LA MALÉDICTION DE RAABI DE MOUMAR GUÈYE OU LE RÉCIT D’UN CONTE CRUEL
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans ce conte brutal, l'auteur suit le destin tragique d'une jeune Sénégalaise confrontée à l'excision, au viol et au mariage forcé. Entre tradition orale et roman engagé, un "livre nécessaire" qui dénonce et valorise

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Si l’on consent à définir le conte, celui-ci est un genre littéraire, sous forme de récit bref et fictif qui se transmettait, à l’origine, exclusivement de manière orale. En complément de leur fonction éducative, les contes ont pour objectif de distraire le public. À l’instar de la fable, le conte appartient au genre de l’apologue qui caractérise les textes ayant pour fonction d’illustrer une morale. Issu plutôt du registre du merveilleux, il est parfois suivi d’une morale au caractère explicite. Cependant, l’auditoire doit parfois faire appel à son imagination pour tirer les leçons implicites du récit. Et si l’on s’arrête sur la définition de la fable, celle-ci est un récit de fiction exprimant une vérité générale ou un récit, le plus souvent symbolique, dans lequel l'imagination intervient pour une grande part. Quant à l’apologue, celui-ci se caractérise comme un court récit narratif, didactique, démonstratif et fictif, à visée argumentative, dont se tire une vérité morale pratique, un enseignement pour le lecteur.
La Malédiction de Raabi, l’ouvrage de Moumar Guèye appartient à tous ces genres littéraires à la fois, tout en faisant roman, c’est-à-dire en produisant une narration fictionnelle écrite en prose, mais qui aurait une visée pédagogique et qui contiendrait une justesse morale démontrée tout au long du récit.
On dit souvent que le conte peut être cruel, car dénué de tout sentimentalisme pour faire naître une forme de leçon servant aux relations humaines et sociales. Et c’est le cas du roman de Moumar Guèye qui laisse peu de répit à l’existence et au sort du personnage de Raabi.
Dès le début du récit, le cérémonial du conte est mis en place avec habileté par l’auteur et l’on retrouve tout le tissage de la tradition orale, de l’histoire, de l’enseignement des savoirs et des traditions culturelles sénégalaises. Nogaye, une jeune femme originaire du Sine Saloum part à Saint-Louis du Sénégal pour épouser Serigne Yamar, un homme bon et pieux et un marabout respecté de ses disciples. Plus âgé que Nogaye, Serigne Yamar a déjà une première épouse, Dior, celle par qui le malheur va se révéler. Et Nogaye apprend à vivre la polygamie dans cette ville inconnue en suivant les préceptes de son mari qui, avant de mourir, lui donne une fille, Raabi. Celle-ci non protégée par Maam Téning, la gardienne des traditions, la jeune fille va connaître une destinée dramatique qui va la conduire sur le chemin d’épreuves les plus difficiles les unes que les autres.
Ainsi, le cadre du récit est posé et à travers lui, plusieurs styles se côtoient, dans un mouvement hybride qui permet à l’auteur de raconter. La fable s’articule aux croyances, aux rituels, à des vérités de bon sens mais aussi servant à combattre les idées reçues, notamment sur la polygamie ou encore sur l’adversité des classes sociales ou régionales. La ville de Saint-Louis est ici présentée comme une terre d’accueil légendaire, opposée à la ruralité du Sine Saloum, barbare et mystique.
Pour cela, l’auteur use de plusieurs procédés pédagogiques, le discours oral, l’histoire sociale, la chronique des royaumes avant la colonisation, la généalogie, l’usage des proverbes, traduits des langues nationales, la pratique religieuse, tous ces éléments qui permettent de garder à l’esprit la réalité africaine et le fondement d’une identité culturelle.
Cette anatomie narrative trouve aussi son originalité dans le basculement actantiel des points de vue, alternant les expressions avec un narrateur extérieur et la voix personnelle du personnage de Raabi. Cette configuration composite apporte une tension à l’intrigue qui peu à peu se resserre autour de la pensée de Raabi, qui, si elle subit la malédiction qui est la sienne, sert d’ouvrage à l’auteur pour dénoncer toutes les maltraitances féminicidaires : excision, viol, mariage forcé, avec pour seul horizon la fuite ou encore l’échapée finale.
Ainsi, le roman de Moumar Guèye est l’aboutissement d’une tradition littéraire africaine, située entre le conte initiatique, et celui-ci est particulièrement brutal, et l’épopée ramenée à la condition d’une femme qui, malgré elle, devient une figure héroïque en livrant des batailles perdues d’avance.
Ce récit est aussi une alerte sur la disparition des valeurs humaines, au profit des apparences, des mensonges et des trahisons les plus viles. C’est aussi un plaidoyer en faveur de la dignité, du respect du corps de l’autre et de son appartenance à la terre dense d’amour et de beauté qui a pour force de battre les vagues de la désolation humaine.
Le roman de Moumar Guèye est un livre nécessaire, un livre qui apprend, aussi bien par son engagement à dénoncer les sévices qui peuvent être pratiqués sans être punis, et par sa volonté de valoriser tout le patrimoine historique et culturel qui rassemble les valeurs africaines autour de la transmission et du sacré.
Moumar Guèye, La Malédiction de Raabi, éditions Maguilen, Dakar, 2018, préface de Aminata Sow Fall.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
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