QUAND LA «SENEGALITE » DIVISE LES ACTEURS
D’ un côté, un privé national prêt à aller à l’assaut du marché. De l'autre, des multinationales en charge de l'exploitation du pétrole et du gaz qui se la jouent diplomates

Comme une belle nana aux formes généreuses état tirantes, le pétrole sénégalais fait l'objet de toutes les convoitises. Majors, secteurs privés et pouvoirs publics ont décliné, hier à Diamniadio, leurs beaux atours, chacun pour charmer le président de la République, en vue de profiter, au maximum, des ressources pétrolières et gazières.
D’ un côté, un privé national prêt à aller à l’assaut du marché. De l'autre, des multinationales en charge de l'exploitation du pétrole et du gaz qui se la jouent diplomates. L’enjeu est de taille. Il s’agit, en effet, du contrôle des retombées de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, objet de toutes les convoitises. Hier, à Diamniadio, les discussions se sont certes déroulées dans la sérénité. Mais chaque partie a essayé de défendre sans concession ses intérêts. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que pour ce qui est de l’application de la loi sur le contenu local, les choses ne sont pas aussi simples. Déjà, des écueils juridiques se dressent sur le chemin de l’Etat et du président de la République. Qu’est ce qu’une entreprise sénégalaise ? Voilà une bien embarrassante interrogation qui revient dans la plupart des concertations. Pour le moment, c’est le grand flou. Et l’Etat ne tranche pas. Les acteurs nationaux ont renouvelé, hier, leur requête.
Patron du Conseil national du patronat, Baïdy Agne déclare : “Nous comptons sur vous, Monsieur le Président, pour avoir une définition claire. Je le dis humblement, c’est pour qu’on puisse tirer le plus de valeur ajoutée au bénéfice des Sénégalais. Je comprends la difficulté de la chose, à cause notamment des normes communautaires... Je ne sais pas si mon ami Gérard Senac est là. Mais quand on voit l’exposé de Bp, on ne voit que lui. Nous aurions souhaité qu’il y ait également des Sénégalais. Nous espérons que les décrets vont préciser que, par entreprise sénégalaise, il ne faudrait pas seulement entendre une entreprise de droit sénégalais.’’ S’il y a une chose qui est claire, c’est la définition du contenu local. Il s’agit, en fait, de “l’ensemble des initiatives visant à promouvoir les biens et services nationaux ainsi que le développement de la participation de la main-d’œuvre, de la technologie et du capital nationaux dans toute la chaine de valeur de l’industrie pétrolière et gazière’’.
Cette loi suscite beaucoup d’espoir. Mais, pour le moment, elle ne semble pas donner les fruits escomptés. Certains marchés circulent librement au nez et à la barbe des Sénégalais. Membre du Cnes et secrétaire général de l’Association des pétroliers du Sénégal, Mahammed Seck s’en désole. “Au moment où nous parlons, des choses sont en train de se passer sans les entreprises sénégalaises. Les compagnies sont, en effet, en train d’utiliser du carburant que nous sommes en mesure de leur fournir. Nous demandons, conformément à l’esprit de la loi, que des quotas soient réservés aux Sénégalais. A ce jour, je n’ai vu aucune entreprise sénégalaise fournir une goutte’’, se plaint-il. Mais il ne faudrait surtout pas tout attendre de l’Etat, semble mettre en garde le président de la République qui devra constamment jouer aux équilibres entre la nécessité de soutenir ses administrés sénégalais et le besoin de mettre à l’aise les investisseurs qui ont mis leurs sous. Malgré les bonnes dispositions de l’Etat de les accompagner, le privé national devra y mettre du sien, pour tirer pleinement profit du contenu local. Selon le président Sall, le secteur privé devra se regrouper pour constituer des entités fortes, en vue de gagner des parts de marché importantes. “C’est valable pour tous les secteurs d’activité, souligne-t-il. C’est ce qui se fait partout.
Ailleurs, on a parfois, par exemple, des cabinets de 500 avocats, avec toutes les compétences nécessaires. Mais ici, chaque individu est un cabinet ; chaque individu est une société. On a beau vouloir aider, mais dans ces conditions c’est difficile. Il faut donc cet effort national sur nous-mêmes. Constituez des blocs, parce que le secteur est trop exigeant’’. D’après le président Macky Sall, il n’y a pas de place pour l’erreur, dans le milieu des hydrocarbures. Il ajoute : “Pas de place pour l’amateurisme, pour faire des opérations aussi sérieuses. Il faudra donc se mettre à niveau et profiter au maximum des opportunités.’’ Macky Sall se veut également rassurant pour les opérateurs. “Je voulais rassurer les entreprises étrangères et les compagnies pétrolières qui sont les acteurs de premier plan. Il faut intégrer le fait que, comme partout dans le monde, c’est un secteur hautement capitalistique avec des risques énormes. On ne peut pas développer ce secteur, au Sénégal, sans ces compagnies’’.
En ce qui concerne le débat sur le critère pour définir l’entreprise nationale, Macky Sall enjoint d’éviter la dichotomie compagnie nationale compagnie étrangère. “Mon rôle premier, affirme-t-il, est d’aider les nationaux. Mais pour les aider dans un secteur comme celui-là, il faut qu’il y ait une synergie. Il faut que les gens travaillent ensemble. Le secteur privé national ne doit pas avoir le complexe de travailler avec les entreprises étrangères’’. Une tâche qui s’annonce bien ardue.
DÉTERMINATION DE LA NATIONALITÉ : Les éclairages de Me Bassirou Baldé
“C’est malheureux que la loi sur le contenu local ne définisse pas l’entreprise sénégalaise. D’abord, il faut distinguer l’entreprise sénégalaise et celle de droit sénégalais. Ce dernier désigne toute entreprise immatriculée au registre du commerce et du crédit mobilier au Sénégal. Pour ce qui est des entreprises ou sociétés de nationalité sénégalaise, le problème que nous avons, c’est que les dispositions qui permettaient d’apporter une réponse ont été abrogées, depuis 1998, suite à l’adoption de l’acte uniforme de l’Ohada sur les sociétés. Il s’agit de la loi 85-40 du 29 juillet 1985, consacrée à la quatrième partie du Cocc et relative aux sociétés commerciales. Cette loi considérait que : “Est de nationalité sénégalaise les entreprises où les actions ou parts sociales sont détenues à plus de 50 % par des nationaux.” Malheureusement, elle a été abrogée et ainsi un vide a été créé. Aujourd’hui, par rapport au droit commun, on n’a pas de texte qui permet de déterminer les entreprises de nationalité sénégalaise. Nonobstant ce vide, nous avons des textes qui permettent de faire une interprétation analogique. C’est notamment le cas du Code de la marine marchande. Ce code a donné des critères de détermination et ce sont les mêmes critères, qui étaient prévus dans le Cocc, qui ont été repris. Il faut 51 % des actions ou parts sociales. La nouveauté, avec le Code de la marine marchande, c’est que les 51 % peuvent être détenus par des nationaux ou des ressortissants de l’Uemoa. Il en est de même avec le Code de l’aviation civile, pour ce qui concerne les aéronefs. A mon avis, ces dispositions doivent pouvoir s’appliquer en l’espèce.