LE PRES ET SES MILLIARDS DE FUMÉE
Après avoir critiqué son prédécesseur pour ses "quémandes à l'étranger", le nouveau pouvoir multiplie les levées de fonds, des "Diaspora Bonds" aux taxes confiscatoires. L'alternance a-t-elle vraiment changé la donne économique ?

Le financement du Plan de redressement économique et social (Pres) fera-t-il revivre les anciennes filières de contrebande des produits de consommation, qui existaient entre le Sénégal et la Gambie ? Si la taxation à 100% de la cigarette et du tabac finit par entrer en vigueur, ne risque-t-on pas de voir des cigarettes made in Sénégal entrer dans le pays par des voies détournées, pour échapper à la douane et aux services fiscaux ?
On sait que les pouvoirs publics ont déclaré, lors du lancement du Pres, attendre, entre 2025 et 2028, 2111 milliards de francs Cfa de ressources endogènes dont une bonne part de taxes sur les tabacs, les jeux de hasard en ligne, ou l’importation des véhicules d’occasion. Le Premier ministre avait affirmé, ce jour-là, sous les applaudissements de la salle, qu’avec cette taxe sur le tabac, la fumée allait rapporter à l’Etat plus de 100 milliards de Cfa. Pour un Etat qui est dans une recherche effrénée d’argent liquide, cela est très loin d’être négligeable. La seule matière à inquiétude est qu’il y a très souvent une grande distance entre la bouche et la proie. Il faudrait prier pour que l’écran de fumée ainsi généré ne produise que des illusions…
L’un des plus gros soucis est que le Sénégal se bat depuis des décennies pour réussir sa ré-industrialisation. Le pays qui, à l’indépendance, possédait un tissu bien tenu de Petites et moyennes industries (Pmi), a assisté à la mort d’une bonne partie de ses joyaux, sous l’effet des plans d’ajustement structurel, et de la mauvaise application d’une libéralisation tous azimuts dont n’ont pas profité les entrepreneurs de ce pays. De manière ironique, certains chefs d’entreprise ont délocalisé leurs usines vers des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana, pour échapper à l’emprise d’un fisc devenu confiscatoire pour eux, tandis que leurs concurrents étrangers bénéficiaient d’avantages fiscaux plus qu’attractifs. Ainsi, alors que le gouvernement cherche à taxer le tabac à 100%, «pour respecter le plafond de l’Uemoa», comme il dit, on se demande s’il a consulté l’industrie du tabac implantée sur le territoire sénégalais. Les associations anti-tabac se gargarisent déjà de cette décision, et des champions de la lutte contre le cancer comme le Dr Abdoul Aziz Kassé n’y voient que des bénéfices sur la santé publique. Cela pourrait être vrai. Cependant, il faudrait déjà savoir combien de parts tirées de la taxe sur le tabac -estimée entre 23 et 40 milliards de Cfa à l’heure actuelle- sont actuellement consacrées aux services de santé. Le gouvernement du Sénégal, qui n’hésite pas à racler tous les fonds disponibles, sera-t-il disposé à mettre plus de moyens dans un secteur que beaucoup ne considèrent déjà pas comme prioritaire ?
Moins de cigarettes ou moins d’argent ?
En attendant que ce miracle se produise, on peut déjà se demander si la multinationale qui produit du tabac au Sénégal, et vend ses cigarettes dans tous les pays de l’Uemoa, comme dans beaucoup d’autres de la Cedeao, et même au-délà, en Afrique de l’Est et australe, va encore longtemps juger rentable de maintenir sur place son unité de production. Ladite usine emploie un peu plus de 300 personnes dont une très grande majorité de Sénégalais. Si certains parmi ces personnels pourraient trouver du travail en cas de délocalisation, on peut parier que la majorité d’entre eux ne seront pas recasés. Ce sera alors à l’Etat sénégalais, qui les a considérés comme des variables d’ajustement, de leur éviter de gonfler son armée des sans-emplois. Les personnes qui pourraient considérer cela comme utopique pourraient se remémorer ce qui s’est passé avec la Mtoa qui, avant Philip Morris, fabriquait des marques de cigarettes aussi célèbres que «Camelia» ou «Gauloises», avant d’autres franchises américaines et britanniques bien connues. La Manufacture des tabacs ouest-africains qui, pendant plus de 80 ans, fabriquait du tabac dont une bonne partie était cultivée à Dioffior, dans le Sine, n’a pu résister encore plus longtemps à une fiscalité devenue punitive. En remerciant son personnel local, elle a également dû mettre au chômage les cultivateurs qui avaient contracté avec elle. On ne sait pas si ces gens ont pu se reconvertir facilement, alors que l’agriculture sénégalaise dans son ensemble n’est pas au mieux. L’entreprise, elle, n’a pas perdu grand-chose, hormis peut-être des souvenirs. Elle s’est reconstituée à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où son activité continue de prospérer. On peut parier que si les mêmes types de politique continuent de prévaloir à Dakar, les bords de la Lagune Ebrié accueilleront une nouvelle usine, celle qui est actuellement installée à Pikine, sur la Rn1. Et les fumeurs de cigarettes à Dakar n’auront même pas à renoncer à leurs plaisirs, parce que le même produit continuera à leur être vendu, avec juste la mention «made in Côte d’Ivoire», qui aura remplacé le Sénégal. Et qui compensera le manque à gagner pour le fisc ou pour le ministère de la Santé ? Il serait déjà plus que temps d’y réfléchir avant qu’il ne soit trop tard.
Dans une «Note» datant du 17 juin dernier, il était déjà dit ceci : «Les consommateurs continueraient à être approvisionnés sans difficultés. La seule différence, et de taille, serait que les services fiscaux devraient cherchaient ailleurs comment combler le manque à gagner dû aux 40 milliards de Cfa de taxes et frais divers payés actuellement par la compagnie. Cela, compte non tenu des 300 soutiens de famille employés par la société à Dakar et qui devront se chercher d’autres emplois ailleurs. Il est vrai que quand les pouvoirs publics eux-mêmes n’hésitent pas à pousser des entreprises à mettre la clé sous le paillasson, l’argument ne devrait pas peser pour eux. Mais pour les citoyens d’un pays où le taux de pauvreté ne baisse pas, on peut bien se demander ce qui pèse le plus sur la balance.
D’autant plus que, depuis quelques années, la société Philip Morris déclare avoir mis au point un produit innovant, qui élimine la cigarette fumée pour la remplacer par le tabac chauffé, qui produit des effets similaires à la cigarette sans avoir la même nocivité. Malheureusement, contrairement à bien d’autres pays, en particulier les pays développés du Nord, ce produit n’est pas autorisé à la commercialisation au Sénégal. Le cigarettier promet que si son produit, qui est déjà adopté dans une cinquantaine de pays, était commercialisé ici, il aiderait à réduire le nombre de fumeurs de cigarettes. Mieux encore, son usine sénégalaise pourrait proposer sur le marché cette nouvelle technologie, au plus grand bénéfice du pays. Mais cela, on ne le saura pas tant que les autorités sénégalaises ne voudront pas parier sur l’avenir, au lieu de se laisser embrouiller par l’écran de fumée des ligues anti-tabac.»
Sonko et Macky, quelle différence…
Aujourd’hui, le Pres met l’accent, en ce qui concerne les impacts attendus, sur l’accélération de la croissance par «le financement direct aux entreprises nationales, la garantie au secteur privé, les investissements dans des projets stratégiques…». Depuis le mois de mars pourtant, on n’en a vu que les aspects fiscaux. Le lancement des «Diaspora Bonds», présenté comme une marque de la contribution des Sénégalais de l’Extérieur à l’effort de redressement du pays, n’a rien prévu, à ce que l’on en a vu, une particularité de cette forme de solidarité. Cette levée des fonds est juste une autre forme de recherche d’argent à laquelle l’Etat du Sénégal vient de nous accoutumer. Ironiquement, on peut juste se demander où est passé le Ousmane Sonko qui se moquait de Macky Sall, présenté comme un dirigeant passant son temps à aller quémander à l’étranger les moyens de son financement.
Ce qui semble les différencier, c’est que Macky Sall ne se contentait pas des miettes tirées du marché boursier de l’Uemoa pour financer ses projets, il sollicitait des plus gros créanciers, en jouant sur la crédibilité de sa signature. L’autre grosse différence est que, des ressources ainsi récoltées, Macky Sall essayait de poser les jalons du développement de son pays, en renforçant la coopération intra-régionale. Si Macky Sall n’avait pas eu de vision, le pont de Farafegny n’aurait pas vu le jour. Cet ouvrage, entièrement situé sur le territoire gambien, a pourtant été érigé grâce à une garantie financière du Sénégal. Bizarrement, ses successeurs, qui l’accusent régulièrement de gabegie, ne l’ont toujours pas attaqué sur ce point. Ils pourraient néanmoins lui reprocher de ne pas avoir assez protégé notre tissu industriel. Mais eux non plus ne semblent pas vouloir faire mieux
Le relèvement de la date d’entrée des véhicules importés d’occasion pourrait être une aubaine pour des consommateurs désireux d’acquérir une voiture. Mais ce serait juste de la poudre aux yeux. Les défenseurs de la santé des Sénégalais devraient étudier les émanations des tuyaux d’échappement desdits véhicules ainsi importés à leur date de péremption. Ils pourraient alors se demander si la fumée des cigarettes est plus mortelle que celle des véhicules. Dans l’intervalle, nos concessionnaires locaux auront été obligés de se trouver d’autres débouchés. Comme semble d’ailleurs vouloir le faire le plus grand brasseur du pays, qui produit des marques de boissons alcoolisées bien connues des Sénégalais - consommateurs ou non. Depuis quelques années, ses produits sont en forte concurrence avec des marques étrangères. Malgré de nombreux signaux d’alarme, l’indifférence de l’Etat semble devoir finir par avoir raison de ses dirigeants, qui seraient en train d’envisager la délocalisation de la production. Et là, comme dans d’autres sociétés, les premiers lésés ne seront que les travailleurs.
La fiscalité confiscatoire et le libéralisme débridé n’affecteront pas que les travailleurs. La mise en veilleuse de la Cde est une mise à mort programmée de centaines de familles. Outre les employés qui ont perdu leurs emplois, il y a tout le réseau des proches, clients et fournisseurs qui vivent de nombreuses connexions sociales et économiques. Aucune taxe ne pourrait compenser les charges que l’Etat et ses démembrements seraient obligés de supporter pour compenser les erreurs économiques de certains décideurs obnubilés par des chiffres qui, jusqu’à présent, ne sont que les produits de leurs calculs.