30 ANS AU SERVICE DES CULTURES URBAINES
Docta embellit nos villes grâce au dynamisme de son art. Pionnier du graffiti au Sénégal, l’homme est, aujourd’hui, l’une des figures les plus emblématiques de cette discipline.

Depuis 30 ans, Docta embellit nos villes grâce au dynamisme de son art. Pionnier du graffiti au Sénégal, l’homme est, aujourd’hui, l’une des figures les plus emblématiques de cette discipline. En plus d’être artiste, le graffeur est aussi un activiste très engagé dans la sensibilisation de ses concitoyens. L’Institut français de Dakar célèbre les trente ans de la trajectoire artistique d’Amadou Lamine Ngom à l’état civil, à travers une exposition rétrospective intitulée  Bitti Biir Ê (Extérioriser l’intérieur) à découvrir jusqu’au 31 août à la galerie Le Manège.
Dans la cour pavée de la Galerie Le Manège, Docta a les airs d’une star de reggae. Avec ses dreadlocks bien enveloppés dans une sorte de turban noir, baskets de même couleur, vêtu d’un grand boubou au couleur bleu nuit, il fait, sans arrêt, les dizaines de pas séparant la salle d’exposition de l’enceinte de l’édifice. En attendant le vernissage de son exposition « Bitti Biir » (Extérioriser l’intérieur), qui célèbre ses 30 ans de création, l’artiste essaye tant bien que mal de noyer le stress découlant des jours et nuits qu’il a passés pour monter ce travail que le public piaffe d’impatience de découvrir.
PROMOTION DES CULTURES URBAINES
Depuis 30 ans, Amadou Lamine Ngom à l’état civil s’est consacré au « street art », pour ne pas dire l’art de rue. A force d’abnégation, il est devenu, aujourd’hui, l’un des graffeurs les plus emblématiques du continent. Docta peint les murs et embellit les quartiers et les rues de son pays. Le message de son art, à travers les couleurs et les formes, est une invitation à la conscience citoyenne, au respect des valeurs, une sensibilisation aux enjeux environnementaux… En célébrant, l’homme, l’Institut français Léopold Sédar Senghor de Dakar a voulu rendre hommage à un pionnier du graffiti dont l’art inonde les rues et remplit les âmes, souvent stressées, de splendeur. Le travail de Docta parle un langage simpliste, ordinaire et accessible même aux profanes. Il s’adresse aux passants et aux sans domicile fixe (Sdf). Avec des messages parfois universels fixés soit à partir d’une toile de jute, soit sur des murs d’édifices publics, les fresques de celui qui a contribué « à l’émergence d’une école africaine de graffiti en créant plusieurs festivals et événements sur le continent », véhiculent une énergie positive en embellissant les murs et les corps. Cette exposition est le reflet d’une partie de sa riche expérience partagée entre ses voyages et ses rencontres. Ceux-ci lui ont permis de façonner l’artiste qu’il est devenu au fil des années. « En trente ans de carrière, j’ai beaucoup appris au cours de mes voyages et des gens que j’ai rencontrés. Ces personnes m’ont fait grandir et comprendre que la vie peut atteindre un niveau extraordinaire par le travail, le partage et la sagesse », soutient-il. C’est à force de côtoyer son monde qu’il a appris à démystifier beaucoup de choses. « Bitti Biir » replonge en partie « dans le long parcours du graffeur dans la promotion de l’art visuel et des cultures urbaines, du graffiti des rues de la Médina, de la banlieue et des villes sénégalaises ».
Artiste bourré de générosité.
La carrière de Docta se résume jusqu’ici au partage. Le graffeur a contribué à la formation de trois générations d’artistes dans son domaine. « Bitti Biir » est sa première exposition individuelle en 30 ans de carrière. Depuis ses débuts dans ce milieu, il n’a jamais voulu faire une exposition individuelle, choisissant de toujours partager ses exhibitions avec ses pairs afin de contribuer à leur formation et promotion. D’ailleurs, c’est aussi tout le sens de ces nombreux festivals et initiatives visant à développer et à faire connaitre le graffiti. Après la mise en place, en 1994, de son association « Doxandem squad », il crée en 2010 le Festigraff. Lequel est considéré comme le premier Festival de graffiti en Afrique ayant pour mission première de partager des savoirs, les techniques et la conception que chacun peut avoir de cet art. Un an plus tard, en 2011, Docta innove encore avec le « Festival Graff et Santé », mais cette fois-ci avec comme objectif de sensibiliser les populations sénégalaises via le graffiti sur des questions de santé publique. Né en 1975 dans le populeux quartier de la Médina de Dakar, Amadou Lamine Ngom est un homme passionné. Déjà tout petit, il gribouillait des visages anonymes.
LA MUSIQUE AU DEBUT…
De ces représentations pittoresques, s’est forcé le talent d’un jeune qui, au début, ne savait pas où il voulait exactement aller. « Le graffiti est venu avec le hiphop. On chantait et dansait. On a appris ce métier à travers les bouquins pour finir par devenir des professionnels », raconte-t-il. L’artiste s’est essayé d’abord à la musique. A ses débuts, la musique était un support par lequel Docta voulait s’exprimait. « On a eu un album qu’on a jamais voulu sortir. On a fait aussi des singles », laisse entendre celui qui a commencé la musique avec le groupe Mediclan (Clan de la Médina). Aujourd’hui, il a tourné cette page musicale pour se consacrer entièrement à sa passion : le graffiti. Néanmoins, avec sa structure, il continue de coacher des artistes afin de les aider à améliorer leur visuel. Docta, c’est aussi un activiste, membre du mouvement de contestation pacifique sénégalais « Y’en a marre ». Son engagement vient de ce qu’il vit tous les jours dans la rue. Mais aussi des figures historiques comme Nelson Mandela, Aline Sitoé Diatta, Thomas Sankara, Kwame Nkrumah apparaissant dans certaines de ses œuvres. « Ce sont des leaders dans leur domaine qui se sont sacrifiés pour leur population. Nous nous retrouvons dans leur idéologie. C’est donc normal qu’il soit des références pour la nouvelle génération. Je cherche, à travers mon travail, à les faire vivre de manière éternelle », expliquet-il. Amadou Lamine Ngom se sert de son art, qui a pris désormais, selon lui, une place dans la société, pour conscientiser ses concitoyens autour des questions essentielles allant de la santé à l’environnement, en passant par l’éducation et la politique. Dans son désir de communiquer pour changer les choses, Docta a vu son langage envahir la rue grâce à la force de son art. Si l’impact de son travail par rapport à la conscience citoyenne est difficile à évaluer, il a toutefois le mérite de faire rêver les esprits et de continuer à embellir nos cités. L’exposition « Bitti Biir » (Extérioriser l’intérieur) est à découvrir jusqu’au 31 août à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar.