LES DÉFIS DE LA RÉFORME DES CURRICULA
EXCLUSIF SENEPLUS - Face aux échecs observés ailleurs en Afrique, le Sénégal doit éviter le piège du "copier-coller" occidental et construire une réforme ancrée dans ses valeurs endogènes tout en intégrant les défis du XXIe siècle

I. Pourquoi l’urgence de la réforme des curricula se justifie ?
Le système éducatif de notre pays est en train de vivre une étape cruciale dans son évolution avec la perspective de la réforme des curricula envisagée par l’Etat. Mais il faut tout de suite rappeler que ce projet n’est pas nouveau, car il a été envisagé depuis longtemps. Ce choix se justifie par des constats relevés à la suite d’un état des lieux qui a révélé de nombreuses contraintes ayant réduit la performance de notre système éducatif, nonobstant la part importante de notre budget qui lui est consacrée. Parmi ces nombreuses contraintes on peut citer :
Les performances jugées faibles des apprenants aux différents examens et concours nationaux mettant en relief les conditions d’apprentissage peu propices à la réussite scolaire et posant le problème de la qualité des enseignements-apprentissages ;
Un système d’évaluation peu efficace de l’éducation de base au secondaire;
Le manque criard de l’interdisciplinarité dans la conception et la mise en œuvre des contenus d’enseignement.
Ces insuffisances ont eu pour résultat des curricula inadéquats symbolisés par :
L’inexistence d’un continuum curriculaire du préscolaire au secondaire alors que ces différents niveaux doivent être unifiés et intégrés dans le processus de mise en œuvre avec des transitions réussies ;
La lourdeur des programmes avec leur caractère encyclopédique dont certains contenus sont loin de nos réalités et qui expliquent en partie un quantum horaire rarement atteint.
En outre, l’inadaptation des curricula est aggravée par l’utilisation quasi-totale du français pour véhiculer nos enseignements-apprentissages alors que c’est une langue étrangère que nos apprenants ne parviennent pas à maîtriser convenablement. A cela s’ajoute une faible démarche inclusive avec une prise en compte insuffisante des autres composantes essentielles de notre système éducatif notamment les daaras et l’implication négligeable des différentes communautés. Pourtant, la plupart de ces lacunes ont fait l’objet de plusieurs réflexions, notamment la question des programmes scolaires conduisant même à des réformes de notre système éducatif comme en 1962, 1971, 1991, 2000 et 2012. Mais l’application, le suivi et l’évaluation ont fait souvent défaut.
C’est dans ce contexte que l’Etat envisage la réforme des curricula qui doit prendre en compte les réformes précédentes en les améliorant, comme celles qui ont eu lieu au préscolaire et à l’élémentaire, mais aussi à l’Education de Base des Jeunes et des Adultes (EBJA) avec le Curriculum de l’Éducation de Base (CEB), sans oublier le projet USAID-EDB. Il s’agit in fine d’entreprendre des réformes de notre système éducatif pour le mettre « en adéquation avec les valeurs historiques et culturelles de la Nation ».
II. Approche théorique : clarification conceptuelle
D’emblée, il est important de remarquer que la définition de la notion de curriculum fait l’objet d’interprétations diverses. C’est pourquoi, on peut s’interroger sur la réussite de ce projet de réforme des curricula si le concept n’est pas perçu de la même manière par les acteurs. Mais dans un esprit constructif, admettons que cette diversité est aussi source de richesse dans la mesure où elle peut conduire à un minimum de consensus autour de l’essentiel grâce à la mutualisation des idées et des expériences.
Le concept de curriculum recouvre ainsi plusieurs aspects. C’est pourquoi il a été défini selon plusieurs approches en fonction des auteurs ou des cultures (anglophone, francophone, nord-américaine pour le Canada). Mais toutes ces approches se complètent et convergent vers le même résultat à savoir la quintessence du contenu du concept de curriculum. La notion de curriculum a une dimension systémique en raison de la diversité des contenus à enseigner (savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir-devenir) et de leur mise forme qui doit respecter une certaine cohérence. Donc, le curriculum doit tenir compte pour s’y adapter de la dimension cognitive, sociale et culturelle des apprenants. Toute cette démarche repose sur la socialisation de l’éducation c’est-à-dire le processus d’apprentissage et d’intégration des normes, des règles et des valeurs de notre société prescrite et pilotée dans un cadre institutionnel comme le Ministère de l’Education Nationale (MEN) au Sénégal.
Dans ce sens et de manière explicite, le curriculum comprend les programmes des différentes matières à enseigner et prend en compte inéluctablement les finalités de l’éducation visée, en spécifiant les activités d’enseignement-apprentissage à dérouler à partir desquelles se fera l’évaluation (D’Hainaut, 1983). Dans cet ordre d’idées, Deketele (1996) soutient que le concept de programme renvoie à une liste de matières à enseigner qui peuvent être orientées par des instructions et des indications précisant la méthode appropriée pour dispenser leurs enseignements. Donc, le programme va au-delà des contenus à enseigner. Pour Jackson (1992) le curriculum désigne tout ce qui est censé être enseigné et ce qui est censé être appris, selon un ordre de progression défini dans un cycle d’études.
Le curriculum se rapproche souvent de la notion de compétence dans la mise en œuvre des programmes. La compétence est définie par la capacité de l’individu à accomplir certaines tâches. Il s’agit essentiellement des compétences générales qui sont transférables car facilitant la réalisation de plusieurs autres tâches diversifiées et des compétences spécifiques orientées vers des tâches particulières. Dans le domaine de l’éducation les compétences guident les apprentissages et aident à la résolution de problèmes.
La compétence se distingue aussi de la performance malgré leur proximité. Elle renvoie à une capacité à exécuter une tâche ou une réalisation concrète réussie considérée alors comme une performance. Dans le cadre des enseignements-apprentissages la compétence fait référence au degré d’efficience c’est-à-dire de rendement auquel on est en droit d’attendre de l’apprenant à partir de ses aptitudes.
Le terme de compétence est ainsi polysémique. Dans une approche ancienne des programmes, le terme désigne l’aptitude, la capacité y compris la connaissance. Mais sa signification est différente dans l’approche par compétences d’après plusieurs spécialistes. Ainsi, pour résumer une compétence suppose non seulement des savoirs, savoir-faire et des aptitudes, mais exige en même temps l’intégration des différents types de savoir et la résolution de problèmes (Legendre, 1993 ; Wolfs et al. 1997 ; Perrenoud, 1998 ; Roegiers, 2001 ; De Ketele, 2001).
Donc, une compétence peut être définie comme la capacité de mobiliser ou d’intégrer un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir être pour réaliser des tâches, pour résoudre une famille de situations-problèmes. Cela renvoie à la « pédagogie de l’intégration » qui permet aux apprenants de s’insérer dans la vie économique et sociale (De Ketele, 1996 ; Roegiers, 2000, 2003, 2004). En définitive, quel que soit l’approche ou l’orientation le curriculum est l’expression d’un projet éducatif défini l’Etat.
III. Les principales étapes des réformes du système éducatif sénégalais
Le système éducatif sénégalais a connu plusieurs réformes depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale en 1960. Elles visaient à le rendre plus efficace et pertinent tout en l’adaptant à nos réalités sociales et culturelles pour mieux armer les générations présentes et futures à prendre en charge notre développement dans ses différentes facettes et composantes. Dans ce sillage des étapes importantes ont été franchies et contextualisées selon les exigences du moment :
1962 : première réforme au début de notre indépendance
Elle visait principalement à se départir de ce qui avait été considéré comme l’héritage de l’école coloniale. Il fallait donc poser les premiers jalons des réformes pour adapter notre système éducatif à nos besoins et aux exigences d’un nouvel Etat indépendant. D’ailleurs, les intellectuels et le mouvement syndical avaient dénoncé le pouvoir de l’époque qualifié de « néocolonialiste » car reproduisant le système français sans discernement. Il s’agit de « l’école de Jules Ferry » mise en œuvre par ses lois éponymes entre 1881 et 1886 qui ont fortement réformé le système éducatif français et dont les séquelles demeurent encore au Sénégal. Ce rejet du système français s’est prolongé jusqu’aux événements de mai 1968 avec la grève des étudiants et des syndicats qui a beaucoup impacté l’orientation de notre système éducatif.
1971 : la loi d’orientation
La loi d’orientation n°71-036 du 3 juin 1971 amena une profonde réforme en touchant tous les pans de l’école sénégalaise depuis sa conception, en passant par ses objectifs, sa gestion jusqu’à sa mise en œuvre. Ses principes reposent sur les réalités et les valeurs culturelles nationales et africaines.
1979 : focus sur l’enseignement élémentaire
La réforme de 1979 a pour fondement le décret n° 79-1165 du 20 décembre 1979 portant organisation de l’enseignement élémentaire. Il détermine les nouveaux programmes qui doivent entrer en vigueur à ce niveau conformément à la loi d’orientation.
1981 : les États Généraux de l’Education et de la Formation (EGEF)
Les États Généraux de l’Education et de la Formation (EGEF) furent organisés à la suite d’une longue grève qui a fortement perturbé l’école sénégalaise. Ils ont abouti à la création de
« l’École nouvelle » dont l’objectif est de produire des jeunes bien formés aux plans des connaissances théoriques, techniques et professionnelles, mais aussi imbus de nos valeurs cardinales pour mieux s’insérer dans leur société et leur milieu. Parallèlement, les programmes des classes pilotes furent lancés en même temps que la suppression programmée de la méthode CLAD « Pour parler français ». Sept ans plus tard, l’année 1988 fut marquée par l’une des crises les plus graves de l’histoire de l’école sénégalaise. Une grève sans précédent s’est généralisée à tous les secteurs, conduisant les autorités à déclarer l’année scolaire et universitaire « blanche ».
1991 : une nouvelle loi d’orientation, la loi n° 91-22 du 16 février 1991
Elle a été adoptée par la Commission Nationale de Réforme de l’Éducation et de la Formation·(CNREF) issue des conclusions des EGEF. Elle réaffirme la laïcité, la promotion des valeurs démocratiques et l’ancrage de notre système éducatif dans les réalités sénégalaises et africaines. La loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 a été modifiée et complétée par la loi n° 2004-37 du 3 décembre 2004 dont l´objet était l´instruction obligatoire pour une période scolaire de 10 ans pour les enfants âgés de 6 à 16 ans, au niveau de l’éducation de base du préscolaire au moyen.
2000-2012 : le Programme Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF)
Le PDEF s’inscrit dans la mouvance de « l’Éducation Pour Tous ». L’un de ses axes majeurs est l’amélioration de la qualité des apprentissages notamment l’amélioration des curricula.
2012 : le Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence dans l’Education et la Formation (PAQUET-EF)
Il est défini par la nouvelle Lettre de Politique Sectorielle Générale (LPSG) pour le secteur de l’Education et la Formation initiée par l’Etat et qui couvre la période 2013-2025. Elle été réactualisée pour la période de 2018-2030 pour intégrer les nouvelles orientations notamment celles liées aux engagements internationaux (l’Objectif de Développement Durable 4, l’Agenda 2063 de l’Union africaine) et nationaux (Plan Sénégal Emergent, Acte III de la décentralisation) auxquels le Sénégal a souscrit. Ainsi, il met l’accent entre autres sur la réforme des programmes et définit leur mise en œuvre et leur impact dans la vie courante.
2014 : organisation des Assisses Nationales de l’Education et de la Formation.
Les conclusions des Assises de l’Education et de la Formation déclinent une feuille de route dont l´objectif général demeure une école pour tous, de qualité, viable, stable et pacifiée.
Toutes les réformes susmentionnées ont en commun la volonté d´instaurer un système éducatif endogène, ayant comme fondement les valeurs culturelles du pays et ouvert aux autres valeurs universelles. Leur évaluation constitue, pour autant, un défi majeur pour mesurer l’efficacité et l´efficience des politiques éducatives, ainsi que leur impact réel sur les enseignements-apprentissages et les apprenants.
IV. Quelles stratégies pour réussir la réforme des curricula?
La performance des systèmes éducatifs est aujourd’hui une exigence dans l’optique du développement des nations. Investir dans le capital humain est considéré comme une voie vers de meilleures conditions de vie et l’employabilité des jeunes, mais aussi vers la promotion des valeurs démocratiques, de la justice et de la solidarité d’une nation.
Le Bureau International de l’Education (BIE) de l’UNESCO avait depuis longtemps prôné la réforme et l’adéquation des curricula à des contenus adaptés et à des méthodes pédagogiques innovantes. La CONFEMEN (Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage) pour sa part, avait identifié déjà lors de son sommet de Yaoundé en 1996, que les réformes curriculaires étaient essentielles dans le développement de l’éducation de base dans les pays membres.
C’est dans cette optique que de nombreux pays du Sud, avec l’accompagnement des partenaires techniques et financiers se sont lancés dans la réforme de leur système éducatif pour le rendre plus performant. Mais cet engouement obéit à des stratégies adéquates pour parvenir à des résultats probants. C’est l’un des grands défis de la réforme pour éviter des échecs dommageables, comme ce fut le cas en Afrique du Sud avec l’élaboration du Curriculum 2005 considéré comme « un faux départ » car mise en œuvre hors du contexte local (C. Carpentier, 2008). Une réforme curriculaire soi-disant innovante est donc inévitablement vouée à l’échec lorsqu’il s’agit d’un copier-coller qui reproduit les schémas des pays occidentaux ou non adaptés aux réalités du pays.
L’élaboration d’un curriculum doit s’opérer selon une vision conforme à nos valeurs nationales, à nos réalités culturelles en respectant une planification rigoureuse dans sa mise en œuvre pour baliser une évaluation objective. Ces réformes curriculaires doivent s’engager d’abord dans une vision globale de transformation qualitative et efficiente du système éducatif, car l’éducation et la formation ne se limitent plus en ce XXIe siècle aux savoirs et aux savoir-faire, mais elles représentent une base essentielle de développement économique et social des pays comme le nôtre. Par ailleurs, si notre pays a beaucoup progressé quantitativement dans le domaine de l’accès, des efforts restent à faire dans le domaine de la qualité comme l’ont démontré les différentes rencontres bilan de l’éducation et de la formation. Or, sans la qualité les performances du système éducatifs restent vaines.
Les réformes curriculaires transcendent les régimes politiques car cette entreprise, on l’a vu, n’est pas nouvelle. Déjà, dans le cadre du PDEF (2000-2012) la Lettre de Politique Générale pour le secteur de l’éducation et de la formation en avril 2009 qui découle du chapitre IV de la loi d’orientation relatif à l’amélioration de la qualité de l’éducation et des performances, s’appuyait sur la réforme du curriculum reposant sur l’entrée par compétences et orientée vers
« la résolution des problèmes scolaires et ceux de la vie courante ». Il ne s’agissait point d’une refonte totale des programmes ou des stratégies d’enseignement-apprentissage, mais de partir de l’existant notamment le Curriculum de l’Education de Base (CEB).
Durant l’année scolaire 2021-2022 le Ministère de l’Education nationale avait mis en place un dispositif pour la révision globale des curricula. En février 2023 il rappelait également que ce processus qui concerne le préscolaire, l’élémentaire, le moyen, le secondaire, l’éducation de base des jeunes et des adultes y compris les daaras devra être piloté par l’Inspection Générale de l’Éducation et de la Formation (IGEF).
Aujourd’hui dans cette dynamique, le Plan Sectoriel MEN de vision Sénégal 2050 considère que la réforme curriculaire demeure incontournable pour améliorer et perfectionner notre système éducatif. Ainsi, il faut actionner des leviers stratégiques pour faire évoluer notre système éducatif vers une société éducative inclusive et efficiente, pour former un citoyen bien adossé à son socle endogène de valeurs africaines et spirituelles tout en étant préparé aux défis du développement durable, des sciences et technologies, du numérique et de l’intelligence artificielle.
De façon pratique, ces réformes visent à développer l’humanité et la citoyenneté de l’élève par l'éducation aux valeurs, notamment le renforcement de l'éducation aux valeurs de patriotisme, de citoyenneté et de civisme. C’est dans cet esprit qu’a été mise en œuvre la Nouvelle Initiative pour la Transformation Humaniste de l’Éducation « NITHÉ » basée sur l’éducation aux valeurs et à la citoyenneté. Cela doit aussi passer obligatoirement par la réforme curriculaire. Dans sa déclaration de politique générale en décembre 2024, le Premier Ministre avait annoncé l’engagement de l’Etat « à bâtir un système qui offrira à tout sénégalais… les compétences générales et spécifiques lui permettant d’apporter sa contribution au développement du pays ».
Mais les discours officiels ne doivent pas se muer en vœux pieux car souvent ils ne sont pas toujours traduits en actes. Les différentes rencontres annuelles bilan comme celle du PDEF, du
PAQUET-EF entre autres ont généralement abouti aux mêmes conclusions que l’on peut résumer par « bien, mais peut mieux faire ». Elles ont toujours mobilisé des ressources financières importantes, les familles d’acteurs du système éducatif, les PTF, les autorités administratives, les collectivités locales etc. Mais leurs résultats et impacts sont moins visibles en raison des vœux pieux et du manque de suivis au risque de tomber dans l’obsolescence.
Engager la réforme des curricula exige la participation de toutes les forces vives de la nation, au-delà des acteurs système éducatif. C’est pourquoi, elle doit poser les jalons d’une éducation et d’une formation de qualité dans une démarche inclusive. En outre, elle ne doit jamais faire table rase de l’existant pour des raisons idéologiques entre autres considérations. A partir de l’existant, une évaluation devra nécessairement être faite avant de dérouler la réforme.
Des contenus endogènes adaptés et orientés vers le développement
Tout projet éducatif doit garantir une cohérence entre les finalités éducatives générales, les contenus d’enseignement, leur mise en œuvre et leur évaluation. Donc, tout doit s’adosser à la loi d’orientation de février 1991 modifiée. Dans cette perspective, les disciplines enseignées jusque-là au Sénégal doivent être revues pour s’adapter aux orientations nouvelles que définira la réforme des curricula. Il s’agit de répondre aux besoins de développement économique et social de notre pays en adaptant les contenus aux évolutions de la société. C’est pourquoi, les apprenants doivent être motivés pour apprendre les sciences et la technologie. Cela est devenu une urgence d’autant plus qu’en faisant l’évaluation des candidats inscrits pour la session 2025, l’office du baccalauréat a indiqué que « le poids des profils Sciences et Techniques reste faible par rapport aux objectifs de développement du pays. Il s’élève à 16% en 2025, 16,62% en 2024, alors qu’en 2023, il était de 16,39% ».
Toutefois, en ce XXIe siècle même si la priorité doit être accordée aux disciplines scientifiques et techniques, au numérique, à la digitalisation, à l’intelligence artificielle(IA) celles des lettres, des sciences humaines et sociales en particulier l’histoire, la géographie, la philosophie, l’Education Civique ne doivent pas être pas reléguées au second plan. Il faut également intégrer les thèmes émergents et les questions socialement vives (QSV) en se conformant rigoureusement à nos valeurs et réalités culturelles endogènes : développement durable, environnement, éducation à la vie familiale, genre, santé de la reproduction, Droits de l’Homme, citoyenneté, gouvernance etc.
La promotion de l’enseignement des sciences et de la technologie et même des autres disciplines dépend de la maîtrise de la langue d’apprentissage, en l’occurrence ici le français. Ce qui pose aussi la problématique des langues nationales à l’école. La réforme des curricula doit placer l’introduction effective des langues nationales au cœur du système éducatif. Comme l’a défendu Cheikh Anta Diop, on ne peut prôner la souveraineté et se développer en utilisant une langue étrangère dans la transmission des savoirs. L’enseignement par nos langues nationales est l’un des gages incontournables dans la préservation de notre identité culturelle. Et dans sa mise en œuvre il est impératif de l’adapter au multilinguisme et aux réalités des territoires qui composent notre pays.
A cela s’ajoute l’intégration des daaras et des écoles coraniques. Cela va dans le sens de la prise en compte de l’enseignement arabe dans le dispositif d’éducation et de formation, avec un programme de modernisation et d’amélioration de la qualité de l’enseignement. Dans ce sillage, il ne faudrait pas reproduire une des lacunes de la réforme du curriculum de l'éducation de base (CEB) qui n’avait pas réellement pris en compte l'enseignement arabe qui occupe une place considérable dans les programmes en vigueur de l'école sénégalaise. Dans cette démarche inclusive l’éducation des jeunes en situation de handicap doit aussi être une priorité. L’intégration de l’anglais dans les apprentissages dès l’élémentaire doit être maintenu pour préparer les enfants aux défis de la société du XXIe siècle, au même titre que les mathématiques, les sciences, les technologies, le numérique et l’intelligence artificielle (IA).
Le succès de la réforme curriculaire requiert alors une approche systémique qui dépasse la mise à jour des programmes. Il faut inéluctablement une formation de qualité des personnels scolaires (pédagogique et administratif) et la réactualisation des textes, notamment la loi d’orientation de
1991 qu’il faut réviser pour l’adapter au nouveau contexte. C’est dans cette optique d’ailleurs que les référentiels de compétences du personnel enseignant doivent être revus afin d’être adaptés à l’évolution du système éducatif en prenant en compte le matériel et les supports pédagogiques, puis en mettant en place un dispositif d’évaluation, de gestion et de pilotage.
Une approche pédagogique centrée sur la résolution des problèmes
La réforme des curricula en partant de l’existant doit s’inspirer entre autres de la réforme de 1979 portant organisation de l’enseignement élémentaire, mais surtout du Curriculum de l’Education de Base (CEB), du projet USAID-EDB et du Projet d’Appui au Renouveau des Curricula (PARC) qui mettent en exergue les profils de sortie et d’entrée.
Le profil de sortie est l’ensemble des compétences mobilisables que l’on souhaite obtenir chez l’apprenant à la fin de sa formation conformément à la loi d’orientation. Il est donc l’aboutissement des intentions fixées et des types d’apprentissage ciblés (H. Allaire,1996). Quant au profil d'entrée il désigne les compétences que l’apprenant doit acquérir à la fin d’une année ou d’un cycle d’études. Parmi les profils on peut retenir : être un citoyen sénégalais responsable, enraciné et ouvert, imbu des valeurs démocratiques, citoyennes, et socioculturelles; être un agent de développement autonome et coopératif…
Dans la mise en œuvre pédagogique, on est passé graduellement de l’approche par contenus à l’approche par objectifs avant d’adopter l’approche par compétences. Les réformes curriculaires à travers le monde font référence généralement de plus en plus à l’approche par compétences qui est aussi un prolongement de l’approche par objectifs. L’approche par compétences cherche à développer la possibilité par les apprenants de mobiliser un ensemble intégré de ressources pour résoudre une situation-problème.
Toutefois, pour éviter des biais il faudrait l’articuler harmonieusement aux programmes scolaires. En outre, dans l’APC il faudrait clairement identifier les types de compétence dans la réforme curriculaire et les critères de leur choix pour favoriser la corrélation avec l’école et la communauté, la cohésion sociale dans une nation multiculturelle comme la nôtre. Par ailleurs, pour réussir l’adhésion de tous il faudra vaincre le caractère conservateur de certains acteurs aussi bien dans le système éducatif que dans la communauté en général car nombreux parmi eux sont allergiques aux changements.
La réforme des curricula est incontestablement le plus grand défi de notre système éducatif aujourd’hui. C’est pourquoi, elle doit adopter des stratégies pertinentes dans une démarche inclusive de perfectionnement ou de refondation pour ancrer l’école dans nos valeurs et nos réalités endogènes, tout en l’ouvrant au contexte mondial afin d’assurer un développement harmonieux de notre pays.
Dr Moustapha Kebe est Inspecteur de l’Enseignement Moyen Secondaire, membre de la Commission Nationale d’Histoire et Géographie/Education Civique, Enseignant au département d’Histoire de l’Ucad.