LE MINISTRE ISRAELIEN DES AFFAIRES ETRANGERES YAÏR LAPID, EN TOUTE DIPLOMATIE
Yaïr Lapid retrace des grandes lignes de la politique israélienne par rapport aux questions aussi importantes que le sort réservé aux Palestiniens, les rapports d’Israël avec les pays africains, la coopération de son pays avec le Sénégal

Ministre des Affaires étrangères, en attendant de devenir Premier ministre en 2023, du gouvernement qui a fini par renverser l’indécrottable Benyamin Netanyahu, Yaïr Lapid a voulu à travers les colonnes du journal Le Quotidien, indiquer à l’opinion sénégalaise, les grandes lignes de la politique de son régime par rapport aux questions aussi importantes que le sort réservé aux Palestiniens, les rapports d’Israël avec les pays africains, la coopération de son pays avec le Sénégal. Entre autres. Cet entretien a malheureusement été réalisé par écrit, et dans des conditions pas toujours idéales. La Rédaction souhaite que l’occasion pour des échanges plus directs, se présente assez vite.
L’intérêt d’un titre d’observateur au sein de l’Ua. Comprenez-vous les objections des pays arabes avec lesquels Israël a des relations diplomatiques à ce qu’Israël acquiert ce statut ?
Israël est particulièrement enthousiasmé et fier de son statut d’observateur auprès de l’Union africaine. C’est l’expression de notre engagement à tisser des liens avec les pays et peuples d’Afrique. Et c’est précisément le message que j’ai partagé avec le Président con¬golais, Tshisekedi, l’actuel président de l’Union africaine, lors de sa visite à Jérusalem plus tôt cette année.
Israël a joui du statut d’observateur auprès de l’Organi¬sation de l’unité africaine jusqu’en 2002 et entretient actuellement des liens avec d’autres organisations multilatérales dans le continent. Certaines de ces organisations comptent dans leur rang, des membres avec lesquels pour l’heure, nous n’avons pas de relations diplomatiques. Mais, cela n’a certainement pas empêché Israël de participer à de fructueuses coopérations à travers ces forums multilatéraux, ainsi qu’avec leurs membres au niveau bilatéral.
Les relations entre Israël et l’Afrique sont basées sur une histoire commune, mais aussi sur une convergence d’intérêts. Nous espérons que sur ces fondements solides et suite aux accords de normalisation, notamment celui avec le Royaume du Maroc, le cercle de la paix, et tous les progrès que la paix engendre, poursuivra son élargissement pour inclure davantage de pays africains.
Comme je l’ai déjà souligné à de nombreuses reprises, au vu des véritables défis auxquels le monde est confronté –parmi lesquels le changement climatique, la pandémie qui nous frappe tous et la menace terroriste– les pays qui coopèrent, prospèreront, alors que ceux qui s’isolent, resteront à la traine. Et je sais que lorsqu’il s’agit des relations entre Israël et l’Afrique, notre expertise et notre expérience dans l’innovation, en matière de technologie, sécurité, agriculture et eau, constituent déjà une base solide pour la coopération entre Israël et de nombreux pays du continent, une coopération qui pourra même s’étendre à bien d’autres pays, à l’avenir.
Quel est le fil conducteur des relations entre l’Etat d’Israël et les pays d’Afrique ? En dehors des voix aux Nations unies, que peut attendre Israël des pays africains ?
Notre approche de la diplomatie n’est pas transactionnelle : nous nous concentrons sur l’histoire commune et les intérêts que nous partageons avec les pays à travers le monde. Dans le cas présent, nos relations avec l’Afrique remontent aux premières années qui ont suivi la création de l’Etat d’Israël. Et à ce jour, nous partageons de nombreux intérêts.
L’un d’eux est la lutte contre le terrorisme, que nous savons être une menace majeure et croissante en Afrique de l’Ouest. Israël, le Sénégal et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest ont le même intérêt à lutter contre le terrorisme et la radicalisation, et tout particulièrement à contrer le soutien de l’Iran au terrorisme qui menace nos deux régions.
On retrouve cette convergence d’intérêts dans la lutte contre la menace posée par le changement climatique : Israël et l’Afrique de l’Ouest doivent donner la priorité à l’innovation, dans l’agriculture durable et la préservation de l’eau.
Par ailleurs, le savoir-faire et la technologie d’Israël dans le domaine de la sécurité maritime –une question d’importance pour Israël et notre région– peuvent bénéficier aux pays d’Afrique de l’Ouest, dans leur lutte continue contre la piraterie dans le Golfe de Guinée.
Voici juste trois exemples parmi tant d’autres, où les convergences d’intérêts guident la relation d’Israël avec les peuples et nations d’Afrique. A cet égard, je suis fier du travail qu’effectuent les professionnels dévoués et compétents du ministère des Affaires étrangères, pour approfondir nos liens avec les pays et peuples du continent.
Comprenez-vous que pour beaucoup de gens, en particulier au Sénégal et dans les pays d’Afrique noire, Israël n’ait pas une bonne presse du fait de la manière dont sont traitées les populations palestiniennes ?
Dans le cadre de mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, je constate en fait que la plupart des nations africaines aspirent à approfondir leurs liens avec Israël. C’était au cœur de mes conversations de ces derniers mois avec les ministres des Affaires étrangères du Sénégal, du Maroc, du Tchad, du Togo, du Nigeria, du Benin, du Liberia, de la Gambie et d’autres pays du continent.
Dans toute l’Afrique, les pays voient en Israël, un partenaire doté d’une expertise, une expérience et des intérêts communs dans une grande variété de domaines : changement climatique, santé, éducation, agriculture, eau, sécurité, etc. Notre coopération avec le Sénégal en est un exemple éloquent. Nous nous sommes associés pour ouvrir des classes d’informatique dans les écoles. Nous avons travaillé dans des douzaines de villages, pour promouvoir l’indépendance alimentaire et la lutte contre le changement climatique.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde, où des régimes extrémistes et fondamentalistes font un usage cynique des notions de «droits de l’Homme» et «Droit international» pour calomnier la démocratie respectueuse du droit qu’est Israël. Cependant, les faits sont clairs : Israël prend des mesures concrètes pour renforcer l’économie et les infrastructures palestiniennes, et ce afin d’améliorer la qualité de vie des Palestiniens.
J’ai également présenté un plan global, le plan «Economie pour la sécurité», qui offre une perspective pour un changement important et positif dans la vie de millions d’Israéliens et de Palestiniens, tant dans la bande de Gaza que dans les communautés environnantes, pour qui le terrorisme du Ha¬mas fait obstacle à une vie normale.
Je siège aujourd‘hui dans le gouvernement le plus diversifié de l’histoire d’Israël, dont les membres vont des juifs laïcs aux juifs religieux et musulmans religieux. Il a aussi en son sein, un nombre record de femmes ministres. Et nous travaillons tous ensemble pour promouvoir l’égalité de droits pour chaque citoyen d’Israël sans distinction de race, religion ou sexe.
Dès lors, les faits étant ce qu’ils sont, nous nous devons tous de lutter contre un monde dans lequel on publie d’abord des informations pour ne les vérifier qu’après, et où les émotions déclenchées par des menteurs professionnels, l’emportent sur les faits.
La solution des deux Etats est-elle encore envisageable, lorsqu’on voit qu’Israël a profondément entamé les terres qui devaient former le territoire de la Palestine ?
Ce n’est pas un secret de dire qu’à titre personnel, je soutiens la solution des deux Etats. Même si nous ne nous réveillerons pas demain matin pour découvrir que le conflit israélo-palestinien est résolu, nous pouvons nous réveiller demain matin et travailler dur pour améliorer les conditions de vie des Israéliens et Palestiniens.
Ainsi, comme je l’ai déjà dit, nous prenons déjà des mesures concrètes pour renforcer l’économie et les infrastructures palestiniennes, afin d’améliorer la qualité de vie des Pales¬tiniens. Et c’est pourquoi j’ai élaboré mon plan susmentionné «Economie pour la sécurité». Je m’engage à maintenir vivante la perspective de la paix.
Comme le démontrent les progrès réalisés dans notre région au cours de l’année écoulée, depuis la signature des accords de normalisation, lorsque nous plaçons les individus avant la politique, nous pouvons faire des avancées qui profitent à tous dans la région.
L’expertise israélienne dans le domaine de la sécurité est reconnue sur le plan mondial. Or actuellement, les pays d’Afrique de l’Ouest sont en proie au terrorisme. Israël leur apporte-t-il un soutien dans ce domaine ?
Israël entretient un dialogue constant et fructueux avec ses partenaires d’Afrique de l’Ouest dans la lutte contre le terrorisme et la sécurité, et nous sommes déterminés à travailler avec tous les pays de la région pour faire face à cette menace. Nous avons beaucoup d’expérience et d’expertise à offrir, tant au travers de cadres bilatéraux que multilatéraux, tels que la Cedeao et l’Union africaine.
Et du fait de ce nous observons en Israël avec le soutien de l’Iran au terrorisme dans notre région, nous comprenons que le terrorisme est un problème global qui transcende les frontières nationales, et que nous devons œuvrer tous ensemble pour le combattre.
Cela étant, en Israël, nous comprenons également que la résilience nationale va bien au-delà des stratégies et tactiques antiterroristes. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous engageons à travailler avec des pays comme le Sénégal, dans les domaines de la santé, l’éducation et la sécurité alimentaire. A cet égard, nous sommes en phase avec les objectifs du Pse (Plan Sénégal émergent) porté par le Président Macky Sall, et nous sommes profondément impressionnés par les réalisations du Sénégal à ce jour dans ces domaines phares.
Accessoirement, dans le domaine de la sécurité, une entreprise israélienne, Pegasus, a été épinglée pour avoir fourni un logiciel espion à des dictateurs dans plusieurs pays du monde. N’est-ce pas contradictoire avec la réputation d’un pays qui se veut le phare de la démocratie au Proche orient ?
Israël est un leader mondial de la technologie de pointe et dispose d’un système de contrôle des exportations très robuste. Dans le processus décisionnel qui définit la politique d’exportation d’Israël, nous prenons en compte notre engagement en faveur des droits de l’Homme. Au besoin, nous sommes disposés à modifier nos règlementations, lorsque nous voyons que cela est nécessaire.
Pour finir, il se dit que les relations bilatérales entre le Sénégal et Israël sont bonnes. Pourtant, le ministre des Affaires étrangères d’Israël n’a pas encore visité le Sénégal, malgré des séjours dans certains pays africains. Peut-on espérer que cela se fasse un jour ?
En effet, les liens entre Israël et le Sénégal sont importants, stratégiques et amicaux. Voilà maintenant plus de soixante ans, que notre premier ambassadeur a été nommé au Sénégal. Cependant, nos liens d’aujourd’hui ne représentent que la fondation de ce que nous pourrons accomplir ensemble dans l’avenir.
Depuis ma nomination en tant que ministre des Affaires étrangères, lors de la formation de notre nouveau gouvernement en Israël, j’ai donné la priorité à l’approfondissement des liens entre Israël et les pays d’Afrique, et en particulier le Sénégal. Concernant le Séné¬gal, je souhaite voir une forte augmentation de nos relations commerciales. Par ailleurs, le nouveau budget du ministère des Affaires étrangères inclut des augmentations importantes pour soutenir des projets communs avec le Sénégal et d’autres pays de la région, tels que ceux que j’ai mentionnés précédemment.
Enfin, sur la base de la conversation téléphonique chaleureuse et productive que j’ai eue plus tôt cette année avec mon amie, Madame la ministre des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, je souhaite poursuivre notre dialogue au plus haut niveau, y compris je l’espère à travers des visites officielles de responsables sénégalais en Israël, au cours de l’année à venir. De même, j’espère bien sûr avoir la chance de visiter l’Afrique, et tout particulièrement le Sénégal, dans un avenir proche. L’histoire exceptionnelle du Sénégal, dans les domaines de la résolution de conflit par le dialogue et la tolérance religieuse, est une source d’inspiration pour le Peuple d’Israël. J’espère découvrir et expérimenter la «Teranga», en apprendre davantage sur le Sénégal et discuter des nombreux défis et opportunités que nos deux nations partagent.