POURQUOI IL FAUT LIRE L'INVENTION DE L'AFRIQUE, DE VALENTIN-YVES MUDIMBÉ
Trente-trois ans après sa parution en anglais, le livre du philosophe et romancier congolais est publié pour la première fois en français aux éditions Présence africaine. Une œuvre essentielle pour soustraire l’Afrique de la pensée coloniale

C’est une ambitieuse aventure, inaugurée dans des essais et des romans qui se présentent comme des mises en scène performatives d’idées érudites. Paru en anglais en 1988 aux États-Unis, L’Invention de l’Afrique. Gnose, philosophie et ordre de la connaissance, de l’écrivain et philosophe congolais Valentin-Yves Mudimbe, vient d’être publié en français, aux éditions Présence africaine. L’ouvrage a acquis, dans les cercles universitaires, la qualité de référence obligée dans les territoires des études africaines et postcoloniales. Il accompagne dans ces champs L’Archéologie du savoir de Michel Foucault et L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident d’Edward Saïd.
Traduit au moment où les débats sur les postcolonies et la décolonialité font rage dans l’espace public hexagonal, le livre aide à mieux appréhender la manière dont se construisent les représentations de l’Afrique et leurs effets. Pour Mudimbe, la France a décolonisé son empire africain sans décoloniser sa propre pensée, et continue de véhiculer ces images d’une Afrique fantasmée. Les interrogations au cœur de sa réflexion dévoilent les opérations de production des connaissances sur l’Afrique et esquissent des propositions pour s’en émanciper.
Déconstruction des sciences sociales
Mudimbe s’est attelé à dégager du territoire des études africaines les inventions de l’Afrique. De manière érudite, il met systématiquement en pièces les multiples images du continent noir véhiculées par la colonisation. Pour cela, il convoque les registres variés des arts, de la littérature, de l’histoire, des religions, des philosophies, de la sociologie, de la géographie et de l’anthropologie.
Les articulations astucieuses des différentes disciplines font l’extraordinaire richesse des opérations épistémologiques menées à l’intersection des sciences sociales et des humanités. L’auteur traque sans merci les figures de l’Afrique au cœur et en marge des grands textes européens qui l’installent dans la géographie du monde. Une Europe négrophobe, au cours du XIXe, ensuite négrophile, au début du XXe siècle, arrogante et condescendante au centre de l’humain ; elle efface l’Européen qui devient l’Homme, et l’Europe, le site singulier de sa réalisation.