«QUE LE PRÉSIDENT SANCTIONNE L’ÉCHEC DE SES ÉLITES QUI N’ONT PLUS AUCUNE LÉGITIMITÉ»
Dans cette interview accordée à «L’As», le sociologue Aly Khoudia Diaw est largement revenu sur les résultats des dernières élections locales ainsi que la perte de certaines grandes villes par la coalition Benno Bokk Yaakar (Bby)

Dans cette interview accordée à «L’As», le sociologue Aly Khoudia Diaw est largement revenu sur les résultats des dernières élections locales ainsi que la perte de certaines grandes villes par la coalition Benno Bokk Yaakar (Bby). Selon lui, les citoyens ont sanctionné certains comportements des tenants du pouvoir. Il pense que le Président Macky Sall doit véritablement sanctionner «l’échec de ses élites qui n’ont plus aucune légitimité devant les citoyens», puisqu’ils ont montré leurs limites. Par ailleurs, il invite le chef de l’Etat à «sortir par la grande porte pour consolider les acquis de la démocratie au Sénégal ».
Quelle lecture faites-vous des résultats des élections locales avec la déroute de Bby dans certaines villes ?
Une lecture très simple qui reflète la perception psychosociale des Sénégalais sur le régime du Président Macky Sall et qu’ils ont fini par sanctionner. Ces élections locales rappellent celles de 2009, avec les mêmes acteurs, les mêmes positions, les mêmes ambitions, mais avec pour cette fois une émancipation de la conscience citoyenne plus tournée vers la sanction que l’approbation «ridicule» et «clientéliste» des offres programmatiques. Les Sénégalais ont sanctionné l’arrogance, l’injustice, la gabegie, l’impunité et «l’achat ouvert de conscience» de certains hommes politiques. Il faut se demander comment Abdou Karim Fofana, Ababacar Sadikh Bèye, Zahra Iyane Thiam, Moussa Sy et Amadou Hott, ont fait dans leurs quartiers respectifs pour se réveiller un beau matin et vouloir acheter notre misère à coup de millions Fcfa, ce qui relève d’une indécence notoire. Les citoyens méritent plus de considération et de respect. En plus, comment se fait-il qu’ils aient dépensé autant d’argent, au vu et au su de tout le monde. D’où provient cet argent dépensé ? C’est dommage. Le peuple a dit qu’il n’était pas d’accord et l’a démontré. Donc, il faut se rendre à l’évidence, il y a un début de conscience citoyenne qui commence à mieux comprendre les enjeux et les motivations des uns et des autres, mais surtout il y a le fait que les jeunes commencent à réellement prendre conscience de leur pouvoir et de leur responsabilité, et les références pour la jeunesse. Ils sont devenus matures et savent ce qu’ils veulent. Ils ont des références : Guy Marius Sagna, Ousmane Sonko, Barthélémy Dias, etc. Sur le plan politique, une liste de Yewwi Askan Wi (Yaw) qui comprend Moustapha Sy de Pur, El Hadji Malick Gakou, Aïda Mbodji, Habib Sy et Khalifa Sall peut faire très mal, car c’est une redoutable machine électorale qui a su convaincre les Sénégalais par leur programme et leurs discours. Ils sont parvenus à remporter des villes comme Dakar, Ziguinchor ou encore Thiès. C’est un signe. En réalité, la défaite de Bby lors de ces élections est une sanction contre l’emprisonnement de Khalifa Sall, les embastillements récurrents de Guy Marius Sagna, l’impunité des députes trafiquants de passeport diplomatiques, la libération arbitraire de Bougazelli, la tortuosité d’Idrissa Seck «mbourok Sow», la tentative d’humiliation d’Ousmane Sonko, le pillage de nos ressources et la fermeture de la haute administration à la méritocratie. Il y a plusieurs facteurs qui rentrent en jeu.
Pensez-vous qu’avec les législatives du 31 juillet 2022, le Président Macky Sall va prendre des sanctions ?
A mon avis, le Président doit se débarrasser de tous ces individus qui ont cru qu’avec de l’argent ils pouvaient acheter d’honnêtes citoyens. Tous ces individus donc, et des ostracistes vomis par le peuple et que le Président traîne comme un boulet. J’ai l’habitude de dire que ce n’est pas le Président qui est en cause, car il n’est pas compétiteur au niveau local et s’il devait le faire il le ferait certainement à Fatick. C’est donc une question de posture, de personnes et de comportement. Ce que nous demandons, c’est que le Président sanctionne l’échec de ses élites qui n’ont plus aucune légitimité. Par exemple, quels sont ceux que Zakhra Iyane Thiam a financés, avec tout l’argent qu’elle affirme avoir investi dans le financement des femmes ? Comment - le Directeur général du Port Autonome de Dakar (Pad) pense-t-il détrôner Cheikh Guèye, connu et respecté par ses concitoyens à cause de sa constance et de sa fidélité ? Pourquoi avoir débauché Moussa Sy en pensant qu’il viendrait avec son électorat ? Il faut véritablement que le président de la République sache que Dakar n’a pas sanctionné de programme, mais des personnes hautaines, très éloignées des réalités locales et qui ont pensé que l’argent et les moyens pouvaient régler la question. S’il veut aller aux législatives avec cette même équipe, ce sera la catastrophe, car les mêmes causes produiront certainement les mêmes effets. Il doit changer d’équipe, en mettant des hommes nouveaux, capables de comprendre le message des Sénégalais et capables de prendre des engagements qu’ils vont respecter. Il a l’avantage, car il a le pouvoir avec lui.
Avec cette nouvelle donne, pensez-vous que le Président va régler la question du troisième mandat ?
Le Président Macky Sall va tenter de briguer un troisième mandat, parce que simplement c’est un Africain. Et chez l’Africain, l’argent et le pouvoir valent mieux que l’honneur. Il va forcer un troisième mandat, mais ce n’est pas sûr que les Sénégalais le lui accordent. On ne sait jamais ce qu’il y a dans sa tête. Son cabinet politique lui a déjà fait croire qu’il n’avait rien perdu et que jusqu’à présent, il est majoritaire dans le pays. D’ailleurs, j’ai été surpris de voir le doyen (El Hadji Hamidou) Kassé défendre cette position. Cette défaite dans certaines grandes villes du Sénégal, c’est aussi l’échec des collaborateurs du Président tels qu’Abdoul Latif Coulibaly, Abdou Aziz Diop, El hadji Kassé, qui ont fui leur responsabilité. Ils n’ont pas fait pas savoir au Président le véritable pouls du peuple. A quoi servent-ils au Palais ? Depuis quand on ne les entend plus ? Quel est leur réel impact sur les choix et positions du président de la République ? Ils se sont tous terrés alors que le rôle des intellectuels, en tout temps, est de prêter le concours de leurs pensées, quels que soient les retours de bâton. Cette République nous appartient à tous, et pourtant nous sommes discriminés et écartés parce que simplement il y a une position d’intellectualité qui gêne les uns et les autres. Le président de la République doit se rendre à l’évidence, le Sénégal a changé, les mentalités ont changé et concomitamment, les consciences individuelles et collectives. Le président de la République a une vision déformée de la réalité, comme c’était le cas avec l’ancien Président Wade. Et c’est vraiment dommage pour le Sénégal. Bref la lecture qu’il faut en faire, c’est de ne pas insister et de savoir partir à temps et par la grande porte pour consolider les acquis de la démocratie au Sénégal.