«LE THEATRE N’A PAS UN PROBLEME DE RESSOURCES HUMAINES MAIS DE PUBLIC»
Même si le théâtre national Daniel Sorano, devenu établissement public à caractère industriel et commercial, continue de dérouler son programme artistique avec ses troupes nationales, le public se fait désirer.

Selon son directeur général, Sahite Sarr Samb, entre 2018 et début 2019, sept créations en matière de théâtre ont été faites, mais le problème majeur demeure le public. L’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication est passée par là. Dans cet entretien, l’ancien directeur de l’Ecole nationale des arts s’est fixé comme défi de miser sur la jeunesse pour que le théâtre puisse retrouver son lustre d’antan. Et pour marquer la journée mondiale du théâtre prévue le 27 mars prochain, Sahite Sarr Samb annonce que le théâtre national Daniel Sorano prévoit la présentation de la Tragédie du Roi Christophe, entre autres activités.
Est-ce que le Théâtre national Daniel Sorano est toujours actif comme avant?
Nous avons trois troupes nationales qui sont au sein de Sorano. Il s’agit de la troupe nationale dramatique qui fait du théâtre, le ballet national la Linguère qui est connu aussi bien au niveau national qu’international et qui fait de la danse traditionnelle et nous avons aussi l’ensemble lyrique traditionnel qui fait de la musique traditionnelle. C’est aussi quelque part des troupes qui font de l’expression artistique mais aussi qui participent à la préservation du patrimoine immatériel du Sénégal. Nous avons notre programme de la saison artistique que l’on déroule toujours. D’ailleurs, on se prépare à aller vers la célébration de la journée mondiale du théâtre. Pour le ballet national la Linguère, nous venons d’un festival international du folklore (1er festival de l’Oci au Caire). Aussi bien au niveau national qu’à l’échelle internationale, nous avons nos activités. Nous sommes dans nos missions, dans nos obligations, dans nos tâches qui ont été définies par l’Etat du Sénégal.
Quelles sont les activités de Sorano dans le domaine du théâtre ?
Entre 2018 et même début 2019, nous avons fait en matière de théâtre, sept (7) créations artistiques. Déjà, pour le 27 mars prochain, nous allons reprendre une de ces créations, «Tay mu saf sapp» qui est surtout une comédie sociale sur la polygamie pour une deuxième diffusion. A chaque création, nous élargissons et nous contractualisons avec d’autres comédiens qui sont, soit dans l’Arcots ou bien dans d’autres troupes à l’individuel. On avait une création qui s’appelle «Bruits de Couloir» lors de la journée panafricaine de l’écrivain au mois de novembre et là, nous comptons reprendre cela le 3 avril. Toujours dans cette création, nous avons une autre pièce sur la parité qui s’appelle «La Danse de la Parité», une pièce d’un célèbre ouvrage d’un Prix Nobel de la Paix Italia (Dario Fo, Ndlr) que nous avons adapté et que nous avons présenté au mois de janvier à l’Institut français et que nous programmons aussi au mois d’avril. Nous reprenons les créations parce que dans le répertoire de Sorano, il existe plus de 300 œuvres artistiques. Par exemple la Tragédie du Roi Christophe. Il y aura des extraits que nous allons présenter le 27 mars, lors de la journée mondiale du théâtre. Nous allons profiter de cette journée qui correspond au centenaire de la naissance du grand comédien Abdoulaye Douta Seck pour lui rendre un hommage puisqu’il a été un sociétaire de notre théâtre.
Aujourd’hui, est-ce que cet engouement du public par rapport au théâtre existe toujours ?
Tout notre problème est là. C’est-à-dire la question du public. Le théâtre n’a pas un problème de ressources humaines. Nous avons des comédiens bien formés. La question de la formation ne se pose pas. La question de la légitimité historique aussi ne se pose pas. Ce sont des héritiers de Douta Seck, Omar Seck et tout. Mais le problème que nous avons depuis un certain temps, c’est un public. Parce qu’entre temps la société sénégalaise a évolué. Il y’a eu beaucoup de mutations. Les paradigmes ne sont plus les mêmes. Les lignes ont beaucoup bougé. Le public sénégalais a changé. Et cela, c’est aussi l’effet positif, négatif et des médias aussi. La télévision a participé à donner une autre forme de perception du théâtre à travers les téléfilms qui en réalité ne sont pas du théâtre. C’est plus une production audiovisuelle. Les codes de lecture ont changé et je pense que les jeunes n’ont pas été formés dans le sens d’avoir une culture théâtrale. Et si cette génération n’a pas été formée pour avoir cette culture esthétique du théâtre qui permet d’avoir le goût du théâtre, fondamentalement, on se retrouve à chaque fois que nous jouons avec un public de connaisseurs uniquement.
Le 4ème art n’a-t-il pas alors perdu son lustre d’antan ?
Si c’est sous le rapport du public, oui. On a un problème de public qui est là. La majorité n’a pas un goût au théâtre. On ne peut pas aller voir quelque chose qu’on ne connait pas. Ce n’est pas seulement dans le cas du théâtre, c’est aussi le cas du cinéma. Il y’a beaucoup de formes d’expressions culturelles qui sont confrontées à ce problème-là. C’est pour pourquoi, il n’y a plus de salle de cinéma. Parce qu’entre le théâtre et le cinéma, il n’y a pas une frontière étanche à 100%. C’est pourquoi les comédiens deviennent des acteurs mais les mêmes problèmes que nous avons au théâtre, on les a aussi au cinéma.
Qu’est-ce que vous faites pour vous adapter à ces réalités ?
Nous avons essayé depuis 3 ans d’expérimenter, d’avoir une stratégie. Et ma conviction est que, pour ramener les choses à l’endroit, il faut fondamentalement travailler avec le public jeune, scolaire particulièrement, avoir une démarche vis-à-vis des scolaires. D’ailleurs, on va mettre le focus encore sur la journée mondiale du théâtre pour amener le plus de scolaires. C’est comme ça qu’on pourra un peu rétablir les choses et faire découvrir aux enfants le théâtre pour qu’ils soient des consommateurs du théâtre de demain. Pour cela aussi, il faut que l’école nous aide. Ce qui n’est pas tellement le cas. Le théâtre n’est plus à l’école. Il y a eu une césure à ce niveau. Il faudrait que l’école aussi joue sa partition à ce niveau. Nous optons pour toutes nos pièces de mettre le focus sur le public jeune et surtout le public scolaire et universitaire qui répond quand même. C’est un public qui, pour des raisons d’ordre pédagogique, de culture générale, a cette propension à pouvoir vraiment venir et découvrir le théâtre. Ils viennent, accompagnés de leurs professeurs. Et quand on joue, il y a entre le professeur qui accompagne les élèves, et les metteurs en scène et les élèves un débat. Tout cela, c’est pour vraiment participer un peu à donner goût au théâtre. Je pense aussi le développement des médias des technologies de l’information et de la communication n’a pas vraiment aidé le quatrième art qui est le théâtre. Donc, l’adaptation, c’est miser sur la jeunesse mais aussi en me disant que les premières classes de cette jeunesse qui sont la famille d’abord et l’école, s’ils ne jouent pas ou bien s’ils ne travaillent pas dans la même direction, le problème resterait entier. C’est plus un problème de société. Il faudrait qu’au sein de la famille qu’on puisse parler du théâtre aux enfants, leur dire que ce théâtre que vous regardez à la télévision, n’est pas du théâtre. Le théâtre, c’est sur scène, en un seul lieu, en un seul moment. C’est une éducation artistique qui nous dépasse. Parce que nous, nous ne sommes pas au niveau de l’éducation, nous sommes au niveau de la diffusion et maintenant la diffusion pour qu’elle puisse intéresser les gens, il faudrait que le public soit éduqué pour qu’il puisse aimer ce qui est diffusé. Pour le mois de mars, on ouvre le théâtre au privé. Il faut aussi que la formation au niveau de l’Ecole des arts soit redimensionnée. Nous sommes en 2019 avec toutes ces nouvelles technologies. Au Sénégal, on a formé que des comédiens, on n’a pas formé des techniciens, des scénographes, des régisseurs. On a formé que des comédiens alors qu’il y’a une multitude de métiers dans le théâtre, des décorateurs surtout qu’on va vers des décorations numériques.