LE CONTE, UNE HISTOIRE MAL RACONTÉE
Le conte va à l’agonie - Il n’est pas exagéré de le dire - Il souffre de l’absence d’espaces familiaux dédiés mais aussi de la présence trop encombrante des écrans de télévision, d’ordinateur ou de téléphone

Le conte va à l’agonie. Il n’est pas exagéré de le dire. Il souffre de l’absence d’espaces familiaux dédiés mais aussi de la présence trop encombrante des écrans de télévision, d’ordinateur ou de téléphone. Mais ironie de l’histoire, c’est grâce aux réseaux sociaux qu’un rebond est en train de se faire.
La journée mondiale du conte est l’occasion pour le Soleil.sn de revisiter ce pan de la culture sénégalaise qui a permis de transmettre bon nombre d’histoires aussi ludiques que comiques. Pour le Professeur Massamba Mbaye, directeur de l’école de l’oralité et conteur professionnel, le conte a deux facettes. «Il y a le conte comme pratique artistique qui se porte bien. D’ailleurs, le Sénégal est détenteur du titre de meilleur conteur en la personne de Libasse. Les conteurs professionnels vivent bien de leur art », dit-il.
Cependant, le conte ne s’arrête à cette première facette avec une dimension professionnelle. Par le passé, il constituait un moyen d’échanges entre générations d’une société. Mais cette dimension ne semble plus d’actualité. Selon le Professeur Massamba Mbaye, « sur le plan social, il n’y a plus de place pour les contes. Déjà les types de maisons ne prévoient plus d’espace pour ça. A l’époque, il y avait une grande cour, où jeunes et vieux se retrouvaient pour des séances de contes, mais cela n’existe plus », déplore-t-il.
Dans le regret de la perte de ce pan culturel, le professeur Mbaye va plus loin : « Le conte social n’est plus enseigné dans les écoles encore moins dans les familles. Les réseaux sociaux ont tué la communication sociale, avec elle le conte social. Une partie intégrante de la communication sociale est morte ».
Selon Massamba Mbaye, s’attacher au conte, c’est valoriser sa tradition. «C’est la tradition orale africaine, les ancêtres s’en servirent pour éduquer leurs progénitures en y insérant des leçons de morale pour que les enfants s’en rappellent à chaque fois qu’ils se trouvent dans des situations similaires. Aujourd’hui, cette méthode d’éduquer tend à disparaître. Il faut une reconsidération de cette école traditionnelle », a-t-il alerté.
Les réseaux sociaux, un mal pour un bien
Aujourd’hui, le décor est quasiment le même un peu partout. Les échanges en famille semblent avoir cédé la place aux télénovelas et autres téléfilms sénégalais, à défaut d’un attachement presque irrationnel aux réseaux sociaux. « Les réseaux sociaux ont, en quelque sorte, coupé le lien familial. On peut même être dans un même salon et être éloigné les uns des autres. Tout le monde est entre Facebook, WhatsApp…on ne s’en rend même pas compte, mais il n’y a plus de communication sociale », se désole M. Manga, policier à la retraite et passionné de contes.
Pour lui, le conte a des vertus que les réseaux sociaux ne pourront jamais remplacer. « Il raffermit les liens familiaux, aide à transmettre la tradition aux plus jeunes… », énumère-t-il.
Mais aujourd’hui, s’il y a des acteurs qui ont bien su en tirer profit de cette situation, ce sont les conteurs professionnels, avec une certaine ironie de l’histoire. Selon le professeur Massamba Mbaye, «les réseaux sociaux ont permis de faire la promotion du conte professionnel. Beaucoup de nos productions sont utilisées comme modules de formation un peu partout dans le monde. Mes contes sont enseignés jusqu’au Brésil. Aujourd’hui, les conteurs professionnels ont entre 50 et 60 dates par an et à travers le monde. Ils vivent très bien de leur art. En Afrique de l’Ouest, il y a 350 conteurs professionnels qui ont été répertoriés, mais il y a plus de 500 conteurs sociaux. Mais quand je dis conteurs professionnels, c’est ceux qui peuvent jouer dans n’importe quelle scène et dans plusieurs langues ».