provoqué de sérieuses divisions parmi les plus hauts responsables de l'institution.
Dans un document daté du 23 décembre 2024, Mamadou Thiao, président de la Chambre des affaires administratives de la Cour des comptes, a exprimé ses inquiétudes concernant « l'exhaustivité, l'exactitude et la pertinence des informations » présentées dans le rapport. Le haut magistrat a même estimé que ces éléments pourraient être « remis en cause » en raison de la méthodologie adoptée par les auditeurs.
Cette révélation de Jeune Afrique jette un nouvel éclairage sur un dossier qui secoue déjà profondément secoué la vie politique nationale. Pour rappel, le 26 septembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko et son ministre de l'Économie Abdourahmane Sarr avaient organisé une conférence de presse retentissante pour présenter les résultats de l'audit des finances publiques lancé six mois plus tôt, après l'investiture du président Bassirou Diomaye Faye.
Lors de cette conférence, le gouvernement avait accusé l'ancien président Macky Sall d'avoir manipulé les chiffres des finances publiques et dénoncé une « corruption généralisée » sous son administration, accusations que l'ex-chef d'État conteste fermement aujourd'hui.
Dans la foulée, le gouvernement avait demandé à la Cour des comptes d'examiner cet audit, conformément à la loi du 27 décembre 2012 sur le Code de transparence des finances publiques. L'objectif semblait clair : faire valider les accusations portées contre l'administration précédente par une institution réputée indépendante.
C'est la Chambre des affaires budgétaires et financières (CABF) qui s'était vue confier cette mission délicate. Mais après analyse du projet de rapport fin décembre, Mamadou Faye, premier président de l'institution, avait lui aussi exprimé de sérieuses réserves dans un document que JA a pu consulter.
« Il a été demandé à la Chambre de commencer ses travaux par la vérification de la fiabilité des données contenues dans le rapport d'audit produit par le gouvernement. Cela n'a pas été fait. Ou bien, si cela a été fait, ce projet de rapport ne le reflète pas », aurait-il écrit, selon le magazine. Avant d'ajouter : « Ce qui peut être retenu de tout cela est que les auditeurs ne sont pas en mesure de se déterminer sur l'existence ou non d'un surplus de financement, aussi bien en 2022, qu'en 2023 ».
Ces observations font singulièrement écho à un contre-rapport produit mi-avril par l'Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall. Intitulé « Clarifications et mise au point », ce document de 24 pages dénonce notamment le non-respect du principe du contradictoire et une « volonté manifeste de gonflement de l'encours total » de la dette.
Plus troublant encore, le rapport de l'APR affirme que « deux versions du rapport circulent dans le pays depuis plusieurs semaines », une information confirmée à Jeune Afrique par un financier qui a souhaité conserver l'anonymat.
Dès lors, plusieurs interrogations demeurent sans réponse : le rapport final de la Cour des comptes publié le 12 février a-t-il intégré les remarques critiques formulées par le premier président et le président de la Chambre des affaires administratives ? Pourquoi la CABF a-t-elle apparemment dépassé son mandat en réalisant un audit des finances publiques au lieu de se limiter au contrôle de la qualité de l'audit gouvernemental, comme l'exige la loi ?
Et surtout, pourquoi le rapport final n'a-t-il pas été signé par le premier président de la Cour des comptes ? Sollicité par Jeune Afrique pour répondre à ces questions, Aliou Niane, président de la chambre de discipline financière de la Cour des comptes, n'avait pas donné suite à la date de publication de l'article ce mardi 29 avril 2025.