COMMISSEURS-PRISEURS, LES MISÈRES D'UN CORPS MÉCONNU
Les commissaires-priseurs ne font plus courir. Ils broient du noir sous nos cieux alors que dans les pays européens, ils font des envieux

Les commissaires-priseurs ne font plus courir. La plupart des cas, ils sont écartés de la vente aux enchères publiques. Certains peuvent rester plusieurs mois sans poser un acte. Résultat des courses, ils broient du noir sous nos cieux alors que dans les pays européens, ils font des envieux. Parfois, l’exécution des décisions leur échappe du fait des « arrangements » qui surviennent au cours des procédures.
« Un jour, un agent de police m’arrête pour me demander ma profession. Je lui dis que je suis commissaire-priseur. Il me rétorque : « Vous travaillez dans quel Commissariat ? » Un autre commissaire-priseur a vécu la même situation. Cette fois-ci, le policier lui demande : « Vous êtes priseur de quoi ? » Ces deux anecdotes en disent long sur la profession du commissaire-priseur. Un corps méconnu du grand public sauf, peut-être, certains « milieux intellectuels ». Officier ministériel, il est chargé de diriger la vente aux enchères publiques de biens meubles comme des objets d’art, du mobilier, des véhicules. Bref, tous types d’articles non immobiliers. « Ces articles proviennent de particuliers ou d’entreprises qui souhaitent vendre leurs biens ou de saisies judiciaires », indique le président honoraire de l’Ordre national des commissaires-priseurs. Me Jean Mourad Maroun précise que lesdits objets sont cédés pour le compte d’un client et que le commissaire-priseur ne peut, en aucun cas, les acquérir.
Me Mounirou Diop, chargé de mission à l’Ordre national des commissaires-priseurs, ajoute qu’ils ont également en charge l’exécution des décisions de justice surtout à la remise des procès-verbaux des huissiers de justice. Après la signification d’une décision de justice au requis, les huissiers de justice dressent un procès-verbal de saisie qui court un mois. « Passé ce délai, l’huissier de justice remet le procès-verbal de saisie au commissaire-priseur chargé de procéder à la vérification des objets avant leur éventuel enlèvement, si le paiement du principal et des frais n’est pas intervenu entretemps », explique-t-il. À défaut, il procède à la publicité de la vente dans les journaux et à la vente publique aux enchères proprement dite. D’après Me Diop, le commissaire-priseur est également chargé de la vente aux enchères publiques des objets réformés des Ong, des sociétés nationales, des ventes volontaires (lors des soirées de gala), etc. Me Jean Mourad Maroun souligne que le commissaire-priseur expertise la vente de tous les objets, des meubles, y compris les avions. Lors de la liquidation de la compagnie aérienne Air Afrique, se souvient-il, le comptable-liquidateur lui a opposé l’argument selon lequel les avions ne sont pas des « meubles » et qu’ils ne font pas partie des marchandises à confier aux commissaires-priseurs pour la vente publique aux enchères. Alors que le meuble désigne « tout objet qui bouge » dont le mobilier d’appartement, dit le président honoraire de l’Ordre national des commissaires-priseurs. À ce propos, Me Maroun indique qu’il y a trois catégories d’objets-meubles : le luxe (les bijoux), les tableaux d’art et le mobilier (avion, bateau, véhicule, etc.). Ainsi, à cause de la mauvaise interprétation sur la signification du mot « mobilier », les commissaires-priseurs ont été écartés de la vente publique aux enchères des avions d’Air Afrique. « Nous sommes des empêcheurs de tourner en rond. Certaines structures nous zappent dans leurs ventes aux enchères », regrette le président honoraire de l’Ordre. À cet effet, informe-t-il, leur structure a saisi plusieurs fois la tutelle, pour que les organisateurs des soirées et que certaines Ambassades leur confient les ventes publiques aux enchères conformément à leurs missions et leurs attributions.
La circulaire du Premier ministre Abdou Diouf
Le statut des commissaires-priseurs, modifié par le décret n° 79-1025 du 3 novembre 1979, dispose en son article 12 que « sauf dans le cas spécialement prévu par les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, les commissaires-priseurs procèdent exclusivement, dans l’étendue de leur ressort, aux estimations et ventes publiques aux enchères de tous effets, mobiliers, objets, marchandises, de bâtiments de mer ou de rivière, y compris ceux appartenant aux établissements publics, aux sociétés nationales, aux sociétés d’économie mixte et aux personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la publique, pour la licitation desquels il doit être obligatoirement reconnu à cette procédure ».
Dans une circulaire datée du 7 mars 1980, le Premier ministre du Sénégal d’alors, Abdou Diouf, avait rappelé son Gouvernement sur la nécessité du respect des dispositions réglementaires du statut des commissaires-priseurs. « Malgré ces prescriptions impératives, mon attention a été attirée sur le fait que les commissaires-priseurs ne sont pas saisis lorsque, pour une raison quelconque, sont mis en vente les biens mobiliers des établissements publics et des sociétés du secteur parapublic », avait-il écrit. En vertu des articles 53, 54 et 58 du Code des Domaines de l’État, échappent seuls à la vente obligatoire aux enchères publiques par commissaire-priseur, le mobilier de l’État réformé ou non affecté et les matériels réformés des collectivités locales et des établissements publics à caractère administratif qui ne peuvent être vendus que par les soins assermentés du service des Impôts et Domaines, par adjudication avec publicité et concours, ou exceptionnellement, à l’amiable dans les conditions fixées par le décret n° 89-1574 du 27 septembre 1989 fixant le statut des commissaires-priseurs.
D’une institution à un ordre
Créée en 1847, « l’Institution des commissaires-priseurs » a été réorganisée en 1881, puis 1889 et 1925, avant d’être étendue, en 1932, par arrêté du Gouverneur général, à l’échelon de l’Afrique occidentale sous la dénomination « Profession de commissaires-priseurs ». Le texte de 1932 restera en vigueur sans autre modification jusqu’à l’orée de l’indépendance du Sénégal en 1960. Le 30 septembre 1960, le corps des commissaires-priseurs du Sénégal a été créé par décret. En 1979, un nouveau décret a été adopté et a défini les « attributions et devoirs des commissaires-priseurs ». Celui-ci y a ajouté le secteur parapublic qui sous-entend : « les établissements publics, les sociétés nationales, les sociétés d’économie mixte, les sociétés de statut privé bénéficiant d’une participation de l’État ». Cette disposition a abouti, en 2008, à la création de l’Ordre national des commissaires-priseurs à l’instar des autres officiers ministériels et des experts.
Aujourd’hui, l’Ordre national attend avec impatience la fusion annoncée entre le corps des huissiers de justice et celui des commissaires-priseurs. Pour les membres de l’Ordre, « c’est la seule voie de salut, une aubaine » pour les commissaires-priseurs. Le président honoraire de l’Ordre national des commissaires-priseurs, Me Jean Mourad Maroun, souligne d’ailleurs qu’avec la fusion, le corps (commissaires-priseurs) gardera le monopole des ventes publiques aux enchères. Cette fusion des deux corps est actée par un règlement de l’Uemoa. Les pays membres doivent signer et ratifier cette convention pour son entrée en vigueur. Mais, en attendant cette éventuelle fusion, le président de l’Ordre national des commissaires-priseurs, Me Oumar Guèye, compte beaucoup sur la tutelle pour disposer d’un siège et surtout pour la réforme du statut et du règlement intérieur de l’Ordre.
25 charges à travers le pays
Le Sénégal compte 25 commissaires-priseurs avec une forte concentration à Dakar (15). Des intérimaires officient à Kaolack et à Ziguinchor. Au même moment, cinq régions ne disposent pas de charges, précise le secrétaire général de l’Ordre national, Me Oumar Cissé. De ce fait, les charges sont assurées par les intérimaires. Le président de l’Ordre national des commissaires-priseurs est convaincu que ce nombre ne couvre pas les besoins des populations. Me Oumar Guèye pense qu’il est nécessaire de recruter de jeunes diplômés « pour assurer la relève ». Depuis 2008, le corps des commissaires-priseurs, constitué essentiellement d’anciens huissiers intérimaires et d’anciens Commissaires de police à la retraite, n’a pas accueilli de nouveaux membres, poursuit le secrétaire général de l’Ordre. Pour Me Oumar Cissé, l’État doit rendre cette profession « plus attrayante et reluisante » afin d’inciter les jeunes à l’intégrer. « Si on organise un concours, il n’y aurait même pas 100 candidatures parce que les gens méconnaissent ce corps », argumente-t-il. Pour ce faire, Me Cissé pense qu’il faudra revoir les attributions du commissaire-priseur, les tarifs (voir ailleurs) et faire de sorte qu’il soit le seul habilité à vendre les enchères publiques. Le président honoraire de l’Ordre national des commissaires-priseurs partage cette conviction, estimant que « les attributions de la profession sont ignorées du grand public ».
Initialement, les membres de ce corps prennent leurs retraites à 65 ans. Mais, cette disposition n’est pas encore appliquée à cause de son renouvellement. L’Ordre national, d’après son président, Me Guèye, se bat d’ailleurs pour supprimer cette limitation d’âge.