LE SEPTIÈME ART A LE BLUES
L’arrêt de travail et le chômage de professionnels du cinéma a touché 244 salariés permanents et 1040 employés à temps partiel et intermittents. Dans l’ensemble, les besoins du sous-secteur du cinéma pourraient être estimés à 478.612.000 F CFA

La Direction de la cinématographie (Dci) a produit, le 6 avril dernier, un rapport intitulé : « Impact du Covid-19 sur le sous-secteur du cinéma et de l’audiovisuel créatif du Sénégal : esquisse d’un programme de résilience socioprofessionnelle et économique ». Gros plan sur un document qui met en exergue et analyse les réponses à un questionnaire envoyé à une cinquantaine de sociétés, entreprises, associations et réseaux formels du cinéma et de l’audiovisuel.
Le sous-secteur du cinéma et de l’audiovisuel sénégalais est durement touché par la crise du coronavirus qui frappe le monde. Face à cette situation, la Direction de la cinématographie (Dci) du ministère de la Culture et de la Communication a produit un rapport qui s’articule autour de deux points : évaluation des effets et impacts du coronavirus sur les activités et les entreprises de cinéma ; propositions de mesures d’appui et de relance du sous-secteur dans le cadre du Programme national de résilience sociale et économique. Cette crise est en train d’annihiler, voire freiner, tous les efforts et actions de relance du 7ème art national, lit-on dans le document que nous a fait parvenir Hugues Dias, Directeur de la Cinématographie. Aucune filière n’est épargnée : formation, production, exploitation-distribution, promotion, marchés, coopération internationale…
À la production, il a été noté la suspension et l’annulation de 47 tournages de films, séries et publicités depuis la fin de la première semaine de mars 2020. Cela a entraîné l’arrêt de travail d’un personnel permanent estimé à 159 professionnels et 653 intermittents constitués de techniciens, acteurs, agents de production, etc. Par conséquent, une forte pression a été notée sur le paiement des charges fixes pour mars et avril. Les frais liés aux salaires, factures d’eau, d’électricité et location de locaux, entre autres, sont estimés à 59.589.000 FCfa, avec un manque à gagner (durant mars et avril) de 217.050.000 FCfa. Sur la même période, les entreprises ont fait face à des difficultés de paiement de la dette fiscale évaluée à 21.020.194 FCfa, sans compter la baisse substantielle du chiffre d’affaires et de la clientèle.
Avec la fermeture des frontières et les mesures sanitaires prises par l’État, la Direction de la cinématographie a été obligée de renvoyer trois grands tournages de films étrangers au Sénégal pour un budget à dépenser sur le territoire national estimé à 2 milliards 250 millions de FCfa. Le rapport insiste aussi sur l’arrêt de l’exécution d’une douzaine de projets de production et de post production de films appuyés par le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica) durant ce premier trimestre, ainsi qu’un non-respect du délai de livraison des productions.
RETARDS SUR LA CONSTRUCTION D’UN MULTIPLEXE DE 7 SALLES
L’exploitation n’a pas été épargnée par la crise car tous les espaces de diffusion et les programmes de projection en plein air et itinérant sont à l’arrêt depuis le 14 mars. Conséquences : arrêt de travail de près de 85 agents permanents et 62 personnes à temps partiel pour les salles et les projets de cinéma numérique mobile ou itinérant ; difficultés à résorber les charges fixes des entreprises d’exploitation estimées, pour mars et avril, à 52.878.655 FCfa ; manque à gagner de 103.475.000 FCfa pour la même période ; ralentissement des travaux de construction d’un multiplexe de 7 salles de cinéma et retard pour la date d’ouverture initiale ; blocage de travaux de rénovation et de numérisation de 3 salles de cinéma appuyés par le Fopica.
Les écoles de formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel ont, elles aussi, été touchées car elles ont toutes fermé leurs portes et envoyé au chômage leur personnel à temps partiel. Même constat dans les activités de renforcement de capacités et des résidences d’écriture et de développement de projets, obligées d’arrêter ou de reporter leur programme. Au total, plus de 268 élèves et étudiants sont concernés par l’arrêt provisoire de cours, sans oublier la menace de non-paiement des frais de scolarité de mars et avril qui pèse sur ces écoles. Selon le rapport, le manque à gagner des 6 structures de formation ayant répondu au questionnaire est estimé (entre mars et avril) à 65.337.000 FCfa, compte non tenu des difficultés de règlement des charges fixes de fonctionnement et de salaires, estimées à 35.887.600 FCfa.
PROJETS DE COPRODUCTION ÉTRANGÉRE ARRÊTÉS
Des menaces pèsent également sur le rayonnement du cinéma sénégalais à l’étranger car la crise liée au coronavirus risque de faire perdre des opportunités de promotion et de conquête de nouveaux marchés. La fermeture des frontières a entraîné l’annulation de la participation des cinéastes à de grands évènements cinématographiques pour lesquels le Sénégal était l’invité d’honneur, notamment au Portugal, en Tunisie, au Maroc, en Inde, en Chine, au Brésil, en France, etc. Des projets de coproduction étrangère de films ont aussi été arrêtés ou reportés. À ce propos, la Dci révèle que l’annulation ou le report des festivals et événements cinématographiques au Sénégal et à l’étranger va entraîner, pour l’année 2020, une perte sèche de près de 155.750.000 FCfa et un chômage de plus de 325 intermittents. Sur un autre registre, on note aussi le retard ou le blocage dans l’exécution de programmes et de projets de coopération avec des partenaires étrangers, comme c’est le cas pour l’étude de préfaisabilité du projet de création de la Cité sénégalaise du Cinéma par l’Agence française de développement (AFD).
UN MANQUE À GAGNER DE 541.612.000 FCFA
En résumé, la Dci redoute une menace sur la viabilité socioéconomique des entreprises de cinéma encore fragiles, avec comme conséquences immédiates le ralentissement des activités, une perte de marchés, un manque à gagner et une accentuation des dettes. Le sous-secteur est également exposé à un appauvrissement et une vulnérabilité des professionnels à cause de l’absence de revenus pérennes et de plateaux de tournage. Tout cela risque d’entraîner une oisiveté des jeunes en formation et un chômage accentué des intermittents et autres professionnels du cinéma. En faisant le récapitulatif en chiffres de l’impact de la crise du Covid-19 sur le secteur, la Dci constate que la résorption des charges fixes d’une trentaine d’entreprises (salaires, factures d’eau, d’électricité, location des locaux, etc.) pour mars et avril a atteint un montant cumulé de 148.355.255 FCfa pour toutes les filières. Quant au total du manque à gagner, il est de 541.612.000 FCfa. L’arrêt de travail et le chômage de professionnels du cinéma a touché 244 salariés permanents et 1040 employés à temps partiel et intermittents. Dans l’ensemble, les besoins du sous-secteur du cinéma pourraient être estimés à 478.612.000 F CFA, selon le rapport.
Et pour faire face à cette crise sans précédent, la Dci a fait des propositions pour la relance du cinéma, dans le Programme national de résilience sociale et économique Covid 19. Des mécanismes de soutien doivent être envisagés afin de limiter les impacts de la pandémie. Cela passerait par la mise en place urgente (d’avril à juin 2020) d’un fonds d’aide aux professionnels du secteur culturel et à l’accompagnement des structures. Cet appui pourrait être sous la forme d’un don non remboursable ou d’un prêt remboursable sans intérêt, pour une durée compréhensible. Les autorités pourraient également imaginer un système de financement afin de relancer durablement les activités des entreprises culturelles et cinématographiques. À ce propos, le rapport suggère que le Fopica soit davantage renforcé et renfloué pour mieux jouer son rôle d’impulsion à la structuration d’une véritable industrie cinématographique et d’une économie viable du 7ème art au Sénégal. « À cela, il convient de rendre exécutoire en 2020 la décision du Président de la République de porter la dotation annuelle à deux milliards de FCfa », conclut le rapport.