POUR UNE PENSÉE ÉCONOMIQUE INTÉGRALE ET DES INDUSTRIES EXTRACTIVES POSITIVES
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - La crise a révélé la dilatation fondamentale de la distance entre ce qu’on appelle l’élite africaine et les préoccupations réelles des populations. La pauvreté de l’Afrique est pire que le Covid

#SilenceDuTemps - Le silence du temps. La crise du Coronavirus a montré de la façon la plus mortifère qui soit que le « système-vie » est fragile. Elle a été un amplificateur des failles économiques et sanitaires en Afrique. À cause de la pauvreté, sortir de la crise nécessitera, en plus d’une coopération internationale efficace, une mobilisation interne programmatique et visionnaire de capacités financières et humaines transformatrices. Pour briser la « tragédie de l’horizon ».
- La nécessité d’un déplacement de perspective -
Ce que la crise a également révélé, c’est la dilatation fondamentale de la distance qui existe entre ce qu’on appelle l’élite africaine et les préoccupations réelles des populations. Que nous enseignent la crise, les nombreux articles et réflexions — le plus souvent répétitifs, malheureusement — qu’elle a inspirés, sur l’importance de « changer de paradigme » ?
La pandémie a été pourtant riche en enseignements au niveau local, dans nos foyers, nos quartiers, nos collectivités : la pauvreté de l’Afrique est pire que le Coronavirus. Comment les populations vivant dans les territoires et contrées traversent-elles le temps des crises qui se superposent ? Comment se régénèrent-elles et à quoi doivent-elles aspirer ?
Pour répondre à ces questions et expliciter la nécessité de changer de paradigme, cet article fait une plongée dans une commune appelée Mboro, ainsi que ses contrées voisines, comme Khondio et Darou Khoudoss, Taïba Ndiaye. Une généralisation par le lecteur révélera que l’article constitue une réflexion sur les industries extractives africaines et le développement inclusif des villes intermédiaires.
À titre personnel, Mboro est un de mes royaumes d’enfance, j’y ai vécu de la maternelle au baccalauréat. Les Industries Chimiques du Sénégal (ICS) qui se trouvent dans son territoire ont façonné mon enfance et mon adolescence. J’ai été majorette pendant ses fêtes annuelles et cérémonies officielles, participé à ses colonies de vacances, noué des amitiés de 30 ans. Même après avoir quitté Mboro, mon lien avec les ICS a continué à grandir, à Paris, où se tenaient souvent ses Conseils d’Administration. Le sentiment d’appartenir à une communauté et à une famille, celle de Mboro et des cités ICS - Mbaye-Mbaye, est vivace. Cet article est donc une invitation, une introspection survenue dans le silence du temps.
- La Vie et le Temps à Mboro et environs -
Chaque ville, chaque commune a son capital historique. Mboro est surtout reconnue pour son héritage industriel, agricole, et halieutique. De la colonisation à nos jours, Mboro et ses voisines ont eu des visages économiques changeants. Découverte en 1862 par l’administration coloniale qui a vu à travers la ville un immense potentiel en matière d’agriculture et de cultures maraîchères, Mboro est officiellement créée en 1936. Ses fertiles terres ont impulsé l’installation, la même année, d’une station agricole dont les productions étaient principalement destinées à la métropole française. En 1957, sont créées, toujours par l’administration coloniale et pour exploiter son sous-sol riche en ressources minières, les phosphates de Taïba, suivie par la création officielle des Industries Chimiques du Sénégal en 1983 (1). Bénie par la mer, Mboro et ses voisines sur la grande côte constituent également un important hub de pêche. La ville de Mboro et les communes environnantes de la zone des Niayes sont ainsi un maillon central pour la sécurité alimentaire nationale et régionale et l’emploi. Les ICS sont non seulement un des fleurons de l’industrie sénégalaise et sous-régionale, mais également le moteur économique de la ville, permettant à des hommes et à des femmes de subvenir aux besoins de leurs familles. La population en âge de travailler et résidant à Mboro est pour la plupart employée dans ses usines, que ce soit de façon permanente ou saisonnière. Malgré les changements structurels successifs de son actionnariat durant ces dernières années, les ICS continuent d’être une locomotive financière et économique nationale et régionale.
Cependant, Mboro est représentative des maux qui gangrènent les localités rurales et les villes intermédiaires au Sénégal et en Afrique : pauvreté, manque d’infrastructures de base, précarité énergétique, vulnérabilité hydrique et autres sinistres vitaux qui minent le bien-être humain.
À cause d’un manque criant de financements publics, Mboro et ses voisines vivent dans un grand dénuement infrastructurel. La pauvreté des transferts publics, l’asphyxie budgétaire et le retard dans l’application de législations comme le Code minier font que leur situation économique est difficile.
De plus, les activités des industries extractives ont des conséquences néfastes sur l’environnement. L’air et les cours d’eau sont pollués, détériorant insidieusement la biodiversité et la santé des populations, causant asthmes et autres maladies pulmonaires (2). La solidité de la chaîne alimentaire est fortement menacée à cause de cette dégradation environnementale et climatique. Sans compter les problématiques liées au foncier, et à la sécurité routière. Des voix essentiellement locales s’élèvent pour dénoncer et alerter, comme les plateformes Mboro SOS, Mboro Debout tenues par des jeunes très engagés de la localité et conscients du péril environnemental et humain qu’encourt leur ville.
- Protéger l’éclosion de la Vie -
Toute entreprise exploitant un sous-sol a invariablement des impacts environnementaux négatifs, les ICS et autres compagnies locales comme la Grande Côte Opérations n’échappent pas à cette vérité, ce fait universel. Mais la prise de conscience écologique est mondiale, il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais d’inviter à une nouvelle réflexion, à un déplacement de perspective. Considérer les impacts négatifs des activités d’extraction, et les annuler en les compensant est la chose à faire pour permettre le bien-vivre des populations et l’éclosion de la Vie. Sinon, c’est tout le monde vivant, dans les villes impactées et au-delà, qui court à sa perte.
Arrive alors la notion de cohabitation nécessaire. Oui, cohabiter. Faire cohabiter dans un territoire ces industries extractives, nécessaires et indispensables au développement économique, et le monde vivant. Permettre, au niveau territorial, une harmonieuse cohabitation (dans le respect des codes de l’urbanisme) entre les populations, leurs désirs et leur bien-être, et les industries minières du Sénégal (3).
En effet, l’Afrique, le Sénégal sont sur la voie du développement. Même s’il est primordial, pour des enjeux de transition écologique, d’actionner tous les leviers pour le développement rapide d’énergies et d’infrastructures renouvelables, leurs ressources minières, dont certaines continuent à être découvertes de nos jours, comme le pétrole, ne dormiront pas dans son sous-sol. Elles devront être exploitées pour permettre leur décollage économique. Plus qu’une urgence économique, l’industrialisation nécessaire de l’Afrique est un impératif idéologique à marteler avec pédagogie. À un moment où le Sénégal a plus que jamais besoin de cette industrialisation, les ICS font figure, localement et au plan national, avec d’autres entreprises extractives, de nécessité absolue dans les 30 à 50 prochaines années.
- La nécessité d’une juxtaposition positive féconde entre les industries extractives et le monde vivant : réformer urgemment les politiques publiques -
En généralisant, les entreprises extractives doivent contribuer plus activement, et ce dans une approche institutionnelle encadrée par une législation et des politiques publiques, au développement des villes à la protection de l’environnement. A minima, les effets négatifs des activités minières doivent être complètement compensés d’un point de vue humain et environnemental. Le chiffre d’affaires et la contribution des industries extractives à l’économie de leur territoire, du pays et de la sous-région, mis en face des effets néfastes sur la vie humaine, animale, et végétale, révèlent un fossé d’injustice à combler urgemment, au risque d’être comptables de crimes environnementaux. Le tort doit avoir un prix, correctement calculé, et adossé aux coûts induits.
Bien sûr, l’État sénégalais a déjà mis en place des mesures. Des mécanismes de provisions existent pour compenser l’impact environnemental commis par des entreprises sur le sol national. Par exemple, il y a le Fonds de péréquation et d’appui aux collectivités locales qui s’applique aux communes où les mines sont exploitées (article 113), ainsi que le Fonds d’appui au développement local, prévu par l’article 115 du m (4), où les entreprises doivent augmenter le budget annuel des communes d’implantation de 0,5 % de leur chiffre d’affaires.
À Mboro, Khondio, Darou Khoudoss, les ICS ont une politique RSE en place. En tant qu’entreprise, elles participent au développement local à travers des contributions financières et sociales au bénéfice des populations locales. Mais en analysant l’état économique de ces villes, et l’amplitude des effets négatifs des industries extractives, on constate que c’est insuffisant, et que beaucoup de textes entrés en vigueur ne sont pas bien appliqués, et cette non-application pas sanctionnée. Les communes n’aperçoivent pas la couleur complète de ces dotations spécifiques qui leur reviennent. D’autres actions sont possibles, par exemple le financement du reboisement, d’espaces verts, de la formation aux métiers de demain, l’augmentation substantielle de l’enveloppe pour l’éducation (5). A titre d’alerte, le lycée Taïba-ICS de Mboro, établissement public, manque d’infrastructures de base comme des toilettes et une infirmerie, et a récemment bénéficié d’un financement participatif de ses anciens élèves et d’une association toulousaine (Audace) pour pouvoir fonctionner correctement.
- Le temps des entreprises stratèges est venu -
Dans un monde où la vague du marché est de plus en plus envahissante, l’argent du privé est nécessaire. Les industries extractives doivent se positionner en leader pour le financement du développement et la lutte contre le changement climatique et ses conséquences, qui exacerbent les problèmes de développement déjà existants. Au niveau des entreprises, des stratégies fortes (bas carbone, environnementales, etc.) doivent être décidées et élaborées en interne, et appliquées. Les entreprises les plus polluantes au monde, Total, BP, Shell ont déjà amorcé le changement nécessaire pour une transition écologique, en particulier depuis les accords de Paris en 2015 — auxquels le Sénégal et ses entreprises ont adhéré.
Au Sénégal, la SOCOCIM fait figure de modèle, avec la mise en place de son “Projet Climat”, qui s’articule autour d’objectifs de réduction des gaz à effet de serre (-70%), notamment avec une production de ciment bas carbone, et une contribution au développement local et à l’augmentation du bien-être des populations (6). Les autres entreprises extractives doivent suivre et s’en inspirer.
Il s’agit d’un nécessaire déplacement de perspective qui va dans le sens du monde, pour la préservation de la vie humaine, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, et la protection de l’environnement. Bâtir une économie positive, grâce à des entreprises positives, est devenue une urgence vitale pour les générations actuelles et futures. Cette nouvelle phase de l’économie mettra l’humain et tout le monde vivant au centre de toute activité et de toute politique.
C’est tout le secteur privé qui doit activement financer, investir dans le développement des villes intermédiaires et des zones rurales et le bien-être des populations, et restaurer et maintenir la Vie. C’est cela aussi l’indépendance d’une pensée économique qui a pour feu l’endogénéité et la mobilisation féconde de ses ressources intérieures.
Fatoumata Sissi Ngom est analyste de politiques, écrivaine (Le silence du totem, 2018), (La tragédie des horizons, Revue Apulée, 2020), et ingénieur en informatique et en mathématiques financières.
Références
(1) Plan d’Investissement de la Commune de Mboro 2006-2008
(2) Essai à paraitre
(3) À paraitre
(4) Code minier Sénégal https://www.sec.gouv.sn/sites/default/files/loisetdecrets/Loi%202016-32%20du%208%20Novembre%202016%20portant%20Code%20Minier.pdf
(5) À paraitre