UN JIHADISME D'INFILTRATION AUX PORTES DU SÉNÉGAL
Alors que le JNIM multiplie ses actions violentes dans le sud-ouest malien, sa stratégie vis-à-vis du territoire sénégalais se révèle plus subtile : pas d'attaques frontales, mais une infiltration progressive des réseaux économiques transfrontaliers

(SenePlus) - Dans la zone tri-frontalière entre le Mali, le Sénégal et la Mauritanie, une menace silencieuse prend forme. Selon une enquête récente du Timbuktu Institute, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), filiale d'Al-Qaïda au Sahel, développe une stratégie d'infiltration progressive visant le territoire sénégalais. Une expansion qui ne passe pas par les armes, mais par une pénétration économique et sociale méthodique.
"Le JNIM ne mène aujourd'hui pas d'attaque du côté sénégalais de la frontière, non pas parce qu'il ne le peut pas mais parce qu'il ne le veut pas, pour éviter d'ouvrir un double front. En revanche, il a entamé un processus d'infiltration, en particulier dans les réseaux économiques", explique Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, cité par Jeune Afrique.
Cette tactique s'inscrit dans une stratégie plus large du groupe terroriste, qui a intensifié ses opérations dans la région de Kayes, au sud-ouest du Mali. Selon l'enquête rapportée par le magazine panafricain, "en 2024, le nombre d'actions violentes menées par le JNIM y a été multiplié par sept par rapport à 2021." Les cibles sont variées : forces de sécurité maliennes, entreprises, commerçants, postes de douanes et convois empruntant l'axe stratégique Dakar-Bamako via Kayes.
L'objectif est clair : "Cette stratégie vise, à moyen ou long terme, à isoler Bamako de sa principale voie d'approvisionnement", souligne l'étude du Timbuktu Institute relayée par JA.
Le double attentat qui a frappé Bamako le 17 septembre dernier a démontré la capacité opérationnelle du groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Mais c'est surtout son emprise économique qui préoccupe. Le JNIM s'est infiltré dans de nombreux secteurs : "De la revente de bétail volé à l'imposition de 'taxes' sur les exploitants forestiers ou les mines d'or artisanales en passant par la prise de contrôle, via des intermédiaires, d'une partie du transport de bois", rapporte le magazine.
Le rapport est catégorique : "Plus que son activité sécuritaire, qu'il essaie de limiter, l'activité économique du JNIM lui a permis de s'implanter par des circuits commerciaux en Mauritanie et au Sénégal, certains commerçants de ces États étant contraints de collaborer indirectement avec lui, y compris par la fourniture de renseignements et l'approvisionnement de ses réseaux actifs ou dormants."
Au-delà de la dimension économique, le groupe jihadiste tente également d'exploiter les vulnérabilités sociales au Sénégal. D'après l'enquête citée par Jeune Afrique, le JNIM cible particulièrement "les 'classes inférieures' du système de castes et les victimes de la pratique de l'esclavage par ascendance, qui se perpétue notamment dans les régions de Matam et Tambacounda."
Face à cette marginalisation persistante, les chercheurs pointent "l'inertie" des leaders religieux traditionnels issus de la tradition soufie et confrérique. Cette absence de réponse laisse le champ libre aux réseaux extrémistes : "Des sources rapportent que des réseaux salafistes ont déjà pénétré la région de Bakel en s'emparant de cette contradiction sociale persistante [...]. Ils réussissent à présenter le salafisme comme plus égalitaire et comme une 'théologie de la libération'", indique le rapport cité par Jeune Afrique
Cette méthode, qui a déjà fait ses preuves au Burkina Faso, s'appuie notamment sur le mécontentement d'une partie de la communauté soninké.
L'expansion du JNIM vers le Sénégal semble ainsi reposer davantage sur une stratégie d'infiltration à bas bruit que sur des actions spectaculaires. Une approche qui pourrait, à terme, constituer une menace sérieuse pour la stabilité du pays jusqu'ici relativement épargné par le jihadisme sahélien.