REDUIRE LA PROFESSION VETERINAIRE A LA PRATIQUE DE LA SANTE ANIMALE NE PEUT PROSPERER EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Ex-directeur de l’École Inter-États des Sciences et Médecine Vétérinaire (EISMV) de Dakar et ancien ministre béninois de l’Enseignement supérieur, Pr François Adébayo Abiola revient dans cet entretien sur son parcours, un parcours exemplaire au service de l’Afrique, et surtout sur les grands défis auxquels l’enseignement supérieur et la recherche vétérinaire doivent répondre pour mieux accompagner le développement du continent. Il n’a pas manqué aussi de se prononcer sur l’hommage qui lui a été rendu à Sakété, sa ville natale, par les universitaires, figures politiques et pairs d’Afrique.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre parcours, de l’enseignement supérieur au ministère de l’Enseignement au Bénin, jusqu’à la direction de l’EISMV?

C’est un privilège pour moi d’avoir eu le parcours qui a été le mien : parcours universitaire, parcours professionnel, parcours politique et parcours social. En réalité, on peut dire en caricaturant à peine, que j’ai eu avec les opportunités qui se sont présentées à moi un parcours différent à partir de deux pays : le Sénégal pour le parcours professionnel et le Bénin pour le parcours politique et social. Je vais paraphraser le Professeur Djibril Samb, ancien Directeur de l’IFAN, dans le résumé d’hommage qu’il a fait parvenir au comité scientifique du colloque et dont le titre est : François Adébayo Abiola, Homo academicus, Homo politicus, kalokagathos. « Lorsqu’il apparait ce jour du 27 novembre 1950 à Sakété au Bénin, seul le Créateur savait que cet enfant naissait pour emprunter une expression de la sagesse grecque antique « beau et bon » : Kalos Kagathos. En débarquant après le baccalauréat pour la première fois à Dakar le 5 décembre 1974, le jeune François imaginait à peine qu’il arrivait dans un pays qui va lui ouvrir un riche parcours professionnel qui le fera toujours tutoyer le sommet de l’excellence : assistant, maitre-assistant, agrégé, maitre de conférences et professeur titulaire, l’Homo academicus bien rempli. Autre remarque, étudiant, enseignant, directeur, membre du Conseil des ministres, président du Conseil des ministres, toutes les positions possibles dans une institution comme l’École Inter-États des Sciences et Médecine Vétérinaires. C’est pour le moment unique. Député, ministre, ministre d’État, Vice Premier ministre après un si long séjour au Sénégal, l’Homo politicus qui fait rêver. Kalos Kagathos : « Beau et Bon », ces distinctions honorifiques qui lui ont été attribuées par plusieurs pays doivent être expliquées à la jeunesse, notre jeunesse afin qu’elle cherche à imiter le maitre pour faire plus sur le chemin de l’excellence ». Tout cela est une grâce.

Que représente pour vous cet hommage rendu par vos pairs et amis, et quel message souhaitez-vous adresser à la jeune génération de chercheurs, enseignants et décideurs africains ?

Une grande fierté avec humilité. Comme on le dit, ce que tu fais te fait. L’hommage à un universitaire ou à une personnalité n’est pas du jamais vu, au contraire. On en organise souvent dans les espaces universitaires. J’avais voulu en choisissant ma ville de naissance pour cet événement, faire démentir quelque peu cet adage qui veut que nul ne soit prophète chez soi. Une rue y porte désormais mon nom, de mon vivant. Gloire soit rendue à tous ceux qui y ont contribué. Le message est clair. Pour concevoir le développement, en définir clairement les objectifs, identifier les besoins et les ressources, structurer un plan d'action avec des étapes claires et un calendrier précis et en faire régulièrement l’évaluation et l’adaptation, il faut des hommes : l’homme donc l’alpha et l’oméga comme le dit l’adage.

Je vais partager avec vous la perception d’une jeune participante à ce colloque d’hommage sur ma personne, Mlle Rose Éyitayo Akiossi, étudiante à l’université d’Abomey-Calavi et qui vient après son élection d’être installée au parlement des jeunes du Bénin. « Les femmes et les hommes d'Afrique peuvent, s'ils le veulent, rompre avec la fatalité. Ils peuvent bâtir des communautés aptes à l'épanouissement de tous » a écrit Adrien Houngbédji (une personnalité politique bien connue au Bénin) dans son ouvrage reprenant l’écrivait Jean Bodin au XVIème siècle « il n’y a de richesses que d’hommes », tout comme Charles De Gaulle lorsqu’il déclarait aussi en 1959 « en notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de l’homme. C’est l’homme qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer ». C’est pourquoi le parcours de l’homme François Adébayo Abiola est inspirant dans ce cadre ». En choisissant de s’intéresser au parcours universitaire, professionnel, politique et social de l’homme Abiola et ses réalisations de l’homme dans la commune de Sakété, nous posons la problématique du modèle Abiola pour « notre » génération en partageant que toute génération a besoin de son modèle : modèle de développement, modèle spirituel, modèle d’homme incarnant des valeurs pour la société. Comment associer des personnalités de notre espace comme François Abiola à celles-là qui sont citées et même vénérées tous les jours ? Les Platon, Socrate, Karl Max et autres Victor Hugo. Abiola a un parcours riche, varié et harmonieux qui conjugue intellect, initiatives et humanité, illustrant ce que signifie être un citoyen si haut mais si proche de la population. Il a su allier savoir, passion et pragmatisme. Beaucoup d’entre nous ont besoin de ce modèle aussi. J’ai donc vécu pleinement deux jours de communion avec mes pairs et amis venus de pays comme le Niger, le Rwanda, le Cameroun, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Togo, pour s’ajouter à ceux du Bénin mon pays de naissance et du Sénégal, mon pays d’adoption.

L’honorable Rose Akiossi résume bien l’attente de la jeunesse et je suis heureux que ces paroles me soient consacrées.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l’enseignement supérieur et la recherche vétérinaire en Afrique doivent répondre pour mieux accompagner le développement du continent ?

Une excellente préoccupation en ce moment, tellement préoccupante qu’un livre que je viens d’achever va être rendu public bientôt : « la profession vétérinaire en Afrique subsaharienne, l’EISMV de Dakar, une grande école pionnière, éditions Paris, Afridic ». Ces défis sont ceux qui permettent à l’homme vétérinaire de formation de donner des réponses aux questions qui entrent dans ses compétences : d’abord les défis de santé animale, ceux de la production animale, ceux de la protection de la santé du consommateur et de l’environnement, ceux de la production du savoir pour faire avancer les progrès scientifiques et technologiques dans le monde (et j’en passe) sans oublier sa participation dans la gouvernance étatique.

Le vétérinaire est le médecin des animaux. Il est amené à soigner diverses espèces animales…Outre le maintien des animaux en bonne santé et dans les meilleures conditions pour remplir leurs fonctions de production, le rôle des vétérinaires est important au regard de la santé humaine : tant pour maîtriser les maladies transmissibles à l’homme directement ou indirectement. Puis rapidement, on s’est préoccupé d’introduire les métiers liés à la santé et à la production animales. Les métiers liés au secteur des différentes filières des productions animales sont variés : ouvrier agricole, chef d’exploitation, responsable sanitaire, technicien agricole, technicien en production animale. Depuis les temps coloniaux, on savait que le Dr Vétérinaire devait se faire accompagner d’autres compétences, comme par exemples, ceux qualifiés à l’heure actuelle de professionnels para vétérinaires, pour faire face aux défis de la santé et de la production animales. Les pays ont progressivement compris les enjeux et ont par conséquent, mis en place des formations de différents niveaux pour couvrir ces métiers afin que ceux-ci contribuent plus encore au développement desdits pays. Aussi, réduire la profession à la pratique de la santé animale ne peut prospérer en Afrique subsaharienne. Nous en sommes de plus en plus convaincu.