VIDEOMULTIPLE PHOTOS LE SÉNÉGAL APPELÉ À RÉPUDIER SA DETTE
L'héritage de Macky Sall étouffe le Sénégal. Pour l'économiste Ndongo Samba Sylla, une seule solution s'impose : refuser de payer cette "dette illégale" contractée sans l'aval du peuple. Il plaide par ailleurs pour un "audit citoyen de la dette"
Le nouveau gouvernement fait face à un héritage économique explosif. Avec une dette représentant 119% du PIB selon la banque Barclays, le Sénégal est devenu le pays le plus endetté d'Afrique. Face à cette situation, l'économiste Ndongo Samba Sylla lance un appel radical : il est temps de répudier cette dette.
Invité de l'émission "Décrypter l'Afrique" aux côtés de l'actuaire Abdou Cissé, Ndongo Samba Sylla, co-auteur avec Fanny Pigeaud de "L'arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA", dresse un constat implacable. "Cette dette cachée, d'après des informations disponibles, serait de 13 milliards de dollars fin 2024", explique-t-il, évoquant les révélations du rapport de la Cour des comptes sur les 7 milliards de dollars dissimulés par le régime de Macky Sall.
Pour l'économiste, cette situation n'est que la partie émergée de l'iceberg : "Même sans dette cachée, le Sénégal est en train de vivre la crise de la dette la plus importante de son histoire."
L'appel à la répudiation de Ndongo Samba Sylla s'appuie sur des arguments juridiques et démocratiques précis. "Une dette qui n'a pas été soumise à l'approbation du parlement, c'est une non-dette légalement parlant. Le peuple sénégalais ne doit pas payer", martèle-t-il, citant Thomas Sankara : "Si nous payons nous mourrons. Si nous payons pas, rien ne va arriver au créancier."
L'économiste plaide pour un "audit citoyen de la dette" afin de déterminer "comment la dette a été contractée, où est-ce que c'est allé" et permettre au peuple sénégalais de décider de son sort. Il cite les précédents de l'Équateur sous Rafael Correa à partir de 2007 et de l'Islande lors de la crise financière internationale.
Selon Sylla, cette dette est structurellement impossible à rembourser : "La seule manière de la payer, c'est de s'endetter à nouveau." Il dénonce particulièrement l'explosion de l'endettement sous Macky Sall, rappelant qu'"entre 2010 et 2023, la dette extérieure a augmenté de plus de 129% en proportion du produit national brut."
Le problème fondamental réside dans la nature de cet endettement : "Beaucoup de pays ont pris des dettes en monnaie étrangère et ne les ont pas investies dans des projets qui rapportent des recettes en monnaie étrangère." C'est pourquoi "tous ces pays ont fait défaut", à l'image du Kenya, du Ghana ou de la Zambie.
La prison monétaire du franc CFA
Face au plan de redressement "Jubbanti Koom" du gouvernement, focalisé sur la réduction des dépenses publiques et la mobilisation des ressources domestiques, Sylla et Cissé dénoncent une "cure d'austérité" déguisée. "C'est un programme de consolidation budgétaire", explique l'économiste, qui rappelle les leçons de la crise grecque où "le FMI est revenu plus tard en disant 'nous nous sommes trompés sur l'impact de l'austérité'".
Abdou Cissé, de son côté, pointe l'absence de dimension sociale dans ce plan : "Ce qui manque vraiment, c'est qu'il y ait ce volet gestion des risques, les risques sociaux." Il plaide pour un véritable "projet de protection sociale" plutôt que de simples actions sociales.
Les deux experts convergent sur un diagnostic : le Sénégal est prisonnier du système monétaire du franc CFA. "Le Sénégal est un État monétairement contraint comme la Grèce dans la zone euro", analyse Sylla. "Le gouvernement n'a qu'un seul levier, c'est la fiscalité. Il n'a pas de politique monétaire."
Cissé va plus loin, réclamant l'intervention de la banque centrale : "Il faut que la banque centrale vienne s'asseoir avec nous et qu'on discute." Il rappelle que "depuis 2008, tous les États qui se sont développés ont eu du financement monétaire", citant l'exemple français où "le tiers de la dette est détenu par la BCE."
Au-delà de la question de la dette, Ndongo Samba Sylla appelle à une rupture avec "ce modèle de finance coloniale qui a été institutionnalisé dans les politiques économiques en Afrique." Il dénonce un système où "on leur fait croire qu'ils peuvent mobiliser des ressources internes pour s'ajuster, alors que c'est impossible."
L'économiste plaide pour que "les États africains aient leur propre système financier autonome" et critique le fait que "tous nos dirigeants et la plupart de nos économistes réduisent les problèmes de développement à des problèmes de financement."
Face aux défis actuels, l'appel de Ndongo Samba Sylla résonne comme un cri d'alarme : "Il ne faut pas que nous acceptions que notre peuple trinque du fait des choix de politique économique contestables, souvent illégaux, du régime d'avant avec la complicité du FMI." Une position radicale qui interpelle sur les véritables leviers de souveraineté économique du Sénégal.