FIN DE PARTIE POUR BOLLORÉ EN AFRIQUE ?
Les rumeurs vont bon train s’agissant de la cession des activités africaines du groupe en matière de transport et de logistique. Confrontée à la concurrence internationale, la multinationale accumule par ailleurs les déboires judiciaires

Le groupe Bolloré ne commente pas les rumeurs de presse concernant ses activités de transport et de logistique. » C’est par ce communiqué laconique d’une seule phrase, publié le 15 octobre 2021, que le service de presse du géant français répond aux bruits selon lesquels il serait « prêt à vendre » sa branche logistique sur le continent africain. Selon Le Monde (1), la banque d’affaires Morgan Stanley aurait même été chargée « de sonder discrètement l’intérêt des acquéreurs potentiels, notamment les grands noms du transport maritime », dont l’armateur français Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM) et le danois Maersk, « qui étudieraient le dossier ».
Un tel retournement aurait de quoi surprendre, car la holding a construit en Afrique un véritable empire, grâce au rachat de diverses entreprises depuis le milieu des années 1980. Présente dans quarante-deux ports, sa filiale Bolloré Africa Logistics agit comme agent de ligne maritime et manutentionnaire ; elle est concessionnaire de seize terminaux à conteneurs — la plupart dans les pays francophones. Elle gère également trois concessions ferroviaires et assure de la logistique et du transit avec des opérations de dédouanement et de transport de marchandises. Elle emploie plus de vingt mille personnes, soit un quart des effectifs du groupe dans le monde. Elle a réalisé en 2020 un chiffre d’affaires de 2,1 milliards d’euros, tandis que celui de Bolloré SE, la maison mère, atteignait 24,11 milliards d’euros. Si l’on ajoute les activités de communication, le groupe réalise 11 % de son chiffre d’affaires en Afrique, où il a bâti une partie de sa fortune. Selon une étude d’Exane BNP Paribas, en 2012, ce continent représentait près de 80 % de ses profits (2).
Effet d’aubaine ? En raison de la reprise de l’activité économique consécutive à l’essoufflement de la pandémie de Covid-19 et de l’explosion des prix du fret, les entreprises de transport maritime, qui voient leurs bénéfices s’envoler, cherchent à réinvestir. CMA-CGM négocie ainsi l’acquisition du troisième plus grand terminal des ports de Los Angeles tandis que Maersk vient de racheter l’allemand Senator International, spécialisé dans le fret aérien. En ce qui concerne Bolloré, Morgan Stanley, CMA-CGM et Maersk n’ont pas voulu confirmer ou infirmer les informations parues dans la presse. En revanche, M. Philippe Labonne, directeur général adjoint de Bolloré Transport et Logistics et directeur général de Bolloré Ports, a démenti tout projet de départ lors d’un déplacement au Cameroun, affirmant même vouloir continuer à investir dans la région. Il a rappelé que la multinationale a lancé la construction d’un second terminal à conteneurs à Abidjan. « Nous sommes en Afrique pour la durée », a-t-il lancé le 20 octobre 2021. L’information n’a, semble-t-il, pas dépassé les frontières du Cameroun, mis à part une nouvelle brève dans le mensuel financier panafricain Financial Afrik (3).
Reconnaissance de culpabilité
Pourtant, les déboires accumulés en Afrique pourraient inciter le groupe à revoir ses priorités stratégiques. En premier lieu, les procédures judiciaires se multiplient contre lui. La plus importante pourrait déboucher sur un procès en France contre l’ancien président-directeur général du groupe Vincent Bolloré, le directeur général Gilles Alix et le responsable du pôle international de Havas Jean-Philippe Dorent. En 2013, le tribunal de Paris a ouvert une information judiciaire pour « corruption d’agent public étranger, abus de confiance et complicité d’abus de confiance ». Les juges soupçonnaient le groupe Bolloré d’avoir sous-facturé des prestations de conseil et de communication à M. Alpha Condé, qui briguait alors la présidence de la Guinée, et à M. Faure Gnassingbé, alors candidat à sa réélection au Togo, contre l’obtention de la gestion des ports de Conakry et de Lomé. L’enquête s’était conclue par un « plaider-coupable » négocié avec le parquet national financier (PNF) : M. Bolloré et ses deux collaborateurs, d’une part, et le groupe en tant que personne morale, d’autre part, avaient accepté de reconnaître leur culpabilité dans le dossier togolais — le volet guinéen avait été écarté pour prescription. En échange, il était convenu que les trois hommes s’acquitteraient d’une amende de 375 000 euros chacun, tandis que l’entreprise s’engagerait à verser douze millions d’euros au Trésor public. Cet arrangement devait être validé par le tribunal judiciaire de Paris lors d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le 26 février 2021. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu : la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui présidait l’audience, a — certes — validé la convention judiciaire d’intérêt public visant Bolloré SE et sa maison mère, la Financière de l’Odet SE, mais elle a rejeté l’accord passé avec M. Bolloré et ses collaborateurs, bien que le milliardaire ait, comme convenu, reconnu devant elle sa culpabilité pour les faits de « corruption » et de « complicité d’abus de confiance », tout comme M. Alix l’a fait pour ceux de « corruption » et d’« abus de confiance » et M. Dorent pour ceux de « complicité d’abus de confiance ». Ces faits doivent faire l’objet d’un procès public en raison de leur gravité, selon la juge qui estime que les peines déterminées par le PNF sont « inadaptées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de leur auteur ». Suite normale de la procédure, le dossier a été transmis à un nouveau juge d’instruction. Un éventuel délit de corruption serait passible de cinq ans de prison.