«ON NE CONÇOIT PAS LE MONDE DE LA MEME MANIERE»
Selon le sociologue Mamadou Wane, dit Mao, les personnes n’appartenant pas à la même génération ont du mal à s’entendre sur certains aspects. Ainsi, des conflits surgissent à tel point qu’on parle même de fossé entre les générations.

Les personnes n’appartenant pas à la même génération ont du mal à s’entendre sur certains aspects. Ainsi, des conflits surgissent à tel point qu’on parle même de fossé entre les générations. En effet, les jeunes d’aujourd’hui aspirent aux changements et refusent de subir l’autorité des vieux qui, à leur tour, militent pour la conservation des valeurs ancestrales. Cette mésentente devient, de jour en jour, très perceptible. Cela s’explique, selon le sociologue Mamadou Wane, dit Mao, par le fait que les deux ne conçoivent «pas le monde de la même manière». Toutefois, il relève qu’il y a un socle de valeurs qui est immuable : le respect des autres, la politesse, le contrôle de soi, la religion et le respect des valeurs. Or, sans dialogue intergénérationnel, l’on va vers la déperdition et la perte de nos valeurs, engendrant une «jeunesse sans identité». Car les jeunes sont aujourd’hui attirés par les rôles modèles dans leurs sociétés qu’ils voient à travers les médias.
Pourquoi les jeunes et les vieux n’arrivent-ils pas à s’entendre ?
Ce sont les valeurs qui ont complètement changé, elles ne sont plus les mêmes. D’abord, la notion de liberté est devenue quelque chose qui demande une certaine force surtout dans notre société qui est sitariste alors que la nouvelle génération a envie de se prendre en charge individuellement. L’aspiration des parents et celle des jeunes ne sont pas les mêmes, de même que les normes. Il y a des normes universelles telles que la politesse, le savoir-vivre ensemble, le respect des autres ; ça c’est immuable. La nouvelle génération n’a pas ça ; mais, à mon avis, c’est dans les ambitions et celles-ci différent. Les ambitions des parents, c’est pour que demain tu sois là, que tu ais un «job» dans un bureau, alors que toi tu as envie d’avoir un «job» beaucoup plus libéral. Les jeunes sont aujourd’hui attirés par les rôles modèles dans leurs sociétés qu’ils voient à travers les médias. Les contextes ne sont pas les mêmes, on ne conçoit pas le monde de la même manière car les personnes âgées sont dans un logiciel d’éducation, les jeunes peuvent le percevoir comme étant traditionnelles.
Quelles sont les limites à ne pas franchir ?
Les limites à ne pas franchir, c’est le respect des parents parce qu’en Afrique, nous ne sommes pas comme en Europe. On doit être une société fusionnelle. Et ce qu’on voit aujourd’hui, ce sont des types de discours de discriminations des personnes âgées. Les personnes âgées sont presque 9% (de la population), alors que nous avons une population très jeune ; donc il faut donner beaucoup de place à la nouvelle génération, aux nouveaux leaderships de jeune. Il est extrêmement important qu’ils occupent des postes de décision. Ça peut aussi créer des conflits sur le fait que vous arrivez à monopoliser des espaces de décision. Dans les espaces politiques, ce sont des gens qu’on voit depuis au temps de Senghor; cela peut créer un certain rejet. Si aujourd’hui on perd un certain nombre de valeurs, c’est est dû à la marginalisation quelque part. On a eu une société beaucoup plus équilibrée quand, dans la maison, il y avait les grands-mères, tantes, oncles, etc. Et, en tant que jeune ou enfant, on circulait dans l’espace familial. Pendant les vacances, on allait voir nos grands-parents et ça nous permettait d’aller au village, d’avoir l’éducation culturelle. Maintenant, on assiste à ce qu’on appelle, nous les sociologues, l’appauvrissement. Ça devient pauvre, les gens n’ont plus de relations, c’est-à-dire il n’y a plus ces acteurs dans les familles permettant aux jeunes de s’enrichir de l’expérience des ainés. Les visions ne sont pas les mêmes. Mais aujourd’hui, les jeunes rêvent de l’Amérique, de l’occident. C’est là-bas qu’ils veulent faire leurs études et c’est là-bas qu’ils veulent partir. Cela amène ce qu’on appelle l’éloignement social, la distanciation.
Qui des jeunes ou des vieux ont raison ?
Les deux ont raisons parce que le monde est dans un net changement qui est favorisé par les médias, le digital, les voyages, les interactions culturelles. Il n’y jamais eu autant de mobilité dans le monde. L’aspiration au changement n’a pas la même conception du pouvoir politique fondamental. C’est très bien qu’ils aspirent au changement, qu’on ne gouverne plus de manière autoritaire. La liberté, dans une certaine mesure, d’opinion, le changement, l’aspiration, par exemple la lutte contre l’exclusion sociale ; tout ça c’est un changement parce que le monde, tel qu’il est aujourd’hui, est un monde avec beaucoup de marginalisations. Notre modèle économique produit de la masse, produit de l’exclusion sociale. Les jeunes sont allergiques à ça. Ils sont plus porteurs de solidarité concrète. Même leur façon de faire la politique, c’est moins dans les projections, moins dans cette construction de la politique consistant à capter les suffrages pour en faire autre chose. Mais en même temps, de l’autre coté, la résistance pour qu’aussi, même si on doit changer, qu’on y aille avec des valeurs. Il y a un socle de valeurs qui est immuable : le respect des autres, la politesse, le contrôle de soi, la religion et le respect des valeurs.
L’individualisme est-il un facteur déterminant ?
L’ancienne génération, c’était des projets collectifs. Et aujourd’hui, de plus en plus, ce sont des projets individuels, c’est le capitalisme, le système libéral. La nouvelle génération est contre l’injustice, l’arbitraire. Dans l’ancienne génération, quand on revendiquait, c’était pour plus de liberté, d’équité et d’égalité, non à la discrimination, etc. Si nous prenons le cas des enfants de la rue, la plus part des jeunes veulent qu’on trouve de solutions.
Quelles sont les conséquences majeures du conflit entre générations ?
On aura une société bloquée, une société qui ne communique pas. Il n’y a pas dynamique collective, de réponses à des situations comme par exemple la pandémie actuelle de la Covid-19. Il y a toute une stratégie qui repose sur ce qu’on appelle la mobilité communautaire, l’engagement communautaire. Or, aujourd’hui, la plus grande force de l’engagement communautaire, ce sont les jeunes. Ce sont eux qui portent le combat. Si aujourd’hui ils ne portent pas le combat pour le respect des gestes barrières, ils pourraient porter le virus. Peut-être qu’eux, ils s’en sortiront mais ils vont emporter la génération des ainés. C’est dans le dialogue inclusif, au plan social intergénérationnel ; il faut dialoguer. Sans dialogue intergénérationnel, nos valeurs culturelles vont dépérir, il y aura une perte et cette jeunesse sera sans identité. Aujourd’hui, on voit des jeunes filles noires qui portent des perruques blondes et c’est incroyable. Cela veut dire, quelque part, qu’il y a cassure de communication et il n’y a pas eu de transmission de valeurs. Elles doivent être fières de leur peau noire d’ébène. Donc tout ça, ce sont des conséquences de crise de communication qui ne sont pas dues aux conflits générationnelles mais de crise de communication entre générations. C’est la génération des ainées qui vous amène à aimer notre culture en tant qu’africain noir. Mais quand il y a une communication bloquée, des conflits et qu’il n’y ait plus de passerelles, les jeunes vont communiquer à travers les médias. Et puisqu’ils contrôlent les médias, ils transmettent leurs valeurs.
Quelles recommandations face au conflit de générations ?
Il faut utiliser les ainés à l’école. Il faut aussi qu’on valorise notre culture parce que c’est une culture d’une génération qui est passée ou d’une génération d’ainés qui, physiquement ou biologiquement, ne va pas disparaitre. Mais, le problème maintenant, c’est que le conflit de générations fait en sorte qu’on perd cette transmission de valeurs. Il doit y avoir une communication dans l’espace familial. Essayer de réfléchir sur un modèle où les ainés peuvent intervenir, même après la retraite, en guise de bénévoles. Au niveau des médias, qu’il y ait des émissions intergénérationnelles, pas des émissions parallèles : d’un côté, les anciens et de l’autre, les jeunes ; il faut qu’ils se mélangent. Mais aussi la valorisation de la langue nationale.